Cameroun, Livre de Enoh Meyomesse: Quand frauda le sous-préfet.
CAMEROUN :: LIVRES

Cameroun, Livre De Enoh Meyomesse: Quand Frauda Le Sous-Préfet. :: Cameroon

Fresque du comportement odieux des sous-préfets dans la défense du régime de Paul Biya. Le Sous-préfet Ovonenkus s’est démené comme un diable pour empêcher la victoire de l’opposition dans son unité administrative. Il a failli y perdre la vie. Mais au moment des rétributions post-électorales, il est plutôt limogé de ses fonctions et envoyé en « complément d’effectif » au ministère, pendant que les « élites » venues de la capitale sont promues à des postes importants, l’une d’elle effectuant même son entrée au gouvernement…

Chapitre XX : extraits.

Ovonenkus avait passé la journée à visiter les bureaux de vote de Ndimin. Partout, il avait rencontré les mêmes problèmes : contestations des représentants de l’opposition interdits d’accès dans ceux-ci en qualité de scrutateurs, et fermeté des présidents des bureaux de vote, tous militants actifs du Parti du Bonheur du Peuple, le parti du Président de la République, vis-à-vis d’eux. Les votants quant à eux variaient d’un bureau à l’autre. Dans certains, ils étaient venus nombreux. Dans d’autres, presque personne n’avait pris la peine de sortir de chez soi pour aller remplir son devoir de citoyen. Les scrutateurs par conséquent s’y ennuyaient, en attendant l’heure de la clôture du scrutin, pour faire de tous les absents, des votants du PBP. Il avait également rencontré d’innombrables personnes qui vadrouillaient d’un bureau à l’autre, à la recherche de leurs noms sur les listes électorales, affichées sur les murs, en vain. Celles-là tempêtaient de colère et juraient que les choses n’allaient pas se passer ainsi. Qu’elles allaient faire entendre leurs voix. Il y en avait qui lui promettaient la mort, car elles estimaient qu’il avait volontairement organisé cette pagaille dans le but de favoriser le PBP, d’autres, un mauvais sort. Lui, il n’en avait cure. Il considérait ces mises en garde comme des jérémiades, et rien de plus.

Lorsque 18 heures sonna, il ordonna la fermeture du bureau de vote de la sous-préfecture et le démarrage du dépouillement des voix. Puis il retourna à son bureau attendre l’arrivée des présidents des différents bureaux de vote de l’arrondissement avec leurs résultats. Ceux de la ville ne tardèrent pas. Mais l’un d’eux ne vint pas seul. Il était suivi par une foule hystérique et déterminée à lui faire la peau. (…)

Ovonenkus en fut alerté par une indescriptible clameur qui s’approchait en grandissant, de ses bureaux. Il s’en effraya. « Ebiasé Jacques voleur, Ovambe

Paul bandit ! », se mit-il à entendre progressivement et distinctement. Il se leva, jeta un coup d’œil dehors à travers la fenêtre encore ouverte malgré la tombée de la nuit. Il aperçut au bout de la rue une marée humaine déchaînée qui avançait derrière Ovambe, le président du bureau de vote du quartier Ebolebola et en même temps président du comité de base du PBP dans ce quartier, transportant péniblement une urne sur la tête. Il paniqua véritablement. Une fois à la sous-préfecture, songea-t-il, ces gens, à n’en pas douter, n’allaient pas manquer de délaisser Ovambe et de s’en prendre plutôt à lui, en sa qualité de superviseur général du scrutin. Il voulut se sauver. Il y renonça aussitôt, car cela nécessitait qu’il passât par la véranda, et il allait être vu. Il songea à se jeter dehors par la fenêtre et disparaître derrière le bâtiment de la Sous-préfecture. Mais là aussi, il serait vu. Il y re-nonça également. Il appela, en désespoir de cause, Madame Olantyaa, sa fidèle secrétaire.

— Oui, Patron !

— Euh… qui est avec vous ? Kabeyene ?

— Oui, Patron.

Il fourra nerveusement la main dans la poche de son veston, en sortit quelques pièces de monnaie et le lui tendit.

— Voilà ! Remets-lui ça et dis-lui de courir à la gendarmerie demander à l’adjoint au Commandant de brigade l’Adjudant Bitom Alfred, son patron étant porté disparu, de rappliquer ici avec tous les gendarmes de sa brigade. Qu'il se rendre également au Commissariat de police et demande au commissaire Njetenen d’en faire autant avec tous les gardiens de la paix. Qu’il emprunte une mototaxi avec cet argent. Vite !

— Oui, Patron.

Très rapidement, la foule atteignit la cour de la sous-préfecture. Ovambe, à la tête de celle-ci, se précipita dans le bâtiment après s’être débarrassé de l’urne qu’il transportait en le déposant sur la véranda. La foule quant à elle se tint dehors sans toutefois s’arrêter de brailler. « Ebiasé Jacques voleur, Ovambe Paul bandit ! ». « Ebiasé Jacques voleur, Ovambe Paul bandit ! ».

Ovonenkus demanda à Ovambe de le rejoindre dans son bureau. Il s’y précipita de nouveau sans attendre, afin d’échapper à la hargne de la foule.

— Asseyez-vous. Que se passe-t-il, Monsieur Ovambe ?

— Sous-préfet, c’est très grave. Ces bandits de l’opposition sont arrivés en tête des suffrages dans mon bureau de vote, malgré tout ce que j’ai fait. (Il parlait en haletant). Je ne comprends pas. Et pourtant, j’ai même diminué les bulletins de vote de l’opposition, et il y a ainsi eu rupture de leur stock avant midi. Je ne me suis plus mis à distribuer que ceux du PBP pendant toute l’après-midi. Mais, à ma grande stupéfaction, au moment du dépouillement du vote, je me suis retrouvé avec un nombre incroyable d’enveloppes vides, donc de bulletins blancs. Il ne me restait plus comme solution que de les comptabiliser au bénéfice du PBP. Malheureusement, ces vandales de l’opposition étaient postés aux aguets sur toutes les fenêtres de la salle, et observaient scrupuleusement tout. Ils dénombraient les bulletins à haute voix avec moi. Si la salle avait eu des battants aux fenêtres, j’aurais pu empêcher qu’ils le fassent. Il m’aurait suffi de simplement les fermer. Mais, vous le savez, Sous-préfet, l’Ecole Publique du quartier Ebolebola ne dispose d’aucune salle de classe achevée. Toutes manquent de portes et de fenêtres fixées. Ces dernières sont ainsi béantes. Alors, ils suivaient tout. Il ne me restait par conséquent pour ultime solution que d’interrompre le décompte des voix, de tout emballer et de tout emmener ici à la Sous-préfecture. C’était le seul moyen de me débarrasser de cette vermine. Mais, voyez, Sous-préfet, ils m’ont suivi. Ils ne désirent pas me lâcher d’un pouce.

Ovonenkus poussa un grand soupir d’embarras. Il se mit à tapoter nerveusement son crayon sur sa table de travail. Que faire ? De l’extérieur continuait à provenir la terrifiante clameur des manifestants déterminés à empêcher le vol de leurs voix. « Ebiasé Jacques voleur, Ovambe Paul bandit ! ». « Ebiasé Jacques voleur, Ovambe Paul bandit ! ».

(…) Sur ces entrefaites, on frappa à la porte. Ovonenkus sursauta. Il hésita à répondre. La porte s’entrouvrit d’abord tout lentement et un visage familier à Ovonenkus s’y loger. Il s’agissait de Bindjeme Jules. Un ancien agent des PTT à la retraite, président du comité de base du PBP au quartier Alekoh, et en même temps du bureau de vote de celui-ci. Il sourit.

— Je peux ? demanda-t-il.

— Oui, bien sûr, entrez Monsieur Bindjeme.

Celui-ci pénétra dans la salle. Surprise ! Tous ses vêtements étaient en lambeaux. Ovonenkus en fut estomaqué.

— Mais… Bindjeme… ?

— Sous-préfet, j’ai essayé de modifier les résultats de mon bureau de vote, mais il n’y avait pas moyen. Ces malfaiteurs de l’opposition veillaient au grain. Ils étaient aux aguets. J’ai donc, à contrecœur, proclamé les vrais résultats, à savoir que notre parti, le PBP, n’avait remporté le scrutin que d’une courte tête c’est-à-dire, par 99 voix contre 79 pour l’opposition, avec près de cent bulletins blancs. Je voulais diminuer les voix de l’opposition, les ramener par exemple à euh… dissous… 15 ou 20 seulement, d’une part, et comptabiliser tous les bulletins blancs au bénéfice de notre parti. Mais, ces bandits surveillaient tout. Il n’y avait vraiment pas moyen. Ils se sont mis à se réjouir, pendant que je rangeais tout le matériel électoral mis à ma disposition. C’est alors qu’un individu sorti de leurs rangs m’a apostrophé. « Hé ! Déchire devant nous tous les bulletins de vote qui n’ont pas été utilisés ». Aussitôt, tous ces voyous ont commencé à exiger que je le fasse. Naturellement, je ne pouvais accepter pareille ineptie. Qui sont–ils pour m’intimer des ordres ? Rien du tout. Devant mon refus, ces vandales se sont jetés sur moi et se sont mis à me tabasser. Puis, ils ont tout détruit dans le bureau de vote, l’urne, l’isoloir de fortune, la table sur laquelle étaient entreposés les bulletins et les enveloppes utilisées pour les contenir, etc. Enfin, ils ont déchiré tous mes vêtements et s’en sont allé tout joyeux, en clamant : « bêta, nous tous on perd… ».

A peine Bindjeme Jules eu-t-il fini de parler, que l’on frappa de nouveau à la porte. Ovonenkus ne répondit pas une fois de plus. Même scénario, celle-ci s’entrouvrit, et un autre visage qui lui était connu s’y logea à son tour.

— Entrez, monsieur Assako, entrez donc.

Le monsieur s’exécuta. Ovonenkus lui désigna une place, et l’interrogea sans tarder.

— Alors, de votre côté, qu’en est-il du scrutin ?

— Euh, sous-préfet, R.A.S, rien à signaler. Tout s’est très bien passé. Vous savez que moi je me trouvais au quartier des fonctionnaires. Eux, ils ne sont pas de l’opposition. Ils sont tous du régime. Le PBP a tout raflé.

— Ok. Là ou moins, pas de souci.

— Mais…

— Oui !

— Euh… Sous-préfet, je voulais vous informer de quelque chose qui m’a écœuré.

— Oui, de quoi s’agit-il ?

— Euh… hier soir, Sous-préfet, après que vous nous ayez distribué de l’argent pour nous rendre dans les bureaux de vote que nous devions présider…

— Oui, alors…

— Euh… eh bien, Sous-préfet, plus de neuf personnes sont tranquillement parties se coucher chez elles. Elles ne se sont pas rendues dans les villages où elles étaient attendues…

— Quoi ! sursauta Ovonenkus.

— Oui, sous-préfet, elles ont purement et simplement empoché cet argent.

— Ça alors ! Et… les bureaux de vote ?

— Elles s’en moquent éperdument. Euh… Sous-préfet, vous voyez pourquoi il faut désigner comme présidents de bureaux de vote des responsables politiques du PBP, notre parti politique ? Ces gens-là qui ont disparu dans la nature n’étaient même pas de simples militants de base de notre parti.

— Mais, est-ce qu’elles appartiennent à l’opposition ?

— Non, Sous-préfet, non. Je les connais.

— Ah bon, cela me rassure, car j’ai veillé à ne désigner comme président d’aucun bureau de vote aucun de ces malfaiteurs de l’opposition. Ils allaient tout gâter. Euh… à bien y réfléchir, après tout, tant mieux. Vous allez me com-muniquer les noms de ces individus et des bureaux de vote qu’ils devaient présider. Ainsi, je mettrai 100% pour le PBP. À ceux-ci, ce sera plus simple ainsi.

L’entretien fut interrompu par la clameur incessante en provenance de la cour. « Ebiasé Jacques voleur, Ovambe Paul brandir ». « Ebiasé Jacques voleur, Ovambe Paul bandit ! » « Ebiasé Jacques voleur, Ovambe Paul bandit ! » celle-ci ne faiblissait guère.

Comment acquérir le livre ? : www.amazon.com, taper Enoh Meyomesse.ou cliquer sur ce lien

Lire deux autres textes sur cet auteur  en dessous

http://www.camer.be/51474/2:6/cameroun-litterature-enoh-meyomesse-revient-sur-la-page-ignoree-de-la-rivalite-franco-allemande-avec-son-nouveau-roman-34le-retour34-cameroon.html

http://www.camer.be/53359/2:6/cameroun-livre-vient-de-paraitre-34la-republique-poignardee348207-de-enoh-meyomesse-cameroon.html

Lire aussi dans la rubrique LIVRES

Les + récents

partenaire

canal de vie

Vidéo de la semaine

évènement

Vidéo


L'actualité en vidéo