Cameroun: La grande marginalisation des Magistrats du Grand Nord
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Cameroun: La Grande Marginalisation Des Magistrats Du Grand Nord :: Cameroon

Ils sont soigneusement écartés de tous les postes importants.Depuis les derniers mouvements opéré dans la magistrature le 18 décembre 2014, de nombreuses interrogations parcourent la communauté du Grand Nord sur le sort réservé aux magistrats originaires de cette partie du pays. Le malaise est si profond que de nombreuses réunions se sont déroulées ici et là sur l’attitude à adopter devant cette nouvelle discrimination criarde. 

«Le pouvoir judiciaire est l’un des trois pouvoirs reconnus au Cameroun. Et comme tout pouvoir dans un pays comme le nôtre, un certain équilibre est nécessaire. Nous constatons avec regret que les régions du Littoral, du Centre et du Sud se sont accaparées de la justice.

Les régions septentrionales, comme la région de l’Ouest également, sont exclues des responsabilités.

C’est une injustice qui touche même à l’unité nationale», constate un ministre originaire de l’Extrême-Nord.

Le courroux des nordistes est d’autant plus élevé que leur représentativité dans le corps de la magistrature n’est pas des moindres. Ils sont environ 300 magistrats issus des trois régions septentrionales sur un effectif d’à peu près 1200.

SYSTÈME DISCRIMINATOIRE

On sait que l’avancement dans la fonction publique se fait au choix. C’est un principe. Sauf que dans la magistrature, le magistrat originaire du Grand Nord n’avance pas quand bien même il remplit toutes les conditions et qu’il ne lui est rien reproché sur le plan professionnel. 

Entre 2012 et 2014, 16 magistrats ont été promus au grade de magistrat hors-hiérarchie 1er groupe, le sommet de la magistrature. Dans ce club de privilégiés qui ouvre la porte aux plus hautes fonctions dans la magistrature, notamment à la Cour suprême, il ne se trouve aucun ressortissant du Grand Nord alors même que deux magistrats, Oumarou Bamanga (avocat général à la Cour suprême) et Monglo Todou (conseiller à la Cour suprême) remplissent tous les critères. Ils ont été laissés au bord de la route alors même que plusieurs de leurs cadets, qui comptaient moins d’années d’ancienneté au grade de magistrats horshiérarchie deuxième groupe, sont passés comme lettre à la poste. 

Il est vrai qu’ils sont ressortissants des «régions bénies». «Il se cache derrière tout cela, une subtilité inquiétante. 

Quand des magistrats d’une partie du pays sont exclus de la catégorie de magistrats «horshiérarchie 1er groupe» comme c’est le cas du Grand Nord, cela veut tout simplement dire qu’ils ne peuvent pas prétendre à occuper les fonctions de premier président de la Cour suprême, premier procureur général près la Cour suprême, premier avocat général, président de la chambre administrative, président de la chambre judicaire et président de la chambre des comptes. Ce sont les professionnels de la discrimination qui ont mis en œuvre ce plan», explique Aboubakar Alamka, juriste.

Au cours de la même période (2012-2014), 49 magistrats ont été promus au grade de magistrat hors hiérarchie 2ème groupe. Parmi lesquels 06 magistrats originaires du Grand Nord. Il s’agit d’Ibrahima Halilou, Aboubakary, Mme Djam Doudou, Baba Salatou, Mamar Paba Sale et Amadou Souley. Au total donc, sur 65 magistrats hors hiérarchie tous groupes confondus, l’on ne dénombre que 06 magistrats du Grand Nord. 

D’ailleurs, plus l’on descend en grade au cours de ces trois dernières années, plus est grand le fossé de la discrimination à l’égard des magistrats originaires de cette partie du pays.

Tenez, entre 2012 et 2014, 36 magistrats ont été promus au 4ème grade dont seulement 6 du Grand Nord. 135 ont été promus au 3ème grade donc 19 originaires des régions septentrionales, pendant que 14 sur 78 ont franchi le 1er grade pour le 2nd. Donc, sur un total de 324 promus sur cette période, seuls 45 magistrats ont eu droit au sourire.

«Quand bien même les magistrats du Grand Nord remplissent les conditions, ils sont très rarement promus. Il faut dire que les magistrats eux-mêmes ont perdu confiance en la justice, car ils subissent une injustice inexplicable tout simplement parce que, quelque part, vous avez des personnes qui abusent de leur position pour modeler le pays à leur guise. Observez bien, la justice est désormais aux mains de trois régions du pays qui ont confisqué toutes les positions importantes.

Et curieusement, ces régions correspondent à l’aire géographique des décideurs du Conseil supérieur de la magistrature.  La justice ne peut pas se bâtir sur le tribalisme, sur le favoritisme», analyse une source introduite.

En effet, le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) est présidé par le président de la République, qui est secondé dans cette charge par le ministre chargé de la Justice (aujourd’hui Laurent Esso, originaire du Littoral), qui en est le vice-président et du chef de la division des Affaires juridiques de la présidence de la République, M. Jean Foumane Akame, qui est le secrétaire du CSM. Originaire de la région du Sud comme le président Biya, M. Foumane Akame apparaît finalement comme le vrai patron de la magistrature, à côté du ministre de la Justice et du chef de l’Etat.

C’est de cette position qu’il organise la suprématie des ressortissants de sa région d’origine et du Centre voisin dans les plus hautes fonctions de la Justice.

NOMINATIONS À TÊTES CHERCHEUSES

Les magistrats du Grand Nord ne sont pas seulement confrontés au seul problème d’avancement en grade. Ils sont, en effet, méthodiquement exclus de toutes les responsabilités importantes au sein de la magistrature comme en atteste leur situation actuelle. 

Sur 32 magistrats avec statut de chef de Cour, l’on ne dénombre que trois nordistes. Il s’agit de Bedporo Joseph, procureur général près la Cour d’appel de l’Extrême-Nord, d’Aboubakary, président du Tribunal administratif de Maroua et Harouna Bako, procureur général près la Cour d’appel de l’Ouest. Et même que ce dernier est de Nanga Eboko, donc de la région du Centre.

Cette discrimination (mise à l’écart des postes de responsabilités) est encore criarde dans les juridictions importantes de Yaoundé et de Douala. Sur les 6 chefs de juridiction de la capitale (Tribunal de grande instance du Mfoundi, Tribunal de première instance de Yaoundé-centre administratif et Tribunal de première instance d’Ekounou), pas un seul «Wadjo» n’a été nommé.

Idem pour Douala où sur 8 chefs de juridiction (Tribunal de grande instance du Wouri, Tribunal de première instance de Bonanjo, Tribunal de première instance de Ndokoti, Tribunal de première instance de Bonaberi), toujours rien. 

Il faut se rendre au Tribunal spécial criminel (TCS) pour voir l’ombre d’un magistrat originaire des régions septentrionales, Mme Dahirou Hayatou. Et encore ! Elle est en effet la seule à avoir été nommée sur une dizaine de juges (12), 7 avocats généraux et 5 juges d’instruction…

«Quand un nordiste est promu, c’est qu’il l’est généralement dans une juridiction de 3eme classe, de moindre importance, là où les magistrats du pays organisateur ne peuvent pas poser les pieds au risque de salir leurs belles toges», ricane, avec une pointe d’exagération, un magistrat à la retraite.

Les postes de responsabilité à la Chancellerie ne dérogent pas au souci de marginaliser les magistrats originaires des régions septentrionales.

Sur 20 postes de directeurs et assimilés, l’on n’en dénombre que deux. Il s’agit d’Amadou Souley, directeur des Affaires pénales et des grâces, et de Baba Salatou, inspecteur.

Quant à Mayang Alexis, sous-directeur des Droits de l’homme et Haman Bouba, sous-directeur de la Coopération à la Dapj, ils sont les seuls à figurer parmi le 28 sous-directeurs que compte la Chancellerie.

© L'Oeil du Sahel : GUIBAÏ GATAMA

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