Afrique, l’instrumentalisation des élections
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Dans de nombreux États africains, les élections nationales sont devenues des mirages de la démocratie, permettant à des régimes autocratiques vermoulus de se maintenir, au grand désespoir des populations.

Sauf de rares exceptions, comme récemment en Guinée, le système onusien, les organisations internationales et régionales ainsi que les principaux partenaires techniques et financiers sont avares d’objections pour mettre en cause des processus électoraux manifestement manipulés par les autorités politiques au pouvoir.
Le dogme des élections nationales

Au nom de la démocratie, il faut « aller aux élections « , coûte que coûte, souvent dans des conditions politiques, sécuritaires et sanitaires qui ne permettent pas des élections, libres, transparentes et crédibles. Ce réflexe pavlovien montre à quel point l’aveuglement et la surdité sont profondément ancrés dans les centres de décisions bureaucratiques, éloignés des réalités du pays en question.

On retrouve les mêmes logiciels, les mêmes experts internationaux en élection, occultant les données objectives du rendez-vous électoral. Dans les pays où règne une mauvaise gouvernance endémique, la fièvre électorale accroît les tensions et souvent la violence. Les résultats sont sans surprise ,car selon le dicton « on n’organise pas des élections pour les perdre ».

De telles élections, souvent organisées à grands frais, ont-elles améliorées les situations au Mali d’Ibrahim Boubacar Keita (75 ans), en Guinée d’Alpha Condé (82 ans), au Niger de Mahamadou Issoufou (68 ans), au Cameroun de Paul Biya (87ans) en RDC de Joseph Kabila, au Burundi de Pierre Nkurunziza (55 ans), au Congo de Denis Sassou-Nguesso (76 ans), en Centrafrique de Francois Bozizé puis de Faustin-Archange Touadera (63 ans), en Guinée Equatoriale de Teodoro Obiang Nguema Mbasogo (76 ans), au Tchad d’Idriss Deby Itno (67 ans), au Gabon d’Ali Bongo Ondimba (61 ans), en Angola de Eduardo Dos Santos puis de Joao Lourenço (66 ans), au Mozmbique de Filipe Nyusi (61ans)..? Le statu quo doit-il être encore recherché à tout prix ? Ne faut-il pas plutôt revoir le système politique ?

Les détournements du processus électoral

Sous les yeux des experts et consultants internationaux, généralement du PNUD et de l’Organisation internationale de la Francophonie, les clans présidentiels n’ont aucune difficulté pour mettre en place les obstacles à un processus véritablement démocratique.Ces obstacles seront souvent jugés, a posteriori, par les organisations internationales comme » n’étant pas de nature à remettre en cause la fiabilité des résultats «.
Dans un premier temps, ces clans, rompus à la corruption et à la prédation, s’assurent de la totale collaboration de la Commission nationale des élections (qui prend diverses appellations avec souvent le qualitatif trompeur d’indépendante) chargée de l’organisation des élections et de la Cour constitutionnelle qui aura à valider les résultats de l’élection.

Les nominations dans ces deux organes constitutionnels sont de la seule appréciation du pouvoir exécutif qui maîtrise ainsi l’amont et l’aval du processus électoral. Les tricheries et fraudes peuvent se mettre en place, en toute quiétude.

Pour l’organisation du scrutin proprement dit, les motifs d’élimination des candidats, susceptibles d’être des adversaires dangereux, ne manquent pas. En dernier recours, la voie judiciaire permet leur inéligibilité. Les démembrements de la Commission nationale des élections, au niveau local, se font de manière unilatérale, rendant ainsi les opérations préélectorales difficilement contrôlables.

Le fichier électoral est rarement mis à jour. Dans les États en proie à des rébellions, il est quasiment impossible de l’actualiser. Que deviennent les inscriptions des réfugiés de l’étranger, des déplacés de l’intérieur et tout simplement les disparus ? De même, d’innombrables citoyens ont perdu leur carte d’électeur tandis que des officines s’activent pour en multiplier de fausses. Les bureaux de vote font souvent l’objet d’une surveillance minimale et faute de la présence de mandataires des partis de l’opposition, menacés et donc en nombre insuffisant, ils permettent rarement des votes sincères et libres. Les bulletins dans les urnes ne sont pas toujours uniquement ceux des votants. Quant au dépouillement et à la comptabilisation des bulletins, la vieille citation de Staline est toujours d’actualité : » ce qui compte ce ne sont pas les votes, mais ceux qui comptent les votes « .

Les crises post électorales

Les résultats, parfois qualifiés de » hold up électoraux » font rarement l’objet d’acquiescements de l’opposition. Le changement par les urnes est très rare. Au Sénégal, Abdou Diouf et Abddoulaye Wade se sont pliés au verdict démocratique des urnes. Ce furent aussi le cas du Nigerian Goodluck Jonathan, du Burundais Pierre Boyoya, du Zambien Rupiah Banda, de la Malawite Joyce Banda, des Béninois Nicephore Soglo et du « Caméléon » Mathieu Kerekou, en 2006 et du Tunisien Moncef Marzouki.

En revanche, d’autres chefs d’Etat s’enfermèrent dans le déni, avant de partir piteusement comme l’Ivoirien Laurent Gbagbo et le Gambien Yahya Jammeh.

Le plus souvent, les élections sont donc fermées à l’alternance et surajoutent une nouvelle crise, mettant à mal l’unité nationale. Des leaders de l’opposition, probablement floués, ne désarment pas et vont continuer leur combat dans la Rue. Ces personnalités aussi crédibles que le Gabonais Jean Ping, le Camerounais Maurice Kamto, le Congolais de RDC Martin Fayulu, le Guinéen Cellou Dalein Diallo et le Togolais Agbéyomé Kodjo, feraient-elles mieux que l’actuel locataire du Palais présidentiel dont le bail a été renouvelé ? On peut se rappeler la victoire, en 2010, du prometteur Alpha Condé, alors âgé de 72 ans où celle de l’accession au pouvoir, à la mort de son père, de Joseph Kabila, alors âgé de 29 ans…Plutôt qu’une simple question de personne pour diriger un pays, peut-être ne faudrait-il pas s’interroger sur la nature du régime politique et l’organisation de l’État.

Des réformes institutionnelles

N’en doutons pas, des bouleversements viendront dans les gouvernances de tous les États de la planète avec les conséquences désastreuses de la pandémie du Covid-19 et de l’effondrement des rentes pétrolières pour certains États. Il y aura également une remise en cause d’un multilatéralisme, beaucoup trop permissif et hors sol, qui a atteint ses limites. Afin d’alimenter le débat, deux pistes peuvent être proposées :

1- renoncer à l’extrême présidentialisation

Le mimétisme des institutions françaises a probablement été trop proche de la copie. Si le bicéphalisme de l’exécutif est à conserver, en revanche un régime de type parlementaire, voire semi-présidentiel, garantirait davantage la crédibilité des élections. Dans de tels systèmes, le président de la république n’est plus la clef voûte des institutions. Il n’est plus élu au suffrage universel direct comme en Allemagne, en Italie ou même s’il l’est, comme au Cabo Verde, il n’est plus le chef de l’exécutif.

La réalité du pouvoir appartient au Premier ministre, chef de gouvernement, qui ne dépend plus du chef de l’État mais reste sous le contrôle d’une Assemblée nationale pluraliste, qui peut le démettre de ses fonctions.

Dans ces conditions, la fonction de chef de l’État, moins attractive, tarit le vivier de candidatures et promeut davantage la sagesse plutôt que les mauvaises pratiques.

Quant aux tricheries et fraudes électorales, elles pourraient se reporter sur les élections législatives. Elles seraient néanmoins plus difficiles, car le contrôle de proximité des citoyens serait plus efficace et le mal-élu ne pourrait pas se protéger avec un parti présidentiel tout-puissant. Quant aux corrupteurs potentiels, leur cible ne serait plus un seul candidat présidentiel national mais des cibles aléatoires parmi les candidats à la députation. Il serait plus difficile de prévoir la nomination du chef de gouvernement qu’aujourd’hui organiser l’élection du président de la république.

2- En finir avec la concentration du pouvoir

Dans les nombreux Etats devenus quasiment fictifs, le président de la république avec quelques conseillers présidentiels, dont la fidélité est souvent d’origine familiale et tribale, accapare les fonctions normalement dévolues au gouvernement. Avec une primauté du Premier ministre, les ministères beaucoup moins nombreux, retrouveraient leur vocation première. L’administration pourrait être revitalisée avec des programmes d’objectifs et de moyens, élaborés avec les partenaires financiers et techniques. Le Secrétariat du gouvernement, organe essentiel, coordonnerait ces programmes et les évaluations des ministères. Enfin de parfaire la déconcentration, les services extérieurs des ministères, souvent disparus depuis des lustres, seraient remis en place dans les régions, les départements et certaines communes.

Les autorités déconcentrées de l’État (préfet) assureraient la tutelle des nouvelles collectivités territoriales, issues des élections locales. Déconcentration et decentralisation sont intimement liées. Ces collectivités territoriales feront le maillage du territoire national, laissé tellement en jachère. Les élections locales doteront les communes et les régions d’organes exécutif et délibératif représentant enfin les populations.

Selon les pays, les chefs coutumiers reconnus pourraient retrouver leur place dans le dispositif administratif. Les projets locaux et régionaux seraient sérieusement pris en compte et réalisés effectivement car élaborés en fonction des priorités locales sous la pression de la population. La Coopération décentralisée avec les collectivités des pays du Nord accompagnerait ce développement local et territorial.

Avec de telles réformes, à la fois institutionnelles et administratives, les élections présidentielle, législatives et régionales pourraient retrouver leur vocation d’origine qui est faire vivre la démocratie et non pas quelques centaines de personnes autour du président de la république. Le moment est bientôt venu de mettre fin à cette mascarade.

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