Etoudi, le toast de la mort
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Rien ne les arrête. Comme si les malheurs de tout un peuple nourrissaient leur égo, comme si la décrépitude de la nation lubrifiait leur désir de puissance, ceux qui nous gouvernent n’ont de cesse d’exhiber leur bien-être, d’afficher leurs artifices de richesse. Ils dansent quand Bamenda brûle. Ils festoient quand Buea est en feu. Ngouache les fait sourire et Boko Haram devient un loisir. Tout se passe comme s’il était question de défier la plèbe, de narguer les misérables qui osent contrarier leur pouvoir atavique. La jouissance ostentatoire se mue alors en mode de gouvernement.

Il y a trois ans, le Roi-président a lui-même ouvert le grand bal des réjouissances en s’offrant une limousine aussi longue que son règne alors même que le sang commençait à couler à flots dans le Noso. Depuis, sa horde de serviteurs et de courtisans s’en est donné à coeur joie. Certains sont repassés chez le concessionnaire pour acquérir une berline dernier cri. D’autres se sont mués en bâtisseurs et rivalisent désormais d’adresse dans la construction de gratteciels. D’autres encore ont préféré des choses plus triviales. Des fêtes en n’en plus finir souvent retransmises en direct à la télévision. Mariage du fils par-ci, baptême de la fille par-là, anniversaire de la cousine plus loin, tout est bon pour faire couler du champagne. Et quand la Reine-présidente se mêle à la danse, les notes se tendent et la note se corse. Elle fait venir le chanteur Singuila pour célébrer ses 49 ans. On sait que pour ce genre de prestation le chanteur d’origine Centrafricaine et congolaise n’émarge pas à moins de 20 millions de Fcfa.

Quelques semaines plus tard, elle remet le couvert et convie la mégastar nigériane Wizkid pour des agapes (endiablées) de fin d’année. Les tarifs de Wizkid dans le Showbizz sont connus. Il ne se déplace pas pour moins de 5O millions de Fcfa. La vidéo qui circule met en scène une Reine hilare et débridée qui accompagne les pas de danse de sa fille avec le jeune chanteur. Que l’on se comprenne bien. Le portail des camerounais de Belgique (@camer.be) . A la limite ce n’est pas ce gaspillage institué au sommet de l’Etat qui choque. Le fait n’est d’ailleurs pas nouveau et ne saurait émouvoir les Camerounais que nous sommes. Ce qui révulse c’est la médiatisation qui en est faite. C’est cet exhibitionnisme malsain et indécent. Ce m’as-tu vu éhonté alors même que le pays traverse l’une des périodes les plus tragiques de son histoire. Et qu’on n’aille pas nous faire croire que ces images ont été prises à l’insu des principaux concernés. Nous parlons du sommet de l’Etat où faire respecter un huis clos n’est qu’une routine.

Grotesque et obscène

A l’évidence, ceux qui nous gouvernent veulent ainsi se mettre en scène. Et pourquoi donc ? Ont-ils perdu toute once d’humanisme ? Sont-ils si insensibles aux lamentations d’un peuple aux abois ? Il est difficile d’évoquer cette obsession pour la fête (teintée d’indifférence macabre pour le peuple) sans se référer au décryptage qu’en fait Achille Mbembe. « Le grotesque et l’obscène font partie de l’identité propre des régimes de domination en postcolonie », écrit le philosophe camerounais. Une propension à la luxure qui s’accompagne nécessairement d’une inflation libidinale perceptible à toutes les strates du pouvoir.

Le spectacle désolant de fillettes défilant en longueur de journée dans les administrations publiques (parfois en tenue de classe) en dit long sur l’appétence de ces hommes pour la « chair fraiche ». C’est « L’obsession des orifices, des odeurs et des organes génitaux domine », notre Mbembe reprenant en cela les vues du romancier congolais Sony Labou Tansi. « Cette prévalence des orifices et des protubérances doit être interprétée en relation à deux facteurs parmi plusieurs autres. Le premier découle du fait que le commandement, en postcolonie, est d‘un tempérament luxurieux. Fêtes et réjouissances constituent, à cet égard, deux des modalités privilégiées par lesquelles il s’exprime. Mais la langue de ses formes et de ses symboles, ce sont, avant tout, la bouche, le pénis et le ventre », précise-t-il.

« Tout rapport à la bouche, au ventre ou au pénis est, par conséquent, un discours sur le monde et sur la richesse, sa capture, sa reproduction et sa dissipation ; une façon de s’auto-interpréter, de négocier avec le monde et avec les forces qui le meuvent », écrit-il encore. Avec Mbembe tout s’éclaire donc : « Fêtes et réjouissances constituent des modalités par excellence de l’expression du commandement. L’obésité des hommes au pouvoir, leur embonpoint, ou, plus prosaïquement, le flot d’excréments qui en sont la contrepartie font signe au peuple qui joue, rit, s’amuse et, occasionnellement, mange. Ils font partie du système d‘indices et de traces que le commandement laisse sur son parcours, permettant ainsi que l’on puisse suivre les itinéraires qu’empruntent la violence et la domination et, qu’au besoin, on puisse les reproduire y compris dans les sites les plus reculés et les plus minuscules de la vie quotidienne ».

Pour le penseur la bouche, le ventre et le pénis dont traitent les actes verbaux et le rire populaire disent avant tout un rapport au temps, au jeu, au plaisir, à la mort. Il se dit qu’à Etoudi ils ont dépensé jusqu’à un milliard de Fcfa en frais de champagne pour cette fin d’année. Sans doute ontils trinqué au sang qui coule. C’est l’essence même de leur pouvoir.

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