Le plus ancien accusé du TCS annonce un grand déballage
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Incarcéré sans jugement et privé d’un arrêt des poursuites par le ministre de la Justice pour des raisons encore inconnues, le chef d’entreprises décide de tout cracher après plus de sept ans de mutisme. Ambiance.

C’est une audience quelque peu spéciale que s’apprête à abriter le Tribunal criminel spécial (TCS) la semaine prochaine. Le 3 septembre prochain, en effet, l’un des tout premiers accusés de cette juridiction devrait enfin s’exprimer devant la barre, après près de 7 années d’un silence provoqué par des atermoiements judiciaires. Le concerné s’appelle Serges Bruce Kaptué Tagné. Chef d’entreprises, il était le gestionnaire du Projet de renforcement des initiatives pour la gestion communautaire des ressources forestières et fauniques (Rigc), projet du ministère des Forêts et de la Faune (Minfof).

En détention depuis le démarrage des poursuites à la prison centrale de Kondengui et accusé en coaction avec des employés d’Afriland First Bank, notamment de la soustraction des fonds dudit projet, il est désormais tout seul à répondre de l’infraction de détournement des deniers publics. C’est le fait d’une décision du ministre de la Justice, Laurent Esso. M. Kaptué Tagné comparaît devant le TCS depuis la deuxième quinzaine d’octobre 2012. Son dossier est l’un des deux premiers à y avoir été enrôlé. D’un calme apparent, il a presque toujours vécu avec stoïcisme son procès, laissant l’impression qu’il lui manquait des arguments pour se défendre. Mais le 17 juillet 2019, au cours de son dernier rendez-vous avec la justice, il a indiqué qu’il n’en était rien. Le portail des camerounais de Belgique. L’audience avait démarré ce jour-là avec un retard certain. Et, alors que les juges l’interrogeaient sur la demande de report introduite par les avocats d’Afriland First Bank, il a annoncé les couleurs. Après 7 ans de silence, a-t-il déclaré, il a beaucoup de choses à dire. Il a annoncé une déclaration liminaire à l’orée de sa défense avant de se soumettre aux questions de son avocat et des autres parties au procès. Il a dit avoir besoin de toute son énergie pour le faire.

Une déclaration qui a convaincu les juges à reporter son audition. Dans la salle d’audience, le 17 juillet dernier, et sur le banc des accusés, se trouvait M. Nguela Simo Célestin, directeur général adjoint d’Afriland First Bank. Un visage pas très connu dans les couloirs du Tribunal criminel spécial (TCS), et, pourtant, un coaccusé de M. Kaptué Tagné. Inculpé puis renvoyé en jugement après enquête en 2015 avec quatre autres cadres de la banque, pour des faits présumés de détournement des fonds publics et de faux et usage de faux en écritures publiques et de commerce, il était inconnu des juges désormais chargés du dossier.

Il était visiblement venu prendre part à l’une des dernières audiences de ce procès. C’est probablement ce qu’il se disait. C’est lors de cette audience que le nouveau comparant est informé des charges qui pèsent sur lui. La formalité se fait plus de quatre ans après la clôture de l’information judiciaire. Le DGA plaide non-coupable et a choisi, comme option de défense, de s’exprimer devant le tribunal comme témoin sous serment. Ce sera sans doute lors d’une prochaine audience .

24 heures en prison

Outre M. Kaptué Tagné, M. Guela Simo a retrouvé sur le banc des accusés deux de ses collaborateurs. Il s’agit de Gilles Gabriel Fosti Dzudie et Pierre Kuate, qui ont toujours comparu depuis 2015 devant le TCS. Ils étaient cinq cadres de la banque au total à avoir été renvoyés en jugement à la barre suite à une enquête judiciaire complémentaire ouverte alors que le procès de M. Kaptué Tagné était déjà ouvert. M. Dadjeu Kengne Olivier, actuel DG de la filiale d’Afriland First Bank en Côte d’Ivoire, et une certaine Mme Fokam Pauline, que personne n’a plus jamais revu au Palais de justice depuis un séjour de 24 heures à la prison suite à son inculpation, sont inscrits aux abonnés absents. Initialement
accusés de coaction de détournement des deniers publics avec M. Kaptué Tagné, les cinq cadres d’Afriland First Bank ont bénéficié d’un arrêt des poursuites pour cette infraction. Un privilège refusé au gestionnaire du projet Rigc…

En fait, dès la mise en accusation de ses employés et la décision de les placer en détention provisoire à la prison centrale de Yaoundé Kondengui, Afriland First Bank avait procédé au remboursement de la somme d’argent au centre du procès. Le 15 janvier 2013, en effet, un virement de 1,738 milliards de francs était fait en faveur du compte de l’Etat. Les sept cadres de la banque alors suspectés de détournement des deniers publics bénéficiaient alors d’une remise en liberté provisoire, qui allait se muer en arrêt des poursuites trois ans plus tard. Estimant que la banque avait remboursé ce qu’elle avait indûment retenu et que l’Etat est entièrement entré en possession de son dû, selon lui, M. Kaptué Tagné, qui est désireux de bénéficier des mêmes faveurs du ministre de la Justice que ses coaccusés, a multiplié des démarches auprès des autorités politiques pour être placé au moins dans la même situation judiciaire que les cadres d’Afriland First Bank. Les avocats de l’homme d’affaires ont tenté à plusieurs reprises, d’obtenir des juges et du parquet général près le TCS, que la copie de la correspondance du Garde des Sceaux ordonnant l’arrêt des poursuites en faveur des coaccusés de leur client soit mise à leur disposition. Une demande vaine, les magistrats du TCS en ayant fait un véritable secret d’Etat.

L’embargo entretenu autour du document en question, finalement obtenu par Kalara d’une source digne de foi, peut se comprendre : son contenu illustre la situation de deux poids deux mesures dont se plaignent depuis des années les avocats de M. Kaptué Tagné au sujet du traitement des accusés. Signée le 27 janvier 2016 par le ministre d’Etat, la correspondance ne se contente pas d’ordonner l’arrêt des poursuites ; elle dicte au procureur général près le TCS la conduite à tenir pour la suite du procès.

«Je vous demande de considérer que le montant versé par le civilement responsable, Afriland First Bank, à l’Etat équivaut en ce qui concerne ses préposés, Fosti Dzudie Gilles Gabriel, Fokam Pauline, Kuate Pierre, Guela Simo Célestin et Dadjeu Kengne Olivier, à la restitution du corps du délit», écrit le ministre de la Justice, avant de poursuivre : «En conséquence, je vous autorise d’arrêter les poursuites engagées contre ces derniers sous l’inculpation de complicité de détournement de deniers publics. Cependant, ils resteront devoir répondre des infractions de faux et usage de faux en écritures publiques et authentiques». Pour se montrer assez précis par rapport à l’instruction donnée, Laurent Esso ajoute que «toutefois, les poursuites pour détournement de deniers publics restent maintenues à la charge de Kaptue Tagne Serges Bruce».

Détermination

Le contenu de cette correspondance ne laisse donc planer aucun doute sur l’implication personnelle du Garde des Sceaux à maintenir M. Kaptue Tagne en prison, mais aussi pour la longueur interminable de ce procès, en violation de l’esprit de la loi portant création du TCS, dont les principaux objectifs affirmés sont de favoriser les recouvrements et de raccourcir les procédures judiciaires. Dans le contexte actuel, où les lenteurs judiciaires et leur corollaire de surpopulation carcérale sont décriés, difficile d’éviter la question : pourquoi le ministre de la Justice insiste-t-il pour que le procès se poursuive sur le chef de détournement des deniers publics concernant l’un seulement des six coaccusés, alors que le corps du délit a été entièrement remboursé par le «civilement responsable» ? La réponse est pour le moment inconnue. Rappelons que l’argent en cause, 1,7 milliard de francs, était logé dans le compte du projet Rigc dans les livres d’Afriland First Bank, projet mis en place en 2005 et conjointement géré par le promoteur de la société Camdev, Serge Kaptué Tagné, et le coordonnateur du projet, M. Bene Denis (auteur de la plainte de départ). Cet argent avait été débité de ce compte le 30 janvier 2010, semble-t-il l’insu du coordonnateur du projet et du ministre des Forêts et de la Faune. Les recherches menées auprès de la banque pour avoir les éclaircissements sur la destination prise par l’argent étant restées vaines, une plainte avait été déposée par M. Bene Denis. C’est elle qui a est à l’origine du procès actuel.

Mais, depuis l’ouverture de la phase de jugement le 22 octobre 2012, l’affaire a connu de nombreux rebondissements. Au départ témoin de l’accusation dans une procédure qui ne comptait qu’un seul accusé, Afriland First Bank était devenue la cible du ministère public et du ministère de la Forêt et de la Faune. A la suite d’un complément d’informations ordonné par le TCS, la banque et sept de ses cadres avaient été mis en cause. Les dirigeants d’Afriland First Bank décidaient alors de rembourser cette somme, mais multipliaient des procédures, par l’entremise de leurs avocats, pour obtenir l’annulation de la procédure judiciaire. Le procès a souvent connu de longues suspensions du fait de ces procédures, mais aussi de la demande insistante des avocats de M. Kaptué Tagné d’obtenir un arrêt des poursuites en sa faveur. Après 7 ans d’attentes, ce dernier veut mettre les pieds dans le plat.

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