Je suis camerounaise, j’ai trouvé mon Blanc
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Je suis camerounaise, j’ai trouvé mon Blanc :: CAMEROON

Je sors de moins en moins. La vie nous range dans des placards en nous donnant l’illusion d’en sortir un jour. On n’en sort jamais, ou presque. Le week-end dernier, j’ai mis la tête hors de mon placard pour essayer de goûter aux joies quasi oubliées de Yaoundé by night.

Dans un snack, alors que je me laisse envahir par la torpeur consécutive aux deux Castel congelées que je viens d’avaler, j’entends le Dj brailler une dédicace bien appuyée: « spéciale dédicace à Flavie de Mini ferme et son chéri Jean Chrysostome! ».

Euye!

Ancien de Miniferme, je connais une Flavie native du coin. Je lève la tête et je la vois effectivement se lever au milieu de la salle pour balancer un billet de banque verdâtre (la bonne couleur) au DJ qui égrène des louanges avec son faux accent abidjanais.

Euye!

La Flavie n’est pas seule. A côté d’elle, un européen, un moukala, la soixantaine, rouge tomate, hirsute, qui refuse de se lever, se contentant de sortir des billets qui changeront deux fois de mains, pour finir dans celles du DJ.

J’ai vidé ma dernière Castel et j’ai fui. Dans cette vie, j’ai eu ma dose de rencontres du troisième type.

Le lendemain, direction Miniferme, pour me persuader que je n’ai pas rêvé.

Autour d’une bière, les dragons du quartier, ces grands qu’on a toujours appelé « grand », sans savoir en quoi ils l’étaient, m’ont raconté l’histoire de Flavie.

« Mon petit dors là, Flavie a trouvé son Blanc ».

J’ai souri. C’était donc ça!

Flavie comme beaucoup de jeunes femmes de ce quartier difficile a trimé. Ancienne péripatéticienne, mère de deux enfants dont les pères ont disparu dans la nature à l’énoncé du mot grossesse et qu’elle élève seule, à la force de la cuisse. Elle survit en se coltinant le rebut de l’humanité qui vient assouvir ses désirs lubriques dans l’enfer surchauffé de Miniferme, temple du plaisir de Yaoundé, reconnu d’utilité publique. Hélas, si dans notre société les ronds de jambe paient, il n’en va pas de même des écartements de celles-ci.

Hasard du destin, Flavie a découvert Internet et après trois mois de porno via webcam, Jean-Chrysostome son « chou bébé » a débarqué au pays, pour sucer enfin le fruit dont les nus emplissent son ordinateur et tapissent l’imaginaire de ses nuits de péquenot normand (je n’ai rien contre les normands hein, mais il me fallait un exemple).

C’est ainsi que la vie de Flavie a changé.

Branle-bas de combat le soir de l’arrivée du Précieux JC via un vol Royal Air Maroc.

Le plus important est de bien verrouiller l’information relative à son arrivée. Le fruit a beau être mûr, les histoires de « fiancé » détourné par des meilleurs amies ou des cousines trop sexy abondent. C’est en petit comité -des cousins- que Flavie va accueillir celui que ces derniers nomment déjà « mon beau ». JC débarque, sa peau laiteuse, est rouge pinard au niveau des joues, du front et du menton. Pour une fois le manque d’air conditionné à Nsimalen n’est pas à accuser. La petite délégation tique sur l’écart d’âge, les pataugas du « beau » vêtu comme un Grand Blanc en safari, mais personne ne parle. Le blanc, c’est le blanc. C’est le lait?

La première nuit, JC la passe dans un petit hôtel pas cher, le plus éloigné possible des radars des jaloux et des croqueuses-de-blanc-d’autrui. Nuit assurément torride où JC découvre, en vrai, les talents autrefois virtuels de sa « fiancée ». Le matin, il ne ressent plus la chaleur, ne souffre plus de la poussière, ne craint plus les microbes. La déjachérisation nocturne a fait de lui JC l’Africain.

Il est ferré. Flavie débarque avec lui dans son quartier: chéri, on va aller dire bonjour à maman et la famille. O miracle! en une nuit, l’accent de Flavie a changé. l’accent normand qu’on ignorait sexuellement transmissible ne la quitte plus.

L’Africain et la Normande débarquent bras dessus bras dessous à Miniferme à l’heure de pointe. Celle où les bars sont pleins de dragons oisifs qui scannent tous ceux qui passent, à la recherche d’une bière à gratter. L’heure ou le pas des portes est occupé par les commères qui ne loupent aucune occasion de médire gratuitement.

Flavie traîne plus qu’elle ne conduit JC, chèvre au visage rougeoyant qui se laisse mener dans le dédale de rues, sans cure des quolibets de certains passants estomaqués par son short de travers qui laisse dépasser de courtaudes jambes blanches et poilues. Massa! c’est quelle façon de blanc ça non? Il va survivre à la fesse là?

Flavie n’écoute rien. Dans sa tête, les paroles de « Mariage », le dernier tube de X-Maleya tournent en boucle. Ses années de souffrance lui reviennent en mémoire, les nuits debout, dans le froid, à essayer d’imaginer l’état de son entrecuisse après le passage du wadjo, vigile de l’immeuble d’en face, son meilleur client.

JC mange ce qu’il qualifiera de « repas le plus chaleureux de son existence ». La belle-mère ne parle que quand sa fille le lui permet. Riant à trente deux dents de toutes les mimiques de son « beau-fils ». Eh Ah! Mintangan!

Les voisines jalouses font tout pour rendre le jour ordinaire.

Les petites, sœurs plus fraîches écarquillent les yeux. Leur sœur ne mentait pas. Elle a le Blanc! Elles se reprennent à croire en la vie. Oui oui, le rêve camerounais existe.

JC a des frères. Ils vont venir après. Une phrase qui tend à calmer la meute des sœurs et cousines. Comme Colomb, Flavie se pose en pionnière, exploratrice découvreuse d’une route de la Normandie où elles pourront vendre un piment dont elles maîtrisent tous les secrets.

JC raconte des blagues. Tout le monde rit, même si personne ne comprend à cause de son débit haché par l’abus de vin. Un cousin,  Sûrement à cause du rap français qu’il écoute à longueur de journée, se décrète interprète.

Il demande que hein, c’est quoi qui est rouge dans la sauce là comme ça?

Aaaaaaaaaaaaaahn c’est le piment. Hein JC mon beau-fils, le bon piment d’Afrique, c’est bio. Second miracle, la mère a elle aussi adopté l’accent normand. JC rit, étalant ses chicots jaune urine. Tout le monde rit. Aka! Quand le blanc rit, il faut rire, même si on ne sait pas pourquoi.

Ils repartent, flanqués du cousin hipopiste: Il connaît tous les changeurs d’argent de Kennedy,pour les euros. Installation dans un meublé. Ce sera leur nid d’amour durant le séjour de JC l’Africain.

Flavie est métamorphosée. Pour son « Chryso » d’amour, elle a dévalisé Mokolo. Malgré la chaleur, elle sort désormais engoncée dans un fourreau panthère et chaussée de cuissardes. Qui va se négliger? Investissement dans une greffe indienne. Il faut ressembler aux filles de Paris, que JC le campagnard ne connaît pourtant qu’à travers ses revues porno. Et puis quoi?

La  compatriote découvre les joies de « l’amour des blancs ». Les « chérie » à gauche, « chérie » à droite. Malgré la chaleur, JC lui tient constamment la main, même quand un lac de cratère fait de sueur se forme entre elles à cause de la chaleur. ça la change de tous ces rustres bantous qui n’ont que le sexe dans la tête et n’osent même pas un bisou en public.

Pourtant s’il n’en tenait qu’à JC, ils resteraient au lit toute la journée, lui, à explorer les méandres de ce corps défraîchi mais rafraîchissant pour le péquenot qu’il est. Que nenni. Mon ami, tu n’es pas venu ici dormir. Il y a les boîtes de nuit, il y a Kribi, il ya Limbé, il y a les sorties, les copines à rendre jalouses, le terrain d’Odza à aller visiter.

Chéri tu te lèves?

Flavie découvre les plaisirs des endroits qu’elle ne fréquentait que de loin: les restos, les taxis en course, les plages…

Ses deux enfants sont des spectres, relégués chez sa mère et qu’elle n’évoque qu’évasivement.

Le cousin interprète est évacué après deux jours. Il a tenté, après avoir créé un face à face avec le blanc de lui parler de son album à financer. JC en bon Blanc a tout raconté à sa dulcinée. Ire de la gourgandine: ou kalga hein Jean Séraphin, tu m’as aidé à trouver le Blanc là?? Ne blaguez pas avec la vie de quelqu’un! ».

C’est la phase d’ultra paranoïa. Flavie se méfie désormais de tout le monde, voit le mal partout. Yaoundé est subitement une ville pleine de bandits. Elle achète elle-même les clopes de son « gars ». Elle contrôle l’addition deux fois dans les restaurants, engueule les chauffeurs de taxi qu’elle accuse de gonfler le prix des courses et surtout ne tolère pas que JC l’africain sympathise avec les autres africains: Ah! JC tu sais, il faut être méfiant hein? L’Afrique c’est pas comme à la Normandie hein? Les gens sont jaloux et peuvent t’empoisonner pour rien.

Euye!

Mais, ni les diamants, ni les prêts bancaires ne sont éternels et JC doit rentrer chez lui. il doit épargner pour revenir pour le mariage, avec sa famille. Il laisse à sa bien aimée un pécule qui doit lui permettre de vivre dans son nouvel appartement, en attendant le prochain Western Union. Nsimalen, des adieux déchirants, mais Flavie ne pleure qu’à moitié, son marabout lui a assuré qu’il reviendra. Aucun blanc ne lui a jamais échappé.

JC, ivre de cyprine plane et alors que les roues de l’avion repoussent le tarmac, il égrène dans sa tête les notes de la chanson qui a bercé sa dernière nuit en boîte: « tu montes tu descends, tu montes tu descends aujourd’hui je vais seulement mettre dedans ».

Ho le Flo, petit,  tu rêves ou quoi? Tu peux faire comme ça que tu validais la laide fille là hein?

Je me secoue, ma rêverie s’effiloche. La bière du dragon en face de moi est vide. C’est la troisième et ses yeux sont désespérément blancs.

Je venais même chercher quoi ici?

Barman! Un autre tour!

Peace!

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