Elections 2020 : et si elles permettaient de faire un diagnostic
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Les élections législatives et municipales du 09 février 2020 au Cameroun ont eu lieu, et les résultats des municipales sont désormais connus. Elections programmées par le pouvoir en place, mais qui ont été différemment accueillies par la classe politique : refusées par les uns, acceptées par les autres, ignorées par certains. Une fois tenues, les résultats qui en sont sortis jusqu’ici et le taux de participation, peuvent faire l’objet d’une étude pour les sociologues et les politologues, en mesure de poser un véritable diagnostic du mal profond qui mine la société camerounaise.

De l’avis des observateurs indépendants, que ce soit Transparency International Cameroun, la Conférence épiscopale du Cameroun, Dynamique Citoyenne, de l’avis également des acteurs politiques en dehors du gouvernement, la participation à ces élections a été la plus timide jamais connue au Cameroun, le taux d’abstention se situant autour de 70%. Lors de l’élection présidentielle du 7 octobre 2018, le taux de participation était de 53,85%, soit un taux d’abstention de 46,15%. Pour celle de 2011, ce taux d’abstention était de 32,80%. Il s’agit là des chiffres officiels, qui sont toujours sujettes à caution, le pouvoir essayant chaque fois de les rendre un peu plus digestes.

La réalité des chiffres

Cette fois-ci encore, il est possible d’après les soupçons des avertis, que pour « arranger » les chiffres et donner meilleure image, le pouvoir modifie le taux d’abstention au moment de procéder à la compilation finale des chiffres, mais l’économiste Dieudonné Essomba prévient : «il n’y a aucune intelligence à fabriquer des taux de participation élevés alors que le monde entier a vu un taux très faible. Loin de grandir le régime, ce genre d’affabulation aggrave plutôt le sentiment d’un groupuscule aux abois obligé de recourir même aux mensonges les plus éhontés.

Le Gouvernement n’a pas à cacher la forte abstention, au risque de conforter les partisans du boycott dans un fallacieux succès. Nous ne sommes pas dans le boycott, mais dans une désaffection généralisée de la chose politique, liée d’une part à l’absence d’enjeu électoral significatif, mais surtout à une sorte de lassitude devant un manque total de perspectives de résolution des problèmes du Cameroun. »

Lassitude, désintérêt, indifférence. En dehors du gouvernement, les communautés nationales et internationales, s’accordent pour dire que tout cela est le propre de la population camerounaise dans l’ensemble vis-à-vis des élections, hormis celle qui compose le parti-état et qui s’en nourrit. Le constat est désormais implacable, froid, et résiste à toute les manipulations des consciences orchestrées par la machine administrative.

Boycott et désaffection

L’une des explications du faible taux de participation aux élections du 9 février 2020, l’économiste ne la trouve pas dans l’appel au boycott, mais pense qu’elle se trouve dans la faillite d’un système : « Ce sont tous ces échecs qui ont créé la désaffection des populations et non un quelconque mot d’ordre. Et à voir le discours du Chef de l’Etat à la jeunesse, on voit bien que ni le président Biya, ni son entourage n’ont rien compris. En effet, ce discours consacre cette vision totalement passéiste d’une gouvernance basée sur les « Grands Camarades », les « Timoniers », les « Uniques miracles », les « Mont-Cameroun de la pensée », tout ce tralala des régimes obsolètes, où un individu prétend prendre sur son dos toute la misère du pays et se positionne comme une divinité magique chargé de le développer par son charisme, en mettant les citoyens de côté. C’est un modèle qui a échoué partout.

Un Chef de l’Etat n’est qu’un agent public et il n’est que cela. Sa mission est d’utiliser les ressources collectives pour répondre aux besoins collectifs de la Nation. Il n’est pas et ne saurait jamais s’assimiler à une sorte de divinité magique qui, par le biais de sa parole, distribue les biens et le bonheur. » En tout état de cause, les chiffres issus de ces élections devraient faire l’objet d’une première étude.

Repli identitaire

L’autre étude se fondera sur le deuxième constat fort de ces élections, le repli identitaire désormais très marqué. Sans conteste, le discours de la haine et de la division nourrit au sein de la société camerounaise depuis l’élection présidentielle de 2018 n’est pas resté sans effet. Savamment mis en pratique notamment par les casses de Sangmélima du 13 octobre 2019, qui n’étaient autre chose que de la chasse au supposé « étranger », le rappel brutal et violent à un citoyen qu’il n’a pas le droit d’adhérer à un parti autre que celui du fils du village, appuyé par la traque au faciès opérée lors des arrestations suite aux marches blanches et autres, tout cela a renforcé le sentiment du repli identitaire, qui s’est traduit au cours de ces élections aussi bien dans le vote que dans le boycott.

Dans une déclaration rendue publique le 11 février 2020, le Rassemblement des upecistes affirme qu’ils ont « assisté à un renforcement notable du vote communautariste et désormais du boycott communautariste. » Charles Cacharel Nforgang, un candidat pour le compte du Social democratic Front aux municipales dans l’arrondissement de Douala Veme, précise : « Ces élections confortent l’enracinement des clans, du communautarisme et la préservation des privilèges acquis. On y comprend que les candidats ne sont pas élus pour un quelconque projet de société. On y apprend aussi que la famine, les difficultés de la vie, la quête de la pitance quotidienne, le culte de la personnalité des leaders politiques enivrent les Kamerunais. On en tire la leçon, que, pour une communauté bien identifiée, une communauté adepte de la fourberie, que je refuse de nommer ici, le pays peut basculer à gauche ou à droite, sombrer, mais tant que leurs privilèges ne sont pas menacés, cette communauté reste imperturbable. »

Mal profond

Tout ce qui est relevé jusqu’ici n’est qu’un constat de surface, le problème étant désormais plus profond qu’on ne l’imagine. C’est ici que les éminents docteurs, professeurs et autres experts devraient entrer en jeu. Les départements de sciences politiques et des sciences humaines des universités d’Etat et même privées, devront se saisir du cas Cameroun en ce qui concerne le comportement des populations face aux élections, et fournir des analyses aussi profondes que le problème, assorties bien sûr des propositions, les vraies. En attendant, un dernier constat de Dieudonné Essomba est implacable : « ce qu’on reproche au régime de Biya est justement là : paralyser les Camerounais avec une idéologie asséchante de l’unité nationale qui, in fine, se résume en la création d’une bureaucratie parasitaire qui ponctionne les maigres ressources de la nation pour alimenter un train de vie somptuaire tout en prétendant développer le pays. »

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