Covid-19 : Pourquoi le confinement sera si difficile en Afrique subsaharienne ?
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Covid-19 : Pourquoi le confinement sera si difficile en Afrique subsaharienne ? :: AFRICA

Face à la persistance et à la mondialisation de la pestilence covid-19, plusieurs États ont opté pour le confinement.

Au moment où l’Afrique subsaharienne prend le rythme de la macabre danse virale, il semble important de mettre en évidence le fait que cette partie du monde aura besoin d’un effort de guerre exceptionnel pour arriver au confinement de ses populations.

· La fracture numérique

En Occident, plusieurs secteurs, services, institutions et prestations ont, du jour au lendemain, basculé en mode travail à distance afin, d’une part de respecter les mesures de distanciation sociale et, d’autre part, de continuer à travailler malgré le confinement. Ce basculement digital et numérique du travail nécessite, outre des ajustements techniques nécessaires, une machinerie et un appareillage informatiques non seulement de pointe mais aussi fonctionnels. C’est le côté offre des services informatiques et des dispositifs de travail à distance. Il existe cependant aussi un côté demande. Celui-ci ne peut être pertinent que si les populations sont elles-mêmes équipées de façon à pouvoir bénéficier des dispositifs de travail et de service à distance. Or, en Afrique subsaharienne, l’usage inflationniste du téléphone portable est l’arbre qui cache la forêt de la fracture numérique ambiante. Très peu d’entreprises, d’administrations, d’hôpitaux, d’hôtels, d’universités et de services sont équipés adéquatement pour le travail à distance. Cela implique que la continuité des administrations, des universités, des entreprises, de la justice, des hôtels, des hôpitaux et de leurs services implique automatiquement des difficultés pour opérationnaliser la distanciation sociale car les travailleurs et les usagers doivent continuer à se déplacer faute de dispositifs pour offrir et demander les prestations d’un travail à distance. Se pose donc ici, non seulement le problème de la continuité des services publics face au confinement, mais aussi celui de la compensation des structures privées obligées d’arrêter leur fonctionnement faute à la fois d’une capacité digitale de travail à distance que d’une demande équipée de dispositifs de commande à distance. Situation qui peut s’aggraver en zones rurales où la fracture numérique est encore plus poussée qu’en zone urbaine. Comment confiner en zone rurale où femmes, hommes et enfants doivent se déplacer pour bénéficier d’un service hospitalier, administratif, postal ou se rendre dans les plantations ?

· Circuler c’est rester en vie pour des millions d’Africains

Le confinement mise aussi sur une réduction de la circulation pour réduire à la fois la célérité des contaminations, leurs externalités négatives et la connectivité sociale qui servirait de vectrice virale exponentielle. En Occident, il est possible pour des populations individualistes, riches et vivant dans un Etat providence de faire face à l’arrêt de la circulation : certains vendent leurs actifs boursiers, d’autres travaillent à distance, les chômeurs bénéficient de certaines prestations et l’Etat providence prend en charge plusieurs manque à gagner engendré par l’état d’exception. Donc, même si des pertes économiques sont inévitables dans les économies modernes où la circulation est une force motrice centrale, elle n’est pas aussi vitale qu’en Afrique subsaharienne où la vie quotidienne des millions d’Africains en dépend. Autrement dit, si la circulation est une simple valeur libérale en Occident, elle est une pratique vitale en Afrique subsaharienne où des millions d’Africains ne peuvent trouver de quoi se mettre sous la dent qu’en circulant. Des millions d’Africains se lèvent chaque matin en ne comptant que sur leur marche à travers la ville où des rencontres fortuites, des situations fugaces de travail et des visites à des amis sont les seules possibilités de se mettre quelque chose sous la dent ou de gagner quelques sous. Pour cette frange de la population subsaharienne le choix revient à rester chez soi et mourir de faim, ou transgresser le confinement, être contaminé et transmettre la maladie aux autres. La question posée ici est celle de savoir comment les très pauvres des Africains vont être nourris et soignés dans une situation de confinement sachant qu’ils sont majoritaires ? Quid de ceux qui sont obligés de fuir le crépitement des armes en se déplaçant en groupes avec femmes, enfants et grands-parents ?

· L’économie dite informelle est une économie de foule et de proximité sociale

La majeure partie des Africains au Sud du Sahara vit de l’économie dite informelle. En d’autres termes, des familles entières ne gagnent leur vie, n’éduquent leurs enfants, ne mangent et ne se soignent que grâce aux gains générés par l’économie dite informelle. Cette réalité pose deux problèmes majeurs au confinement. Premièrement, ladite économie est une économie de foule qui fait foule et trouve en elle son dynamisme interne. C’est une économie qui nécessite une massification sociale car elle se tient en plein air dans des lieux de forte affluence incompatibles avec le confinement. Deuxièmement, l’économie dite informelle est aussi une économie réticulaire, de connectivité sociale, de parole et axée sur les liens de confiance et de proximité. Une économie assise sur des réseaux de familles, de clients, d’amis et de commerçants où la proximité géographique et sociale compte beaucoup dans les transactions en face à face. C’est donc une économie qui peut être un foyer de diffusion du coronavirus d’une puissance exceptionnelle. Nous ne pensons pas que les populations subsahariennes sont indisciplinées ou inconscientes au point de préférer l’économie informelle à leur vie. La question centrale revient à se rendre compte que la majeure partie de la population subsaharienne connait un chômage massif et que cette économie dite informelle est ce qui la maintient en vie. Le choix ici est cornélien. Il revient, en l’absence d’un Etat providence, à choisir entre respecter le confinement et mourir de pauvreté chez soi ou transgresser le confinement mais mourir de coronavirus parce qu’on a voulu gagner sa vie en continuant son activité de vendeurs à la sauvette, de bayam-sellam, de moto-taximan ou de taximan.

· Bidonvilles et sociétés holistes ou l’impossible distanciation sociale

Tout n’est pas de confiner ou de demander le confinement. Le plus important est de savoir si ce confinement peut avoir des effets escomptés notamment la distanciation sociale à travers l’adoption de gestes barrières à l’épidémie. Mais la distanciation sociale est-elle possible dans des bidonvilles habités par une société holiste et communautaire ou le sel, l’eau, le sucre et parfois les ustensiles de cuisine se prennent chez le voisin alors que WC, douches et vérandas sont très souvent des espaces communs à plusieurs familles ? Comment concevoir et penser un geste barrières lorsqu’une trentaine de personnes utilisent le même WC dans un bidonville subsaharien ? Lorsqu’on va chercher le sel et l’huile de cuisson chez le voisin ? Lorsqu’on puise l’eau chez le voisin ? Lorsque votre véranda se trouve être le chemin qu’empruntent les passants vers la ville ? Lorsque que c’est l’absence de barrières sociales qui vous fait vivre ? Autant de questions qui attestent de la difficulté d’un confinement dans une société holiste, pauvre et tapissée de bidonvilles marquées d’une grande promiscuité et proximité sociale et géographique entre les populations. Cas qui peuvent devenir encore plus compliqués si on tient compte du fait que dans certains pays l’eau potable, nécessaire au respect scrupuleux des consignes d’hygiène est parfois une denrée rarissime. À cela s’ajoute la synonymie parfaite entre la bidonvilisation et la dégradation des conditions basiques d’hygiène. Réalité qui ne peut rendre efficace le confinement contre la propagation du coronavirus. Il faut donc se rendre à l’évidence suivant laquelle la distanciation sociale et le confinement sont presque impossibles dans les bidonvilles subsahariens où, par ailleurs, les grands parents plus vulnérables au coronavirus, vivent sous le même toit que les enfants et les petits enfants.

· Dieu reste l’alpha et l’oméga…

Le dernier paramètre pouvant porter un coup négatif aux mesures de confinement et de distanciation sociale est le fait que l’Afrique subsaharienne en général est encore imbibée de religion et de croyances populaires. Le fait que les religions soient encore si prégnantes entraîne

que les populations font plus confiance à la protection divine qu’à la capacité humaine d’échapper à des situations difficiles. Ceux qui vont mourir mourront parce que Dieu l’aura décidé et ceux qui resteront en vie le seront aussi parce que le même Dieu l’aura aussi décidé. Autrement dit, si le confinement, la distanciation sociale, les gestes barrières et la médecine ne peuvent rien face à la volonté de Dieu, il ne sert à rien de les respecter à la lettre car le dernier mot n’appartient pas aux Hommes mais à Dieu. Pas encore au stade des sécularisation interne et externe, la société subsaharienne reste une société soumise à une rationalité théocratique qui agirait sur le monde en surplomb.

Thierry Amougou, Economiste, pro. UCL, Belgique. Dernier ouvrage publié, L’esprit du capitalisme ultime. Démocratie, marché et développement en mode kit, PUL, 2018.

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