Échange entre Macron: Analyse de Clause Assira
CAMEROUN :: POINT DE VUE

CAMEROUN :: Échange entre Macron: Analyse de Clause Assira :: CAMEROON

Répondant récemment en marge du salon de l'agriculture à la question d'une personne présentée comme un activiste (sa nationalité est de peu d'importance, la question posée - sur les droits humains - étant transnationale), le président français Emmanuel Macron a indiqué qu'il ferait tout pour mettre un "maximum de pression" au Président Biya, président de la République du Cameroun pour qu'il mette fin aux "massacres", au "génocide" de l'armée camerounaise contre les populations civiles dans la crise qui sévit depuis plus de trois ans dans les régions d'expression majoritaire anglaise du Nord et du Sud-Ouest du Cameroun.

Évidemment, cette liberté dans la parole d'un président de la République n'a pas manqué de surprendre ici et de choquer là.

Pour beaucoup, paraphrasant le titre d'un ouvrage critique sur François Hollande, "un président ne devrait pas dire ça"...
Certes, cette manière de s'exprimer sans filtre, ni réserve n'est pas courante dans le monde de la politique et de la diplomatie mais, s'en offusquer, c'est ignorer que, ce mode d'expression est précisément en train de changer. On se souvient de l'émoi suscité par l'ambassadeur des États-Unis qui, au sortir d'une audience que lui avait accordée le même Président de la République du Cameroun quelques mois avant l'élection présidentielle d'octobre 2018 s'était empressé de divulguer le contenu de l'entretien à huis clos avec celui-ci au cours duquel il révèle lui avoir demandé de passer la main ou du président américain, D. Trump parlant des pays sous-développés comme étant des "pays de merde"...

Certes, ce mode d'expression peut choquer, mais, les populations contemporaines, lassées par des discours compassés qui tiennent peu compte de leurs réalités de vie, ont fini par envoyer aux affaires des personnes qui leur ressemblent et parlent de choses concrètes dans un langage qui leur est facilement accessible. On devra donc s'habituer à ce changement de paradigmes langagiers qui fera qu'on appelle un chat un chat et que les secrets d'alcôves soient sur la place publique.

Ce qui devrait, à mon sens choquer le plus, c'est cette impression de deux poids, deux mesures. En effet, les mêmes causes qui donnent lieu au discours si viril du président français semblent faire l'objet de plus de complaisances hexagonales. C'est le cas en Arabie-Saoudite, en Chine, etc. où les atteintes aux droits des populations n'ont fait, lorsqu'elles ont été évoquées que l'objet de recommandations prudentes. Beaucoup ont donc vu dans les propos du président français, une marque de mépris, voire la manifestation d'une ingérence intolérable, voire plus, la planification d'un dessein de destabilisation.

Assez paradoxalement, les mêmes ne s'étaient pas autant offusqués des propos, il y a quelques mois du président Paul Biya lors d'une récente visite en France qui, sur la question d'un journaliste, expliquait alors ingénument avoir "rendu compte" à son jeune homologue français du "grand débat national" sorte de forum qu'il avait organisé pour régler des questions purement internes dont notamment la même question anglophone. Le fait qu'il ait cru devoir faire le déplacement en France pour "rendre compte", n'apparaît pourtant pas comme la marque d'une grande souveraineté...

Quoi qu'il en soit, et tout aussi paradoxalement, la sortie pour le moins tonitruante du président Macron en marge du salon de l'agriculture a été habilement utilisée par le régime camerounais pour se relégitimer. Celui-ci n'a pas omis de surfer avec une certaine agilité sur la corde patriotique et "souverainiste" afin d'acquérir auprès de l'opinion l'image de la victime persécutée par un ancien colonisateur avide et uniquement mû par une volonté prédatrice, celle de s'accaparer ses richesses naturelles. Le plus surprenant est que cette théorie fonctionne. Elle est reprise et c'est étonnant, par les politiques camerounais de tous bords, y compris de l'opposition. Elle est reprise par les intellectuels et universitaires qui évoquent le syndrome de la Libye ou de la Côte d'Ivoire, pays dans lesquels les interventions françaises qui ont eu en prélude des propos aussi peu amènes, avaient entraîné les conséquences que l'on sait et où de toute évidence, c'est le remède qui a entraîné la mort du patient plus vite encore que le mal tel que diagnostiqué d'Europe.

La théorie de l'ingérence mortifère est enfin reprise par une grande frange de la population. Celle-là même qui souffre, depuis de longues décennies des dérives d'un regime dont on voit bien le début d'une agonie qui peut déboucher sur n'importe quel type de scénario aux conséquences inimaginables...

Pour l'instant et une fois encore, la stratégie de diabolisation et l'utilisation de la ruse de l'astuce, de vieilles ficelles démagogiques ou de l'habileté manœuvriere pour survivre a fonctionné et le régime du Président Biya semble s'être donné quelques jours, peut-être quelques semaines ou quelques mois de répit encore en attendant le prochain scandale qui semble être sa marque de fabrique. Mais, à sa place, plutôt que des rustines de ce type, j'envisagerais de vraies réformes de structure et de comportement. C'est d'une révolution de mœurs de gouvernement que le Cameroun a besoin aujourd'hui...

Le traitement de la crise anglophone par les autorités camerounaises est, depuis le premier jour de son apparition, inapproprié : variant entre déni et mépris, il a fini par tourner en une vraie guerre civile dont les protagonistes ont souvent eux-mêmes perdu la maîtrise, quoiqu'ils en disent. De même qu'aucun Etat ne peut céder une partie de son territoire, les exemples de pays ayant vaincu par les armes une guérilla interne ne sont pas légion. La mesure de ce conflit n'a jamais vraiment été prise et ce n'est pas les objurgations présidentielles qui changeront la donne de si tôt. Il faut donc faire autre chose. Pour cette région-là mais, aussi, pour le reste du Cameroun.

Chaque jour, l'urgence presse et quoiqu'on dise, désormais, le ver est dans le fruit. Le libre propos du président Macron n'en est qu'un révélateur--un de plus - à l'échelle internationale...

Lire aussi dans la rubrique POINT DE VUE

Les + récents

partenaire

Vidéo de la semaine

évènement

Vidéo


L'actualité en vidéo