Monde - Economie: Quelles leçons les africains peuvent tirer de la crise grecque ?
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Le drame de la Grèce concerne au plus haut point les africains, autant que les politiques hétérodoxes mises en oeuvre par les occidentaux pour sortir de la crise économique et financière de 2008- 2009. Cependant, notre culture est fondamentalement réfractaire à la réflexion systémique. Récitant comme des perroquets sous l´effet d´un conditionnement pavlovien les slogans de l´émergence et tous les autres concepts crées tous les 10 ans par les prêtres blancs(églises, Universités occidentales, Think Thanks, Institutions internationales, ONG) pour renforcer la confusion chez des peuples sans mémoire collectives, nous refusons systématiquement de sonder le passé (Comment nos sociétés ont été gérées au cours des 30 dernières années) pour mieux préparer le futur (quelles sont les politiques idoines pour le progrès de nos sociétés).

Les Africains ont tenu trois décennies d´ajustement alors que la Grèce vient jeter l´éponge au bout de 5 ans

La dette de la Grèce est insoutenable. Malgré deux plans de sauvetage de 240 milliards d’euros en 5 ans, la Grèce est en faillite. En 2015, le pays doit rembourser aux créanciers 12,335 milliards d’euros (dont 1,5 milliard au FMI au 30 juin 2015), 7,191 milliard en 2016 et 9,619 milliards en 2017, sans compter le paiement de 2,2 milliards d’Euros au secteur public au titre des salaires, des pensions de retraite et de la sécurité sociale au 30 juin 2015. Mais les caisses de l’Etat de plus en plus vides et les conditions draconiennes des nouveaux crédits ne permettaient plus à la Grèce de faire face à ses remboursements. Par conséquent, le Gouvernement a décidé de soumettre les conditions des créanciers au référendum.

Il s’agit d’un affrontement entre l’arrogante logique prédatrice et impitoyable des marchés et l’instinct de survie du politique acculé à une humiliante défaite par les technocrates du FMI et de l’UE représentant les créanciers.

LE FMI ET LA BCE exigeaient de la Grèce des réductions de dépenses plus drastiques pour assurer le remboursement de la dette extérieure en échange de nouveaux crédits en menaçant de couper les avances financières de la BCE qui maintiennent depuis quelques années le secteur bancaire Grec en état de survie artificielle. Ceci aurait eu pour conséquence une panique généralisée des épargnants, la faillite du système bancaire et le chaos dans le pays. Pendant 30 ans, ces diktats ont amené les Gouvernements d’Amérique Latine, d’Afrique et d’Asie à capituler et parfois à perdre le pouvoir, comme l’atteste la fameuse photo du président Suharto d’Indonésie dans une posture courbée, paraphant quelques mois avant sa démission en 1998, un accord avec le FMI sous la surveillance du Directeur Général du FMI, Mr. Michel Camdessus.

En ce qui concerne la Grèce, l’acceptation de nouvelles mesures d’austérité aurait amené le Gouvernement de Gauche à renier ses engagements électoraux. Pour éviter un « coup d’Etat des créanciers», le Premier Ministre Grec, Alexis Tsipras a refusé de rembourser les échéances dues au 30 juin 2015 et sorti l’arme de la démocratie en décidant de soumettre le plan d’austérité à un référendum qui pourrait aboutir à la sortie du pays de l’euro. Comme disent les Ivoiriens, en voulant humilier leur frère comme ils le faisaient naguère avec les dirigeants du tiers monde, « le FMI et l’UE ont trouvé garçon ».

En effet, le Premier Ministre Grec a dit au FMI et à la BCE: « vous voulez m’humilier et me tuer politiquement dans l’obscurité, mais c’est dans l’agora (place publique) et sous la lumière qu’aura lieu le combat. Chacun va utiliser ses armes et moi j’ai déjà choisi le « ça gâte, ça gâte camerounais ». Pour commencer, j’introduis le contrôle des changes et l’argent ne sort plus de mon pays; s’il le faut, je sors de l’euro, ce qui fera du mal à mon pays mais ça va aussi créer la panique et une crise économique sans précédent au sein la zone Euro. Les Etats Unis seront aussi touchés, car la baisse de l’euro et la crise économique en Europe vont entraîner la hausse du dollar, ce qui empêchera les américains à continuer à exporter vers leurs produits moins chers vers l’Europe et pourrait freiner la reprise économique aux Etats Unis.».

Comme je l’ai indiqué dans mes ouvrages, les politiques d’austérité communément appelées politiques d’ajustement ne visent pas à promouvoir le développement à long terme. Elles ont pour objectif de stabiliser/corriger les déséquilibres économiques et financiers à court terme. Ces politiques ont été peaufinées par les occidentaux à la fin des années 1970 pour protéger les banques américaines et européennes de la faillite lorsque les pays d’Amérique Latine se sont retrouvés dans l’impossibilité de rembourser leur dette. La logique sous-jacente des accords avec le FMI était la suivante : « le FMI vous prêtera de l’argent pour rembourser vos dettes et en contrepartie vous ferez un programme d’ajustement pour rembourser les crédits du FMI et les créances de nos Etats et de nos banques en réduisant vos dépenses publiques de fonctionnement, d’investissement et sociales, en libéralisant pour nous donner accès à vos marchés et en vendant tous vos actifs publics, etc.). Par ce mécanisme de l’Ajustement, on a transféré la faillite des créanciers publics et privés Occidentaux vers les contribuables des pays débiteurs.

C’est ainsi que le FMI est devenu le Chef de file des pays créanciers en charge de s’assurer que les pays débiteurs remboursent leur dette. Au nom des créanciers, le FMI prépare avec le pays débiteur un programme qui définit le niveau des ressources publiques à dégager pour rembourser la dette extérieure, ainsi que les conditions et les besoins de financement du pays. On ajuste en conséquence les autres postes du budget (réduire la masse salariale, les dépenses de santé, d’éducation, les subventions aux pauvres, les investissements, vendre les actifs de l’Etat) et les autres agrégats pour satisfaire les créanciers. Pour éviter d’alourdir leur endettement, les pays sous programmes n’ont pas le droit d’emprunter aux taux du marché pour financer les investissements. En contrepartie, le FMI donne au débiteur un crédit pour lui permettre de continuer à rembourser ses dettes et à participer au commerce international. C’est la signature d’un programme avec le FMI qui donne aux autres organisations internationales (Banque mondiale, BAD, UE) le droit d’apporter des concours financiers au pays débiteur. Le FMI supervise le pays débiteur tous les 6 mois pour s’assurer qu’il respecte les conditions du programme.

C’est par ces programmes de 6 mois visant à rembourser la dette extérieure que l’Afrique a été gérée au cours des trois dernières décennies. Dans les pays francophones, ces politiques ont été aggravées par l’arrimage des économies les plus squelettiques de la planète à l’euro. Ceci a entraîné la destruction de la capacité institutionnelle et du tissu économique, l’effondrement des valeurs, la dégradation des indicateurs sociaux et la baisse de l’espérance de vie en Afrique. Après trois décennies, les Occidentaux ont décidé d’annuler la dette (Initiative PPTE-Point d’Achèvement), car les « pays débiteurs avaient été rongés jusqu’à l’os et il n’y avait plus rien à croquer pour les créanciers».

Le plus grand paradoxe, c’est que lorsque les Etats-Unis et Union Européenne ont été confrontés à la crise économique et financière en 2008-2009, ils n’ont pas appliqué les politiques d’Ajustement qu’ils ont imposées aux pays pauvres en difficulté au cours des trois dernières décennies (réduire les dépenses publique, augmenter les impôts et les taux d’intérêt, liquider/privatiser les entreprises publiques, baisser les salaires, libéraliser, démembrer l’Etat). Car ces politiques d’austérité renforcent mécaniquement la crise.

Face à la crise, les pays Occidentaux ont plutôt mis en oeuvre des politiques de relance (hausse des dépenses publiques, baisse des taux d’intérêt, subventions et rachat d’entreprises privées en difficulté par l’Etat, sauvetage des banques, renforcement du rôle de l’Etat dans la régulation des marchés, protection des industries stratégiques et de l’emploi, etc.). En clair, ils ont décidé de renforcer les déséquilibres à court terme (déficits publics, dette, utilisation de la planche à billet pour créer de la monnaie fictive comme du papier, punition des épargnants par des taux d’intérêt négatifs, ) pour préserver l’appareil productif, le système bancaire, le capital social et le bien être (santé, éducation, protection sociale).

Compte tenu de l’expérience de l’Afrique, il fallait s’attendre à l’échec des politiques d’austérité en Grèce. Silencieux pendant trois décennies face aux souffrances infligées aux Africains auxquels il était demandé d’appliquer sans réserve « les bonnes politiques », la plupart des économistes Occidentaux condamnent aujourd’hui la manière dont la Grèce a été punie par les politiques d’austérité avec plus de 27% de la population au chômage (60% chez les jeunes), la dégradation du système sanitaire, la résurgence de maladies éradiquées partout ailleurs ainsi que la montée de la pauvreté de masse et du taux de suicide.

PRINCIPALES LEÇONS DE LA CRISE GRECQUE
Il est illusoire de vouloir restaurer la viabilité économique et financière des économies peu diversifiées et structurellement sous-développées à travers l’acharnement thérapeutique des politiques d’austérité qui, in fine, enrichissent les créanciers, affaiblissent les institutions et détruisent le tissu productif.

Tout comme les pays de la Zone CFA, la Grèce n’a pas les moyens d’un arrimage à l’euro et à la locomotive Allemande. Car son taux de change est surévalué et en cas de crise économique, la Grèce ne peut ni dévaluer sa monnaie, ni utiliser de manière flexible la politique budgétaire pour relancer son économie.
La Grèce pourra difficilement gagner son bras de fer avec le FMI et l’UE. Elle sera écrasée si elle devient une menace à l’avenir de la construction de l’Union Européenne. La meilleure option à long terme, c’est soit de sortir de l’euro pour retrouver des marges de manœuvre compatibles avec son faible niveau de productivité et de développement, soit de bénéficier d’une réduction drastique de la dette (similaire à l’initiative PPTE) pour l'aider à restructurer son économie au sein de la zone euro.

L’Allemagne profite plus de l’euro que la Grèce en termes de compétitivité. Car la monnaie commune permet à l’Allemagne de continuer à accumuler des excédents commerciaux sans être pénalisée par la hausse de sa monnaie et à la Grèce d’avoir une devise forte permettant aux élites de continuer à importer facilement des biens et services de l’Union Européenne sans possibilité de développer leur propre industrie en raison d’un taux de change et de coûts élevés.

La Zone monétaire Européenne (Euro) constitue (comme la Zone CFA) est une construction politico administrative non viable sur le plan économique. En effet, il faut trois conditions pour qu’une union monétaire fonctionne de manière optimale :

(i) une banque centrale commune capable de mener des politiques idoines pour maintenir la stabilité des prix et promouvoir l’emploi,

(ii) la discipline budgétaire au niveau des Etats membres avec un payeur en dernier ressort comme le Gouvernement Fédéral américain qui met à contribution l’ensemble des contribuables en cas de déséquilibres graves ; c’est cette dimension politique qui manque à l’Euro car les contribuables allemands refusent de payer pour la Grèce. Compte tenu de l’absence d’un Etat fédéral garant et payeur en dernier ressort (comme pour la Zone CFA), c’est le FMI qui pilote l’ajustement de la Grèce par de nouveaux prêts visant à aider le pays à rembourser sa dette ; et

(iii) une mobilité des facteurs de production (capital et travail) entre les pays membres de l’union monétaire pour corriger les déséquilibres et permettre aux acteurs économiques (entrepreneurs et employés) de se déplacer librement pour tirer profit des opportunités d’investissement et d’emploi. C’est ainsi que les américains déménagent facilement au d’un Etat à l’autre de l’Union en fonction des opportunités économiques. En raison des barrières linguistiques et de l’absence d’Etat fédéral, les Grecs victimes du chômage de masse ne peuvent pas corriger les déséquilibres économiques en émigrant massivement vers les pays de l’UE ayant un taux de croissance et des besoins de main d’oeuvre plus élevé. Par conséquent, la Zone Euro et la Zone Franc ne peuvent être maintenues que par l’absence de débat démocratique, par le diktat des technocrates et en cas de besoin par la force.

Les Africains doivent tirer les leçons aussi bien de l’expérience Grecque que des politiques de sortie de crise des Occidentaux pour se demander s’ils sont en train de mettre en œuvre les politiques idoines pour l’émergence. C’est une réflexion qui doit aller au-delà des politiques macro-économiques pour adresser les politiques de stimulation de l’offre et de la demande des biens et services ainsi que l’alignement de l’ensemble des politiques sectorielles et la gouvernance des marchés pour favoriser la création de richesses, l’émergence d’une masse critique d’entrepreneurs africains, la création d’emplois et l’amélioration du bien-être des populations. Aucun changement n’est possible sans un travail assidu du leadership pour promouvoir un changement des mentalités, la diffusion de valeurs positives et la création d’opportunités pour le grand nombre au sein de nos sociétés.

 

© Lu sur Facebook : Eugène Nyambal

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