Thierry Amougou "Le dialogue national est aussi une école, un apprentissage à la démocratie"
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En prélude au Grand Dialogue National prescrit par Paul Biya le président de la République du Cameroun, un rendez-vous qui devrait trouver une issue favorable à la resorption de la crise politico-militaire qui secoue les régions anglophones du Cameroun depuis trois ans. Camer.be est allé à la rencontre de Thierry Amougou.A coeur ouvert, le Macro économiste hétérodoxe, professeur à l'Université Catholique de Louvain en Belgique et directeur du Centre de recherches interdisciplinaires en sciences sociales (CriDis) a accepté de répondre à nos questions. Lisez plutôt...

Comment avez-vous accueilli l’annonce du Grand Dialogue National (GDN) par Paul Biya le chef de l’Etat ?

Bonjour à tous et à toutes. Merci de me permettre de parler du Grand Dialogue National.Sans être proche du pouvoir ni du pouvoir j’ai accueilli favorablement l’annonce du GDN par Paul Biya non parce que ce Grand Dialogue National est parfait en tant que geste politique, mais parce qu’il va dans le sens d’une possible conversion du climat politique – notamment au NOSO – d’une situation de guerre ouverte et meurtrière vers une situation de paix. Lorsqu’on est épris de paix, on ne peut détourner le regard de la moindre initiative ou possibilité capable de sortir une société d’un état de guerre civile. Pour construire le Cameroun, sa démocratie, son économie et son développement, nous avons tous et toutes besoin de la paix comme ressource collective car la guerre au NOSO est une ressource privative qui ne profite qu’à trois catégories de Camerounais : ceux qui contrôlent l’économie de guerre ; ceux qui veulent que la guerre continue afin que le régime tombe et prennent le pouvoir ; et ceux qui tirent les ficèles de cette guerre pour leur propre promotion politique. Cela ne veut pas dire que la crise anglophone ne soit pas causée par des revendications légitimes et concrètes mais tout simplement que le Grand Dialogue National est justement une lueur d’espoir à saisir pour essayer de trouver des solutions durables aux problèmes que rencontrent tant nos compatriotes d’expression anglaise que le reste de la population camerounaise.

Le fait que je ne sois pas totalement satisfait du format et des conditions du GDN n’est pas pour moi supérieur à l’espoir que j’y vois, c’est-à-dire à la possibilité qu’il donne de permettre aux Camerounais et Camerounaises de mettre fin à la guerre civile en discutant avec eux-mêmes. C’est donc aux acteurs politiques et à la société civile d’améliorer le format de départ de ce GDN afin que cette initiative politique soit profitable au pays en aval. Autrement dit, ce GDN est aussi une école, un apprentissage à la démocratie car être démocrate n’est pas une qualité naturelle mais un travail, un apprentissage qui prend du temps. Les Grecs faisaient cet apprentissage dans l’Agora, les Romains dans le Forum et l’Afrique historique sous l’Arbre à Palabre dont ce GDN est une forme camerounaise en 2019. Il peut nous sortir du vivre ensemble belliqueux actuel si le gouvernement camerounais, la classe politique et la société civile camerounaises travaillent dans le sens de l’intérêt général.

Etant parmi les leaders d’opinions au sein de la diaspora camerounaise de Belgique, avez vous été conviés aux réunions menées cette semaine à l’ambassade du Cameroun en Belgique ?

Je ne sais pas si je fais partie des leaders d’opinions dans la diaspora camerounaise de Belgique. Je me considère surtout comme un homme libre qui essaie de penser par lui-même sans prétendre avoir raison sur les mouvements de foule dont je me méfie tout de même. J’essaie de rester un esprit libre, critique et transmetteur de mon regard sur les choses, les hommes, le monde et leurs évolutions.

Cela étant, ma réponse à votre question est oui et non. D’abord non parce que je n’ai pas reçu une invitation officielle et nominative de l’Ambassade du Cameroun en Belgique pour prendre part à l’étape belge des consultations relatives au GDN et parce que je n’étais pas au courant de la programmation des réunions dont vous parlez à l’ambassade du Cameroun en Belgique.

Cependant, voulant faire des propositions sans savoir quand et où il fallait les faire, j’ai envoyé, le lundi 23/09/2019, le mail suivant à l’ambassade du Cameroun en Belgique : « Bonjour chers compatriotes. J'aimerai savoir quand est-ce le Grand Dialogue National sera organisé en Belgique car j'aimerai envoyer mes propositions ou y prendre part ». J’ai donc été invité à remettre mes propositions le mercredi 25/09/2019 à 14 heures. Ce que j’ai fait.

Cela dit, je n’ai pas été invité officiellement par l’Ambassade mais j’ai manifesté mon intérêt et demandé à être invité pour transmettre mes propositions.

J’ai tenu à transmettre mes propositions, non seulement parce que j’ai des idées à revendre pour mon pays le Cameroun, mais aussi parce que je voulais prendre le Président Biya au mot étant donné que son discours vaut invitation officielle pour tout le monde. Pour le dire simplement, vous, moi et tous les autres Camerounais de la diaspora, leaders d’opinions ou pas, partis politiques, associations étions tous invités officiellement par le discours de Paul Biya. Mais le dialogue n’est possible que si nous ne sommes pas des intégristes politiques intolérants aux avis de ceux qui ne pensent pas forcément comme nous. Nous ne pouvons pas faire de ce dialogue un évènement positif pour notre pays si nous ne contribuons pas à sa réussite en sortant d’un radicalisme qui revient à penser que nous sommes les seuls à avoir raison sur le Cameroun. Balayer cette initiative d’un revers de main parce que nos conditions préalables ne sont pas remplies est une attitude dictatoriale dans une société car elle consiste à dire que c’est notre vérité personnelle qui est la seule alors que le dialogue a pour objectif de produire une vérité collective sur le pays. La vérité politique d’un pays ne peut être que collective, elle n’est jamais individuelle. Elle ne peut être que relative, jamais autonome de façon radicale tout simplement parce qu’une société est multiple et diverse.

Faire des propositions n’est pas nouveau pour moi. Dans le « Biyaïsme », mon ouvrage publié en 2011, la critique dure que je fais du régime de Yaoundé est suivie de 32 propositions de politiques économiques et sociales pour le Cameroun.

Si vous y étiez convié. Que seraient vos suggestions pour ce Grand Dialogue National (GDN) ?

Je ne peux répondre complètement à votre question. Je vous propose de publier intégralement les propositions que j’ai faites pour le GDN afin d’être complet dans ma réponse. Néanmoins, j’ai fait des propositions méthodologiques, des propositions politiques d’ordre général et des propositions politiques de l’ordre du « state-building » et du « nation-building ». Mes propositions méthodologiques insistent sur la méthode à mettre en place pour que le GDN soit profitable et utile à la société camerounaise. C’est un aspect que les gens négligent mais de la méthode du GDN va dépendre son issu et ses résultats. D’où mon insistance sur une méthode qui instaure une confiance réciproque entre les parties prenantes et qui trouve un équilibre entre les règles de contrôle de l’Etat et les règles autonomes du GDN au sens de méta-organisation, c’est-à-dire d’une organisation d’organisations. Mes propositions politiques d’ordre général sont celles que ressassent depuis plusieurs années l’opposition camerounaise. Je propose que le chef de l’Etat les mette en place afin qu’il finisse sa trajectoire politique en installant le pays dans une démocratie profonde : présidentielle à deux tours ; maximum deux mandats à la tête de l’Etat ; commission électorale indépendante ; fin de la discrétion du calendrier électoral ; critères objectifs de répartition des fonds de campagnes aux candidats à l’élection présidentielle….Enfin, très nombreuses, mes propositions politiques de l’ordre du « state-building » et du « nation-building » visent spécifiquement la crise anglophone et les enseignements de la crise anglophone sur le reste du pays. Une d’elle est l’institutionnalisation d’une journée camerounaise de la mémoire politique afin que le pays et ses régions célèbrent les héros de son histoires politiques. Ces festivités doivent être décentralisées afin que des personnages qui comptent localement puissent être célébrées dans leurs localités (vous aurez plus de détails en publiant toutes mes propositions). Un esprit accompagne cependant toutes mes propositions : a) Que le GDN devienne une pratique politique institutionnalisée au Cameroun avec une certaine périodicité afin que les Camerounais en fassent un rendez-vous politique pour discuter de leurs problèmes et chercher des solutions à ceux-ci ; b) Rendre permanent le travail politique nécessaire à la construction de la nation camerounaise.

Beaucoup estiment que l’enseignant et chercheur que vous êtes aurait des ambitions politiques. Qu’en répondez-vous ?

Vous me faites rire…Je ne sais pas déjà à la place de qui est mis l’adverbe beaucoup. Ceux-là ont peut-être une ambition politique pour moi à mon insu. Merci pour l’intérêt qu’ils accordent à ma modeste personne.

Qu’à cela ne tienne, je vais y répondre. Les gens dont vous parlez sont certainement non seulement très en retard, mais aussi dans une approche restrictive de ce qu’on entend par politique. Je fais déjà « la politique » de plusieurs façons depuis longtemps. Premièrement, comme professeur d’universités, je forme des citoyens en Europe et en Afrique à travers mes cours, mes séminaires et mes conférences. C’est une façon de construire l’avenir. Deuxièmement, comme chercheur, je participe à la création et la promotion d’idées qui sont la base des politiques publiques. Troisièmement, comme évaluateur certifié des politiques publiques, j’oriente par mes évaluations et mes recommandations plusieurs politiques gouvernementales en Belgique et dans des pays africains qui font appel à moi dans ce domaine. Quatrièmement, je fais de la politique comme citoyen engagé. Il ne vous a pas échappé que j’ai dirigé la Fondation Moumié pendant quatre ans et que celle-ci avait pour ambition un travail de vulgarisation et de promotion de la mémoire politique des luttes africaines de libération.

Faire de la politique ne se limite donc pas à être à la tête d’un parti politique ou en être membre dans le but de conquérir le pouvoir. Je ne considère pas ceux qui sont dans la conquête du pouvoir comme des tarés mais tout simplement comme des hommes et des femmes qui n’ont pas le même statut que moi car je n’ai jamais eu la carte d’un parti politique ni caressé une quelconque ambition allant dans ce sens. J’ai peut-être tort mais je pense ne pas être très mauvais dans mon travail de professeur et de chercheur où je suis très heureux intellectuellement. Je préfère encore l’éclairage de la caverne du savoir à l’éclairage des salons feutrés du pouvoir politique.

Au niveau de la diaspora, certaines voix s’élèvent pour dénoncer le fait que ce dialogue risquerait d’être un monologue, en lieu et place d’une pratique collective de la démocratie véritable. Qu’en pensez-vous ?

Je commencerai par vous signaler que votre question est au conditionnel, signe que ces voix sont dans le soupçon, la supposition, l’absence de confiance a priori et la prétention de détenir, non pas une vérité, mais la vérité. Le grand paradoxe ici est que se sont justement les carences démocratiques que ces voix dénoncent en filigrane que vise à atténuer le GDN. De là le fait que la critique se morde la queue en critiquant ce qu’elle a longtemps demandé sans se mettre au travail pour améliorer une initiative qui, sans être parfaite, va dans le sens de la concertation. Rejeter le GDN sans même lui donner une petite chance est une attitude qui peut avoir plusieurs explications : elle peut être la manifestation subjective d’hommes et de femmes qui réclamaient le dialogue sans le vouloir réellement puisqu’ils visaient la continuation de la guerre pour arriver à leurs fins politiques ; elle peut traduire le fait que réclamer le dialogue était juste un paravent politique alors que ce que l’on veut réellement c’est le départ de Paul Biya du pouvoir ; elle peut traduire le rêve de certains compatriotes d’une démocratie parfaite au Cameroun alors que nous sommes, après 50 ans d’indépendance, dans une Afrique en apprentissage démocratique ; elle peut enfin être la stature d’intellectuels populistes qui invoquent le peuple camerounais à tout bout de champ alors que celui-ci reste introuvable tant dans leurs actes politiques sur le terrain africain que dans leurs prolégomènes révolutionnaires.

Cette attitude est aussi politiquement inconséquente car si nous sommes d’accord que notre pays n’est pas encore une démocratie, ceux qui revendiquent immédiatement ce que vous appelez « une pratique collective de la démocratie véritable », pensent-ils que le GDN va faire du Cameroun une démocratie parfaite tout de suite ? Attitude irréaliste et contrefactuelle lorsqu’on sait que de vieux pays sont toujours à la recherche d’une démocratie parfaite. Comme je vous l’ai dit plus haut, le GDN participe aussi de notre apprentissage à la démocratie. Il faut accepter de le considérer aussi comme une école de la rencontre avec l’autre aux idées contraires, une école de l’écoute de l’autre, une école de la tolérance et une école de la construction d’un projet commun de vie après une constellation d’idées et de débats. Si comme le disent certains, le GDN risquerait d’être un monologue, c’est à tout le monde de prendre ce risque et de travailler pour que le GDN soit le moment où la cartes de nos questions éternelles, de nos questions d’actualités et de nos questions locales sur le Cameroun rencontrent les bases politiques d’un nouveau vivre ensemble harmonieux.

Selon vous cette grande messe politique pourrait-elle mettre un terme à la crise anglophone ?

« Cette grande messe politique », d’après votre expression, doit bénéficier de toutes nos prières afin qu’elle reçoive l’onction populaire, ce qui nécessite que toutes les forces vives du pays jouent réellement le jeu.

Dans la vie il y a deux catégories d’acteurs. Ceux qui ne tentent rien parce qu’ils redoutent le risque de perdre et restent dans leur confort d’acteurs sans initiatives mais aussi sans capacité d’innovations, de conversions et de réussites. Puis ceux qui savent que les risques d’échecs, et de pertes existent mais tentent des choses. Quoique ces derniers connaissent plus souvent l’échec que les premiers, ils sont cependant les seuls qui peuvent innover et aboutir à des réussites mémorables. Je ne sais pas si le GDN réussira à sortir notre pays de la guerre civile, mais je pense que si tout le pays adopte la stratégie de la deuxième catégorie d’acteurs, il peut y avoir une grande chance de le faire.

J’aimerai conclure en précisant deux choses :

· Le GDN devrait se faire suivant l’esprit de la commission vérité et réconciliation mise en place par Nelson Mandela en Afrique du Sud. Cette commission n’a pas été une chasse à l’homme mais un lieu de réinvention du politique et surtout d’une altérité qui ne considère pas les ennemis d’hier comme des hommes à abattre mais comme des humains avec qui on peut construire l’avenir ;

· C’est l’occasion pour notre pays de s’écrire un nouveau récit, c’est-à-dire un nouveau projet de vie en répondant lui-même aux questions suivantes :

Qui sommes-nous ?

Sommes-nous satisfaits de ce que nous sommes-devenus ?

Où voulons et pouvons-nous aller ensemble ?

Comment allons-nous y aller ?

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