Liquidation de l’ex- Société camerounaise des tabacs  « SCT » : L’affaire qui ébranle le régime.
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Liquidation de l’ex- Société camerounaise des tabacs « SCT » : L’affaire qui ébranle le régime. :: CAMEROON

Les généraux Ivo Desancio et Joseph Fouda, le SED, Jean Baptiste Bokam ciblés dans une enquête ouverte par le TCS. Le ministre Essimi Menye auditionné à deux reprises en qualité de témoin…Enquete.

Les jours de liberté du ministre Essimi Menye sont désormais comptés, pourrait-on se risquer, si l’on ne s’en tient qu’à la campagne médiatique particulièrement virulente ayant accompagné ses passages devant les enquêteurs du Tribunal criminel spécial(TCS). C’était les 13 et 27 janvier 2015. Le ministre de l’Agriculture et du développement rural (Minader)  a en effet été auditionné à deux reprises dans le cadre des enquêtes préliminaires relatives à deux procédures judiciaires en cours TCS. L’une des procédures porte justement sur la liquidation de la défunte Société camerounaise des tabacs (SCT), entreprise d’économie mixte admise en procédure de privatisation/liquidation suite à un décret signé le 17 Juillet 1994. 

Les raisons de l’intérêt de la justice pour le Minader sont formulées dans un rapport adressé au ministre d’Etat, ministre de la Justice, garde des Sceaux par le procureur général près le TCS le 21 mai 2014. « Il est également reproché au nommé Essimi Menye d’avoir dans le cadre de la liquidation du patrimoine de l’ex- société camerounaise de tabac, enjoint le liquidateur de vendre une plantation de 50 hectares à son petit frère aujourd’hui décédé. Cette vente aurait été réalisée par la procédure de gré à gré en violation des dispositions de la loi n° 99/016 du 22 décembre 1999 portant statut général des établissements publics et des entreprises du secteur public et parapublic » explique Emile Zephyrin Nsoga à Laurent Esso. 

Une procédure normale donc pour qui connaissent les missions dévolues à cette juridiction par le législateur. Il a fallu cependant goutter à des pans entiers  des auditions d’Essimi Menye sur la place publique pour que dossier, actuellement dans sa phase d’enquête préliminaire, s’en trouve tristement emballée dans le discrédit au sein d’une l’opinion publique particulièrement soupçonneuse vis-à-vis de la Justice camerounaise. Y aurait-il donc un agenda caché aux allures de règlement de comptes, de complot politique, de massacre d’«un ponte dévoué et fidèle au régime » derrière ce que d’aucuns appellent, y compris au sein du sérail, « affaire Essimi Menye » ?  Des sources proches des dossiers concernant le natif de Nkometou au TCS s’en défendent véhément en arguant que l’enquête portant sur la liquidation de la SCT ira jusqu’au bout. 
Le procureur général près le TCS en personne ne démord pas sur cette option.  Dans son rapport circonstancié de mai 2014 au Minjustice portant sur ce dossier, Emile Zephyrin Nsoga affirme que le «  président et quelques membres de la commission technique de privatisation et des liquidations des actifs de l’ex-société camerounaise de tabac devront être entendu sur le monde de cession de l’actif de cette société ». Autrement dit, il y a matière à investiguer pour la justice. « L’affaire Essimi Menye » devrait aboutir à des rebondissements sulfureux entraînant dans des tourments judiciaires auteurs et bénéficiaires du pillage sauvage des actifs résiduels de cette entreprise. Une porte ouverte vers l’humiliation de plusieurs pontes du régime que même « l’immolation » programmée du Minader ne peut pouvoir empêcher le franchissement.

Terres bradées à des pontes du régime

En effet, les terres constituaient le plus grand bien de la Société Camerounaise des tabacs. Elles ont été bradées à vil prix à la Société nationale d’investissement (SNI), Afriland First Bank et des hautes personnalités du régime Biya. 

Le 15 Mars 1999, Ahmadou Oumarou, le liquidateur, donne mandat à Fritz Njewa Eyango pour « agir en lieu et place de la liquidation de la SCT dissoute en Juin 1998 ». En sa qualité de représentant du liquidateur, il doit s’occuper du recouvrement des loyers, de la renégociation des contrats de location et de la protection du patrimoine de la défunte SCT dans le centre de Batschenga, à 60 Km au nord de Yaoundé. Son mandat ne parle pas de vente. Il va pourtant se mettre à brader les terres, souvent l’acte de cession est matérialisé sur des feuilles volantes. Les 2 400 Hectares de la station SCT de Batschenga, qui suscitent des convoitises sont vendus de gré à gré et à vil prix. Pour certaines cessions, d’aucuns parlent de 30 FCFA le m2. C’est le cas du titre foncier numéro 617 d’une superficie de 1554 m2, cédé à la Société nationale d’investissement (SNI), qui était aussi actionnaire privilégié de la défunte SCT.

Dans le même site de Batschenga, dans un rapport sur la vente des immeubles bâtis et non bâtis appartenant à l’ex-SCT, le représentant local du liquidateur fait état au 31 décembre 2007 de la « cession d’environ 620 Hectares concédés à 201 personnes ayant acquis des cases en ruines et des terrains nus ou agricoles pour une valeur de 216 288 000 FCFA (Deux cent seize millions deux cents quatre-vingt-huit mille) ». Parmi les acquéreurs, il y a, entre autres, les généraux Ivo Desancio, directeur de la sécurité présidentielle (5 000 m2) et Fouda Joseph, conseiller spécial du chef de l’Etat, Emile Andze Andze (3 000 m2), Jean Robert  Mengue Meka, ancien secrétaire général du ministère des Travaux publics (100 Hectares de terres agricoles). C’est ainsi qu’en 2011 la commission de liquidation de la SCT vend un espace agricole à Salomon Ombe, le frère cadet du ministre Essimi Menye, qui n’a jamais été mis en valeur en raison de son décès quelque temps après.

Le plus grand pillage du patrimoine de la SCT se déroule à Yaoundé. La liquidation y a cédé trois immeubles urbains bâtis d’une superficie globale de 17 039 m2 un temps hypothéqués auprès de la SNI, à 1,5 milliards de FCFA. En face du collège de la Retraite, CCEI Bank a acquis le titre foncier numéro 588 d’une contenance de 1530 m2 pour 200 millions de FCFA, son promoteur, Paul Fokam, a aussi acheté les 9945 sur lesquels est bâtie la PFK Institute d’Emana à 300 millions de FCFA, alors que la CSPH a déboursé un milliard de FCFA pour les 5564 m2 qui abritent son siège au carrefour Warda. Or, d’après un promoteur immobilier, dans la zone de Warda le mètre carré s’achetait au début des années 2000 à près de 500 000 FCFA et s’acquiert actuellement à 750 000 FCFA. A la même époque à Emana, le mètre carré se vendait à 25 000 FCFA contre près de 40 000 FCFA aujourd’hui.

Mafia autour de la liquidation au profit des acteurs notoirement connus

Au moment où s’ouvre la liquidation, la commission en charge de cette opération  estime  que le patrimoine de la SCT est difficilement évaluable. « Le mauvais état des archives très fortement endommagées par les intempéries et actes de vandalisme perpétrés pendant la longue période d’agonie de l’entreprise, voire leur destruction, a énormément compliqué les travaux de reconstitution des actifs résiduels et du passif », note le rapport de clôture de liquidation. Au moins il relève que « à l’ouverture de la liquidation, le passif de la société s’élève à près de cinq  milliards de FCFA, dont 1,3 milliard à titre d’arriérés de salaires et de droits dus au personnel et 350 millions de FCFA au titre d’arriérés dus aux planteurs de l’Est. »   
 
La thèse d’une évaluation pénible du patrimoine de la SCT ne convainc pas beaucoup d’acteurs bien imprégnés du dossier. Pour d’aucuns, le flou a été délibérément entretenu pour des raisons évidentes. Tant le patrimoine de la SCT aiguise des appétits. Une preuve : le 15 Janvier 1996 déjà, le ministre de l’Economie et des Finances demande au directeur général de la SCT « de prendre toutes les dispositions légales existantes pour la préservation du patrimoine de la SCT ». Dans sa correspondance, Justin Ndioro dénonce « la signature illégale d’un contrat de location gerance entre la SCT représentée par son Pca (Philémon Adjibolo) et la Sabat SA (cette société a comme promoteurs, entre autres, l’ancien ministre Hubert Nkoulou) en date du 20 Décembre 1995 ».

Dans le cadre de l’exécution de sa mission, la liquidation lance un appel d’offres pour la cession des centres tabacoles en vue de la relance de cette culture. Au terme de l’opération, la FPTC s’adjuge quatre centres tabacoles pour environ 420 Millions de FCFA. La SETEC ayant pour promoteurs Philémon Adjibolo, ancien Pca de la SCT et Janvier Mongui Sossomba, actuel Président de la Chambre d’Agriculture, Siegfried Etame Massoma, gouverneur de l’Est à l’époque et Jean Baptiste Bokam, secrétaire d’Etat à la Défense chargé de la gendarmerie, hérite de trois centres et la SETAC d’un centre. En somme, les huit centres tabacoles ont été cédés à moins de Un milliard de FCFA. 
Officiellement, la société est morte faute d’argent pour soutenir les campagnes tabacoles. La saison 1993-1994 marque donc la cessation d’activités pour la société camerounaises de tabacs (SCT). Mais un haut cadre de l’ex-SCT subodore un complot. Il souffle que, avant que la société ne mette la clé sous la porte, l’équipe managériale de l’époque travaillait déjà en intelligence avec un certain Meerafeld Söhne, acheteur de tabac de la SCT, pour la création d’une autre société dénommée Setac, ayant vocation à faire concurrence à la SCT.

L’échec programmé de la privatisation de la SCT a ouvert la voie en 1998 à sa liquidation. La commission créée à cet effet reçoit mandat pour « procéder à la cession de ses actifs, à l’apurement du passif et à la relance de la culture du tabac ». Au regard de tout le flou qui a entouré l’opération, il y a lieu d’en appeler, pour la sauvegarde de l’intérêt public, à une enquête judiciaire sur la liquidation de l’ex-SCT émancipée des lourdes présomptions de règlement de compte entre caciques du régime comme les effluves qui s’en dégagent tendent à le faire croire actuellement. 

© Camer.be : Franck BAFELI

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