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© Le Jour : Propos recueillis par Assongmo Necdem
- 29 Apr 2015 04:42:53
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CAMEROUN :: Pierre Oum Ndigi : « La sorcellerie prospère avec la mal gouvernance et l’injustice » :: CAMEROON
Historien, spécialiste des civilisations des mondes anciens, il décrypte un phénomène universel qui continue de faire débat entre ceux qui nient son existence et ceux qui y croient dur comme fer.
Qu’est-ce que la sorcellerie ?
La sorcellerie est d’abord un mot français. Dans chaque langue du monde, il existe un terme pour désigner cette réalité. Pour les linguistes, le mot sorcellerie n’est qu’un contenant qui renvoie à un contenu, à une réalité universelle. Il s’agit d’une pratique qui se manifeste par un certain malaise que subit l’individu qui en est victime. C’est une action maléfique. On la retrouve en Afrique, en Chine, au Cambodge, en Amérique, bref chez tous les peuples du monde.
Pourquoi définissez-vous la sorcellerie comme le mal ?
La sorcellerie est négative, même si certains parlent de sorcellerie positive. Le sorcier est quelqu’un qui sait et qui est puissant ; ce n’est pas un ignorant. Il sait autant que le médecin qui, lui, n’a pas pour vocation de tuer le malade, il le soigne plutôt. Il lutte contre les maladies qui sont provoquées par les microbes, dit-on. Mais les agents de la maladie peuvent être multiples, et donc venir de la sorcellerie.
Quelle est l’origine de cette action maléfique que vous appelez-sorcellerie ?
En français, on parle d’énergie. Mais cette énergie renvoie à beaucoup de choses. Elle se manifeste de plusieurs manières. La lumière est une manifestation de l’énergie. L’origine de la sorcellerie est une énergie qui détruit, qui cherche à faire du mal. Mais n’allez pas croire que cette énergie est d’une espèce spéciale ou qu’elle a une couleur spéciale. C’est juste de l’énergie utilisée pour faire le mal. La même énergie est utilisée pour faire le bien. Ça veut dire que dans le monde, il y a une ambivalence. Toute action émane d’une énergie neutre. Tout dépend de l’orientation qu’on lui donne. Le père Meinrad Hebga affirme que le prêtre, le devin, le guérisseur et le sourcier manipulent tous l’énergie, mais pour des desseins différents.
Comment appelle-t-on les personnes qui utilisent l’énergie pour faire le bien ?
Ce ne sont pas des sorciers. Pour les distinguer, ça dépend encore des langues. Chaque langue sait comment désigner un tel bienfaiteur. On parle par exemple de « nganga » dans les langues bantoues. C’est un terme qui signifie médecin, guérisseur, magicien. Quelqu’un qui peut soigner c’est aussi quelqu’un qui peut voir des choses que les deux yeux des personnes ordinaires ne peuvent voir. Il voit des choses qui se sont produites dans le passé ou qui peuvent advenir dans le futur. On parle aussi de divination.
La définition de la sorcellerie que vous donnez suffit-elle à dire que la sorcellerie existe ?
Si le terme sorcellerie existe, c’est parce qu’il renvoie à quelque chose qui existe. Sinon le mot n’aurait aucun sens. Or, les gens qui nient l’existence de la sorcellerie ont leurs raisons différentes. Il y a des sorciers qui ne souhaitent pas être démasqués. Il y a des gens qui croient que la sorcellerie est imaginaire et ne saurait donc être réelle.
Comment croire à quelque chose qui est invisible ?
La sorcellerie peut se manifester de manière visible et invisible. Il s’agit d’une action maléfique. Ce qui produit le mal est un pouvoir qu’on ne voit avec nos deux yeux, c’est une énergie qui s’attaque à un ou des individus. Mais les conséquences sont visibles. La personne est malade, elle se tord de douleurs. A l’hôpital, on va par exemple constater la fièvre alors que les examens ne montrent aucune pathologie, l’organisme apparaît en bonne santé. Les outils qui ne sont pas adaptés vont conduire à la conclusion qu’il n’y a rien. Or, la personne souffre et parfois meurt. Il faut donc faire la distinction entre la sorcellerie et la croyance en la sorcellerie.
Qu’est-ce qu’il y a de rationnel dans la sorcellerie telle que vous la décrivez ?
Il faudrait qu’on s’entende sur la signification du mot irrationnel. Irrationnel s’oppose à rationnel. Rationnel signifie intelligible, compréhensible, explicable. Rien de plus. Ce qui est irrationnel ne s’explique pas, on ne sait pas comme ça arrive. La sorcellerie relève du rationnel et de l’irrationnel. La sorcellerie est une pratique et une action maléfique qui vise à détruire la vie où à l’existence qui elle, relève du rationnel. Comment le sorcier se manifeste-t-il pour faire le mal ? Il ne vient pas au grand jour attaquer sa victime. Ce n’est pas de la sorcellerie de venir au grand jour attaquer quelqu’un à l’aide d’un fusil, d’une machette, d’une lance ou d’un poignard. Mais le sorcier vient plutôt chez quelqu’un la nuit, sous l’apparence d’un animal par exemple, pour faire le mal, pour détruire des plantations d’autrui. Ici, le sorcier cache son identité, il évite d’être démasqué et attribue donc son acte à un animal (éléphant, hérisson, etc). Le père Meinrad Hebga a parlé de la métamorphose des hommes léopards. C’est ça l’occulte, c’est-à-dire agir de manière à ne pas être découvert.
Qu’est-ce qu’il y a de rationnel dans la métamorphose d’un homme en animal ?
En Afrique, on considère qu’un être humain est un corps physique que tout le monde voit et peut toucher. Mais dans ce corps, il y a d’autres éléments qui ne sont pas visibles. Selon les langues, les Africains ont des noms pour désigner ces éléments. Il y a par exemple le souffle. Quand on meurt, on perd la respiration. Mais cette respiration n’est que la manifestation du souffle qui, lui, est quelque chose d’invisible, mais qui se manifeste par l’air qui entre et sort du corps humain. Il y a une autre instance en l’homme qu’on peut appeler ombre ou double. Il est capable de sortir du corps. C’est quelque chose comme un oiseau, qui peut voler, ce n’est pas un corps lourd, il peut poser des actions partout, pendant que le corps demeure sur place. Les gens qui parlent d’irrationnel dans la sorcellerie disent qu’il n’est pas possible d’attaquer quelqu’un à distance, de se métamorphoser et d’atteindre quelqu’un sans aucun contact physique. Ils disent que c’est irrationnel. Ils n’ont pas fait de recherche, ils ne cherchent pas à comprendre. C’est quand on fait des recherches que la sorcellerie devient intelligible. Le père Hebga nous dit que la façon de concevoir la personne humaine nous permet de comprendre la possibilité d’une action de sorcellerie, car l’homme peut se dédoubler. Une des instances du corps humain sort, elle est agile, elle traverse le temps et l’espace. Même un mur en béton ne peut pas l’arrêter. Or, dans la conception occidentale, selon laquelle l’être humain est un corps et un esprit, tout s’achève avec la mort. Mais chez nous, les morts peuvent revenir en songe.
Comment faire la différence entre un rêve, fruit de notre imagination, et un rêve provoqué par une tierce personne ?
Ce sont des choses qui ont été expérimentées. On ne peut pas les nier.
La difficulté d’appréhender et de comprendre les phénomènes paranormaux ne conduit-elle pas les gens à devenir irrationnels ?
Il ne faut pas réfléchir de manière abstraite sur une question concrète qui concerne la vie des gens. Le père Hebga a dit qu’en tant que chrétien et prêtre, il ne croit pas à la sorcellerie. Mais il ne nie pas l’existence de la sorcellerie. Il dit qu’il ne lui fait pas confiance pour résoudre les problèmes de l’homme. Il s’agit de deux postures bien distinctes. Dire que la sorcellerie n’existe pas comme phénomène est une chose. Dire que je n’y recours pas en est une autre. Croire à la sorcellerie ne signifie pas qu’elle devient un moyen pour résoudre tous ses problèmes.
N’est-il pas mieux de s’en tenir aux choses dont on a la maîtrise, comme aller à l’hôpital quand on est malade ?
La sorcellerie n’explique pas tout. Il y a une querelle de mots et de terminologie qui vient du fait que les Africains sont des gens acculturés. Que nous soyons philosophes ou enseignants de théologie, nous discutons en des langues qui ne sont pas africaines. Il y a donc beaucoup de malentendus. Dans nos langues, est rationnel ce qui se comprend. Que ce soit en bassa’a ou en beti, il n’y a pas d’autre signification. Quand un malade va consulter un médecin, sait-il exactement comment celui-ci travaille ? Que sait-il de la formation de ce médecin ? Pareil pour le prêtre. On sait que c’est l’homme de Dieu. Que sait-on du travail du prêtre ? On est dans les représentations. D’un côté on a le sentiment que tout est clair lorsqu’il s’agit du prêtre, car on se dit qu’il est l’homme de Dieu. Quand c’est le médecin, on dit oui c’est la science, il connaît le corps humain. De l’autre côté, on dénie toute rationalité à la sorcellerie.
Où mettez-vous alors cette dangereuse dérive qui emmène à tout expliquer par la sorcellerie ?
Cette dérive n’est pas générale, contrairement aux apparences. Tout le monde n’explique pas tout par la sorcellerie. Les gens disent qu’en Afrique, il n’y a pas de mort naturelle. Cette affirmation ne correspond pas à la réalité. Ceux qui le disent sont des personnes qui réfléchissent de manière abstraite. Il leur manquent l’expérience des choses vécues. Il ne suffit pas d’apprendre dans les livres pour connaître ces choses-là. Dans le raisonnement, l’homme a le libre arbitre. Dans chaque culture, les gens réfléchissent. La conception rationnelle, le bon sens existe dans toutes les langues. La difficulté vient du fait que nous sommes acculturés, car nous nous exprimons dans des langues étrangères.
Il n’empêche que l’on finit par attribuer une explication mystique à tout évènement heureux ou malheureux…
C’est un véritable problème. Mais il ne doit pas entraîner une généralisation. En Afrique, il y a des gens paresseux d’esprit. Ils ne cherchent ni à comprendre les choses, ni à savoir le fond des choses. Ils cherchent des raccourcis, des explications faciles. La sorcellerie devient alors le bouc-émissaire, un prétexte que tout le monde peut utiliser. Mais, la sorcellerie ne demeure pas moins une réalité. Il ne s’agit guère d’une fiction, car dans la culture africaine, rien n’arrive au hasard. Tout a une cause et une source, même si on ne la connaît pas. Un des moyens pour connaître ce qui se passe, en dehors des recherches de laboratoire, c’est la voyance ou la divination. C’est Dieu qui octroie ces dons à des êtres humains qui ne sont pas nécessairement des prêtres, des pasteurs ou des sorciers. Ils naissent avec ces pouvoirs-là. J’ai passé 26 ans en France. Pendant toute ma formation d’universitaire à Lyon, au cours de mes recherches en anthropologie, j’ai eu l’occasion de rencontrer un Blanc qui était un voyant. Ce voyant a fait l’objet d’un livre intitulé « Un voyant dans la ville », sous la direction de François Laplantine. Le livre raconte comment le voyant peut voir des choses en dehors de la France, jusqu’en Chine et plus loin.
Comment prémunir les populations de la dérive irrationnelle liée à la croyance à la sorcellerie ?
Tout dépend de l’organisation de la société concernée. Pour connaître, il faut chercher à savoir ce qui se passe, à connaître sa propre culture. Beaucoup de gens ignorent leur culture. Ils en parlent par des oui-dire, ils n’interrogent pas leur culture. Tout seul, on ne peut pas arriver à savoir. On doit donc recourir à d’autres personnes dans la société. Il faut que les gens discutent de la sorcellerie pour que celle-ci ne devienne pas l’explication de tout dans leur vie. Les habitants d’un village donné n’attendront pas d’être éclairés par les gens venus d’un autre village ou d’un pays étranger. Il faut des notables au sens de personnes ressources, d’intellectuels même s’ils n’ont pas été à l’université, c’est-à-dire des gens qui pensent les problèmes. Dans toutes les sociétés, ces personnes-là existent. Ils sont capables de réunir les gens en association pour réfléchir sur les problèmes de la société. La sorcellerie est un problème de société dont les gens doivent discuter, sans discrimination.
Finalement, l’enjeu n’est-il pas de résoudre les problèmes de la société moderne, à savoir le chômage, la pauvreté, etc, qui amènent les gens à ne plus réfléchir de manière rationnelle ?
A propos de la pauvreté, je préfère parler d’appauvrissement. Il faut lutter contre l’appauvrissement des hommes. Il y a des richesses qui sont mal réparties. Il y en a qui vivent dans l’opulence au détriment des autres. Il est nécessaire de résoudre les problèmes existentiels des êtres humains. Mais, lorsque ces problèmes seront résolus, d’autres problèmes seront encore là. Il s’agit des problèmes humains. Quand les hommes vivent en société, ils ont des sentiments, des complexes. Même dans une société où tout le monde a un emploi, il y aura toujours la jalousie qui pousse à faire le mal. Par exemple contre votre camarade de classe, qui n’était pas le plus intelligent, mais qui a une position plus élevée que la votre. Voilà des problèmes propres à toutes les sociétés. Mais, il est certain que si les problèmes existentiels sont déjà résolus, c’est de nature à favoriser l’éducation collective. Il y aura toujours cette croyance que si je n’ai pas ceci c’est à cause de l’autre, mais elle va s’atténuer. Il faut résoudre les problèmes des gens pour que les esprits soient plus ouverts à mieux comprendre la sorcellerie. Or, il y a des gens qui vivent bien parce qu’ils sont malins et gourmands. Ils réduisent la vie des autres. Il y a naturellement des remords et des ressentiments dirigés contre quelqu’un et lui qui feront du mal sans qu’il y ait eu sorcellerie. La sorcellerie prospère dans un contexte de mal gouvernance et d’injustice. Ceux qui réussissent sont des sorciers. Même si ce n’est pas vrai, on ne peut pas empêcher les gens de le penser.
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