DERNIER HOMMAGE A JACQUES ALFRED NDOUMBE EBOULE : AMBASSADEUR DU CAMEROUN EN ETHIOPIE
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Éthiopie :: Dernier Hommage A Jacques Alfred Ndoumbe Eboule : Ambassadeur Du Cameroun En Ethiopie :: Ethiopia

Ce Cher Condisciple et Grand Ami que j’ai connu. Cher condisciple, c’est le 12 août dernier en rentrant de Libellingoï (mon village natal) situé à quelques kilomètres de Boumnyébél, en route pour Yaoundé, que je reçois un coup de téléphone d’un ami qui m’annonce ton décès.

Dans un premier temps je n’y crois pas ; compte tenu des échanges que nous avions eus quelques semaines auparavant. Quelques minutes après, un autre appel téléphonique émanant d’un autre ami en poste au Ministère des Relations Extérieures(Minrex) vient confirmer la terrible nouvelle.

Complètement effondré, je demande au chauffeur qui me ramenait sur Yaoundé de garer le véhicule sous une pluie battante. Commotionnée par cette violente nouvelle, je me ressaisis en me rappelant cette phrase de l’aviateur français Joseph Elie Kessel : « Simple témoin parmi les hommes, nous sommes de simples pèlerins sur cette Terre des Hommes où tout peut basculer en une fraction de seconde ».

Jacques, notre premier contact remonte à la fin des années 80 ; plus précisément en novembre 1988 lorsque nous nous sommes retrouvés à l’Institut des Relations Internationales du Cameroun(Iric) en première année sur la colline d’Obili. Tu venais de l’Université Paris X ; tandis que je sortais de l’Université Jean MoulinLyon III. Au terme de notre formation, nous avons « atterri » au Minrex.

La note de service qui mettait fin au stage d’imprégnation des diplomates en cours d’intégration, m’avait affecté à la Direction « Europe –Amérique-Océanie »(D2) ; tandis qu’elle t’envoyait à la Direction des Nations Unies et de la Coopération multilatérale(D3).Et depuis lors, et comme il fallait s’y attendre au niveau de la « Carrière », chacun allait suivre un itinéraire et une trajectoire propres.

Une Photo de la Promotion de novembre 1988 (IRIC) sur la colline d’Obili

C’est au cours de mon séjour au Caire (une douzaine d’années au total) comme Conseiller à la Mission diplomatique du Cameroun en Egypte, que nos relations ont retrouvé leur élan d’antan du fait de tes nouvelles responsabilités, d’abord à Bruxelles ensuite à Addis-Abeba lors de tes missions au pays des Pharaons.

Tantôt au Caire, souvent à Sharm el-Sheikh. A chacune de nos rencontres, nous nous souvenions des débats que nous menions au campus de l’Iric sans fioritures ni circonlocutions ; débats assez « trempés »,mais empreints de courtoisie et de civilités, se rapportant à des problématiques bien connues à l’époque à l’instar de celle sur la « la Déconnexion et de l’Autonomie Collective des Etats de la Périphérie notamment africains ».Une théorie élaborée et soutenue par l’éminent économiste et Savant égyptien le très regretté Samir Amin(disparu l’année dernière).

Samir Amin dont la pertinence sur l’approche des Relations Internationales (Centre/Périphérie) a inspiré et influencé plusieurs générations d’étudiants en Relations Internationales. Face à cette approche, tu parlais plutôt d’ « une Domination à la Périphérie » ; c’est-à-dire l’existence « d’une Périphérie de la Périphérie » : objet de ton Mémoire de Maîtrise Professionnelle en Relations Internationales.

A l’époque, nous évoquions également une autre thématique qui reste d’une brulante actualité : celle de l’Instrumentalisation de l’ONU par les Etats occidentaux notamment les Etats-Unis, marquée à cette période par l’Invasion de l’Irak (avec l’Opération Tempête du Désert) et la Crise subséquente du Multilatéralisme. Il me souvient qu’au début de cette guerre d’Irak, la CRTV avait dépêché un journaliste sur le campus de l’Iric pour recueillir les opinions et points de vue des Etudiants en Relations Internationales. Pendant que certains condisciples évitaient tout contact avec les médias au point de « fuir » le micro que ce journaliste leur tendait ; j’eus l’audace et la témérité de reprendre au micro de la CRTV la célèbre phrase du Sociologue français le Pr Bourdieu concernant les Nations Unies en ces termes, « l’ONU est devenue un magasin d’habillage juridique des projets américains dans la monde ».C’était pour fustiger la machine de guerre et la nouvelle aventure que l’Administration Bush venait d’initier au Moyen-Orient sous le couvert des Nations Unies. Cette interview enregistrée par la CRTV fut intégralement reprise au journal de 13 heures créant par la suite une vive polémique au campus et moult commentaires dans certaines Chancelleries occidentales à Yaoundé. Je n’ai pas non plus oublié la problématique relative au Franc CFA que j’avais soulevée devant le dernier Enseignant français en service à l’Iric : Michel Drouin lors de son cours d’Economie Internationale(ou ce qui en tenait lieu).

A l’issue de cette interrogation fondamentale, deux camps se formèrent au sein du campus suscitant au passage remous et interrogations parmi certains condisciples. Il s’en suivit un petit « incident » que tu as eu le plaisir et l’humour d’évoquer lors de nos derniers échanges par whatsapp il y a quelques mois. Les débats étaient particulièrement captivants.

Jacques, ta disparition m’attriste profondément.

Physiquement, notre dernière rencontre remonte en juin 2018 au Caire où tu étais arrivé dans le cadre d’une mission de l’Union africaine. À cette occasion, malgré ton emploi du temps que nous savions particulièrement chargé, tu avais accepté de répondre à une invitation que François Xavier (DAS : un autre condisciple) et moi-même t’avions adressée.

C’était sur les bords du Nil à la Corniche d’ElZamālek. Pour la circonstance, tu étais accompagné d’un de tes collaborateurs en poste à ce jour au Minrex. La présence de ce dernier à tes côtés avait une profonde signification pour nous. Celle de la convivialité et les bons rapports qui existaient entre vous. C’était une preuve supplémentaire que tu es resté ce Jacques que j’avais connu il y a une trentaine d’années sur la colline d’Obili.

Très amicalement, en guise d’introduction je t’interpellai en ces termes « Jacques, nous te remercions infiniment d’avoir accepté de passer quelques instants avec nous sur les bords de ce mythique fleuve qu’est le Nil. En ce lieu, nous n’accueillons pas Son Excellence Monsieur l’Ambassadeur du Cameroun en Ethiopie de passage au Caire ; mais un condisciple ; un vieil et grand Ami dont l’amitié remonte dans le temps ».Sans attendre, tu répliquas « Bell avec toi, je ne peux pas changer ; puisque toi-même tu n’as pas changé.

Je suis très heureux de constater que, malgré le temps qui passe, Bell reste le même, avec ses convictions et ses principes ; Admirateur éternel du Pr Samir Amin et de sa « Déconnexion ».

De Simples Pèlerins et Témoins sur cette Terre des hommes…..Adieu Jacques, Adieu Cher Condisciple et Grand Ami…dans une salle de cours à l’IRIC (avril 1989).

Pendant près d’une heure et demie, avec la même rhétorique et le même élan de la fin des années 80, nous nous sommes souvenus de nos désaccords sur certains sujets d’actualité de l’époque, dans un climat d’humour et de convivialité retrouvée. Au moment de se séparer je te fis cette suggestion sous la forme d’une supplique « Jacques S’il te plaît, retiens que tu es le Chef d’une importante Mission diplomatique. C’est une fierté et un honneur pour l’ensemble de notre promotion. Mais n’oublie jamais qu’au-delà de tout, c’est la Réputation, la seule Réputation qui va survivre à chacun de nous quand nous ne serons plus de ce monde. Et quand on se souviendra de chacun de nous, l’on posera toujours cette lancinante question : Mais ce Chef ! Quel genre de rapports entretenait-il avec ses collaborateurs ? Comment les traitait-il ? ».Tu me répondis« Bell n’aie aucune inquiétude à ce sujet. Ne te pose pas ces genres de questions. Je reste et demeure ce Jacques que tu as connu .Je faisais implicitement allusion aux sévices que nous (Diplomates et autres Agents) subissions à la Mission du Caire.

Une allusion à la décennie de terreur et de tyrannie que nous venions de passer à l’Ambassade du Cameroun au Caire .Par la suite je te révélai que la présente rencontre sur ces bords du Nil, en plus de ces fraternelles retrouvailles, avait une autre signification : celle de la célébration de notre sortie triomphale d’Egypte et le retour au Cameroun après une décennie de torture et d’humiliations dans un climat délétère à la Chancellerie. Une terreur qui a débuté par une note service en date du 21/08/2008 et s’est traduite au fil des années par des actes et décisions pour le moins insolites. Ce jour, je t’avais parlé de :
- l’instauration du travail de dimanche à la Chancellerie ; une triste première depuis l’ouverture effective de cette dernière en février 1961.
-l’obligation formelle à tous les personnels de l’Ambassade de prendre part au culte organisé aux heures de travail par le Chef de Mission (au nom d’Allah Akbar- Al hamdellulah)
-la distribution des Sourates (versets) du Coran par le Chef de Mission aux personnels quelles que fussent leurs confessions (après les séances de travail).
-l’obligation faite aux agents de jurer sur le Coran pour allégeance au Chef de Mission.
-sans oublier de nombreuses scènes d’humiliation lors des cérémonies officielles et autres voies de faits en public comme en privé.

A l’instar de cet inoubliable spectacle au cours duquel Son Excellence Monsieur l’Ambassadeur révéla ses nouvelles qualités : celles d’un pugiliste brutalisant et expulsant manu militari ses plus proches collaborateurs de la salle de Réunions devant le reste du personnel médusé. C’était le dimanche 30 décembre 2012 à 11h35.

Jacques Alfred, je me sens réconforté par les nombreux témoignages qui nous parviennent depuis ta disparition, émanant de tes anciens collaborateurs ; notamment ceux de New-York, de Bruxelles comme d’Addis-Abeba, qui font état de ton sens élevé des relations humaines que tu as pu cultiver et entretenir dans un climat de convivialité et de fraternité tout au long de ta riche et exaltante Carrière. D’ailleurs, ne m’avais-tu pas promis dans ton dernier message whatsapp sous la forme d’une boutade, qu’au cours de ton prochain séjour au pays, en allant à Douala, tu ferais une brève escale dans mon Libellingoï natal (à quelques encablures de Boumnyébél) ? Malheureusement, cette dernière n’aura plus jamais lieu.

Adieu Excellence Monsieur l’Ambassadeur… (devant le Restaurant de l’IRIC janvier 1989).

Adieu Jacques…Adieu le Sportif (c’était le 20 mai 1989 lors du défilé de la fête nationale à Yaoundé).

Comme Antoine de Saint-Exupéry dans son célèbre ouvrage Terre des Hommes, Jacques, tu as intégré depuis des années que« la Grandeur d’un métier est avant tout d’unir les hommes, il n’est qu’un luxe véritable, celui des Relations humaines »

Jacques Alfred Ndoumbe Eboule ; sur cette Terre des Hommes, tu as fait ce que tu as pu.

Adieu Jacques -Adieu Cher Condisciple et Grand Ami.

Bell Bell II Ministre Plénipotentiaire (HE)
Ex-Conseiller à l’Ambassade du Cameroun
Au Caire-Egypte (2006-2018)
E-mail :libellingoï@gmail.com
Boumnyébél, le 11 septembre 2019

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