Les civils évaluent l’armée camerounaise
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Les civils évaluent l’armée camerounaise :: CAMEROON

A coups de surgissements épiques, les populations proches du théâtre des opérations inscrivent les forces de défense au rang de bourreaux des terroristes.

Fotokol, 02 mars 2014. «Ce fut le jour où nous avions vu des démons déguisés en hommes ouvrir l’enfer dans notre ville». Le souvenir est indélébile. Yérima Baba, figure pittoresque locale, n’arrive toujours pas à l’évacuer. A 97 ans, ce barbier a vu naître subitement des fleuves de sang et des colonnes de feu dans sa bourgade natale. Par-delà le sentiment de jamais vu qu’il fait valoir, le vieillard a en tête une histoire et une image: «J’ai compris que mon pays avait de braves  soldats à cette occasion-là».

Prononcée au terme d’une  laborieuse tentative de mise en ordre des idées, la phrase démarre le logiciel des souvenirs du vétéran. Il raconte que pour la première fois, une trentaine de combattants islamistes, aperçus ailleurs dans certains villages de la région de l’Extrêmenord, étaient entrés discrètement ici… Avec leur drapeau noir truffé de calligraphies blanches, des armes lourdes portées par près d’une centaine de véhicules et motos. Ils avaient été repérés par un villageois qui avait donné l'alerte. Les forces camerounaises avaient alors envoyé des soldats à la «rencontre» des djihadistes.

Cette nuit-là, se remémore Yérima Baba, il y avait notamment des hommes du bataillon d'intervention rapide (BIR), unité d'élite de l’armée camerounaise spécialisée dans la lutte anti-terrorisme. Voyant la route barrée, Boko Haram avait ouvert le feu. L’escarmouche avait fait un mort du côté des forces camerounaises et six chez les assaillants. «C'était une défaite majeure pour ces faux musulmans», appuie Yérima Baba. Dans le décor d’un modeste taudis déserté, le bras coupé d’un homme témoigne des exactions perpétrées sur les populations civiles. D’un ton sépulcral, quelqu’un renseigne que l’infortuné, n’a eu la vie sauve que grâce à l’intervention prompte du BIR. Cet inconnu ne radote pas, bien au contraire. Il termine toutes ses phrases par «notre armée est très forte!»

Contre-histoire

S’il est une boutade quasi-magique, énoncée partout ici à Fotokol, c’est bien celle-là. En écoutant les populations, on en déduit une contrehistoire de la guerre. «Ce qui se dit partout au sujet de nos vaillants soldats ne reflète pas l’exactitude, soutient Yérima Baba. Nuits et jours, ces enfants travaillent bien au-delà de leur mission première». Son récit montre d’ailleurs que depuis le début de la croisade nationale contre Boko Haram, la vision catastrophiste projetée sur l’armée camerounaise s’articule autour d’une langue débridée, outrancière, rudimentaire, à mille lieues de la réalité. Cette réalité, assume un jeune agent phytosanitaire, oblige à considérer les troupes comme «des génies salvateurs».

En quelques portraits et vignettes, Zenabou Damsa, professeur des lycées à la retraite à Kidjimatari (près de l’Etat de Maiduguri au Nigéria), évoque les tranches de vie militaire dans ce bled de l’arrondissement de Makary (Logone-et-Chari). L’ensemble, précis et sans effet, épouse un récit plein d’informations sur l’orientation que le BIR a imposée dans les combats. «Nos gars ont obligé les Boko Haram à fuir à tous les coups, dit-il. Sur le terrain, on a fini par réaliser que leur façon de combattre n’était pas barbare comme dans le camp des terroristes. Chaque fois, on lisait beaucoup de discipline dans leurs actions.

Je peux dire que leurs coups d’éclats sont bien calculés extrêmement organisés, disciplinés et opérationnels. Ce qui a parfois conduit à des arrestations des Boko Haram les plus cruels». A Afadé, dans l’arrondissement de Makary, département du Logone et Chari, on a le sentiment de découvrir plus grand encore. Au fil des mètres, les actions d’éclats des éléments du Lt-colonel Martin Prospère Bayemi, commandant du 41e BIM, ont généralement été non répertoriées. Bien plus, elles sont largement passées sous les radars des commentaires critiques, eux-mêmes récupérés sans relâche par des organisations non gouvernementales. D’où la grande surprise des populations : «A-t-on vu un seul enquêteur ici ? C’est étonnant qu’on parle de ces éléments qui nous protègent de manière si légère», entend-on.  

Mobilisation

Pour sécuriser cette localité enfouie dans des massifs rocheux, il y a eu énormément de combats rapprochés à la grenade, apprend-on. Il a donc fallu se battre rue par rue, maison par maison, pendant deux jours. Et finalement, sur le terrain, Boko Haram s'est révélé inférieur aux forces de défense camerounaises. «Le travail de proximité, c’est leur affaire. Quand nous voyons ces soldats, nous sentons que nous avons à notre disposition une cuirasse de sécurité physique et spirituelle », dit tout haut Abdoulaye Mokfeta, instituteur à l’école publique d’Afadé.

Il déballe une anecdote selon laquelle des soldats portés disparus après la bataille contre  Boko Haram dans la nuit du 26 au 27 juillet 2015, ont été retrouvés saints et saufs. «Je n’ai pas de doute sur le professionnalisme de nos forces de défense, eu égard à ce qui s’était passé», conclut-il fièrement. Surtout que les soldats semblent avoir un double pari : redonner aux populations une nouvelle potion revigorante et répondre efficacement à la lâcheté de Boko Haram. A bien des égards, le pari a une vertu mobilisatrice.

Exhorter les populations à rester mobilisées jusqu’au bout. Leur dire que l’histoire de la guerre contre Boko Haram n’est pas totalement écrite et qu’une surprise est toujours possible : «c’est ce qui fait socle à l’action de ces militaires», assure Emmanuel Gouldé, le chef du village d’El Damang. Pour ce dignitaire traditionnel, le déploiement de l’armée camerounaise ici cristallise des stratégies et participe du recentrage de la guerre autour d’une dynamique humanitaire. La réactivation du sentiment patriotique auprès des populations et le regroupement de celles-ci sous la bannière de la collaboration semble avoir rabattu des soutiens sur les estrades de l’armée en quelques temps.

Parmi les  Oula, les Matakam et les Mafa, habitants proches du poste avancé de Mabass, un avis fuse : «Pour nous aider à détecter un Boko Haram, le capitaine du camp nous donne de petites leçons de renseignement et grâce à cela nous avons aidé les militaires à arrêter les suspects. Nous sommes très contents de cette unité. A elle toute seule, tous les coins et recoins. A elle toute seule, les patrouilles nocturnes». De fait, l’hymne de la gratitude résonne en boucle : «Nous sommes gâtés par les soldats. Ils nous donnent de l’eau, des soins médicaux, de la nourriture et enseignent parfois nos enfants», confesse Kafiama Koulma, un jeune natif de la localité.

Humanitaire

En matière d’aide aux populations, Afadé est un joyeux roman. Ici, en réponse à Boko Haram qui a répandu malheurs, horreurs et misère sur son passage meurtrier, les soldats ont eu le temps de faire pousser des fleurs et d’installer la télé dans cette base perdue au milieu des montagnes. «Il faut que ces gens qui sont coupés de tout puissent vivre euxaussi vivre la coupe des Nations féminine qui est annoncée», rigole le Ltcolonel Martin Prospère Bayemi.

Auparavant, plusieurs armes ont été saisies depuis l’année dernière. Cela va des fameuses kalachnikovs aux pistolets automatiques, en passant par toutes les gammes d’armes de poing et d’épaule. Dans cet espace assez ingrat, les responsables militaires assurent que leurs soldats ont reçu des consignes strictes concernant les fouilles des maisons, les procédures d'arrestation et l'établissement de périmètres de sécurité, afin d'éviter les abus.

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