Biya-Buhari : coup de froid
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Le style direct du Président nigérian ne cadre pas avec, celui réservé de son homologue camerounais.

Après l’euphorie qui a suivi la victoire de Muhammadu Buhari à l’élection présidentielle nigériane des 28 et 29 mars 2015, un zeste d’incompréhension semble désormais perceptible à l’endroit du grand voisin dans certains milieux proches du pouvoir au Cameroun. Le discours du nouveau Président nigérian et ses premières initiatives diplomatiques ne sont pas étrangers à cette atmosphère. En avril 2015 déjà, dans une tribune publiée dans l’hebdomadaire panafricain Jeune Afrique, l’ex-général putschiste reconverti en démocrate sincère, avait donné le ton, remerciant le Tchad et le Niger pour leurs contributions dans la lutte contre Boko Haram. Et ignorant le Cameroun.

«L’impuissance du pouvoir a permis à ces terroristes de se déployer tranquillement sur notre territoire. Le combat victorieux contre Boko Haram commencera et finira au Nigeria. Cela ne signifie pas que nos alliés ne peuvent pas nous aider. Ainsi, nous apprécierions grandement qu’un accord passé avec les États-Unis et portant sur la formation militaire, abandonné sous le gouvernement précédent, soit réactivé. Et nous devons bien sûr mieux coordonner nos interventions armées avec celles de nos alliés africains, comme le Tchad et le Niger», avait-il notamment écrit. Un simple faux pas, diraient certains. Un signe avant-coureur, rétorqueraient d’autres.

Son entrée en fonction était donc attendue, histoire de scruter à la loupe ses premières initiatives. Si Muhammadu Buhari a remercié dans son discours d’investiture, le 29 mai 2015 à Abuja, entre autres, le Cameroun pour son engagement dans la lutte contre Boko Haram, il n’a échappé à personne que ce n’était que du bout des lèvres, l’intéressé se gardant bien de dessiner les contours d’une prochaine coopération entre les deux pays. Ensuite, le nouveau Président a choisi deux destinations symboliques pour ses premières sorties à l’étranger : le Niger et le Tchad. Soit deux pays frontaliers du Nigeria, engagés, eux aussi, dans la guerre contre Boko Haram. Quid du Cameroun ? Le pays de Paul Biya a tout simplement été ignoré. Il n’aura donc pas fallu beaucoup de temps pour que les nuages se dissipent autour de la politique que Muhammadu Buhari entend mener à l’égard du Cameroun.

«Il faut savoir que ceux qui sont au pouvoir à Abuja, sont des nationalistes dont l’ambition à court terme est de redonner au Nigeria son statut d’antan, celui de géant d’Afrique et de leader militaire de la sous-région que le Tchad lui a ravi ces dernières années. Ils sont là pour reprendre la main, d’où l’intense activité diplomatique de leur Président qui entend bâtir un axe Abuja-Niamey-Ndjamena dans la guerre contre Boko Haram, au risque de marginaliser le Cameroun. Le revers de cet objectif est que le Nigeria est devenu un pays très susceptible, qui a tendance à tout voir sous le prisme de sa grandeur militaire perdue.

Quand je parle avec mes amis nigérians, ils me donnent l’impression qu’il existe un malentendu avec le Cameroun, alors qu’il s’agit d’une différence de perception que des échanges au plus haut niveau auraient sans doute dissiper», analyse un ressortissant du Nord-Cameroun qui connaît bien le nouveau Président nigérian.

MALAISE

Il faut replonger dans les premiers jours qui ont suivi l’élection du nouveau Président nigérian, pour situer l’origine de l’attitude de l’administration Buhari à l’égard du Cameroun. C’est que, pressé de prendre de rapides décisions contre la secte Boko Haram dès sa prise de fonction, Muhammadu Buhari avait «approché» le Tchad, le Niger, le Cameroun et le Benin, pour des échanges constructifs sur la question. En dehors du Cameroun qui n’a pas donné suite à cette initiative «officieuse», les chefs d’Etat des trois autres pays ont fait le déplacement d’Abuja pour, en plus de féliciter le nouvel élu, dessiner avec lui les contours d’une nouvelle coopération après les atermoiements de l’administration Jonathan. Le chef de l’Etat camerounais, partisan de la «diplomatie d’Etat à Etat», a subrepticement ignoré cette proposition.

L’administration Buhari a pris acte et accéléré la construction de l’axe Abuja-Niamey-Ndjamena. Conséquence : en à peine un mois, Muhammadu Buhari a rencontré à trois reprises les présidents tchadien et nigérien. La cérémonie d’investiture de Muhammadu Buhari, le 29 mai 2015, a été une nouvelle occasion pour l’équipe de l’exgénéral de s’interroger sur l’attitude du Cameroun. «Contrairement à certaines affirmations, l’autre source d’incompréhension n’est pas le niveau de représentativité du Cameroun à l’investiture du Président. Bien sûr qu’un niveau plus élevé que celui de vice-Premier ministre aurait été hautement apprécié, venant d’un voisin avec qui nous combattons le terrorisme de Boko Haram. Nous avons seulement regretté que M. Amadou Ali ne s’exprime ni en anglais, ni en Haoussa encore moins en fulani du Président; pas plus que le Président ne parle ni français ni Kanuri.

Ils ne pouvaient donc communiquer», explique une source introduite dans l’administration Buhari. Selon nos informations, les difficultés de communication ne seraient qu’un prétexte diplomatique mis en avant par la nouvelle administration nigériane pour réserver un accueil glacial à Amadou Ali, lors de cette investiture. Celui-ci est en effet très mal vu par l’administration de Muhammadu Buhari qui lui reproche d’avoir participé au financement de Boko Haram par le versement de fortes sommes d’argent en échange de la libération des otages, et avoir ainsi favorisé l’expansion de la secte au Nigeria. Cette position nigériane n’est d’ailleurs pas inconnue des plus hautes autorités camerounaises. Sa présence a-t-elle été mal interprétée ? Possible.

Et dire que Amadou Ali n’était pas le premier choix du chef de l’Etat pour le représenter à cette investiture. Selon des sources concordantes, Paul Biya avait désigné dans un premier temps, le président de l’Assemblée nationale Cavaye Yeguié Djibril, mais un drame familial a eu raison de celui-ci et Amadou Ali a été instruit dans la foulée de le remplacer à Abuja. Toujours est-il qu’en l’absence du Président camerounais à cette investiture, lequel, à en croire des sources diplomatiques, avait pourtant confirmé sa participation, les plus conservateurs de l’administration Buhari ont trouvé là, confirmation que le Cameroun déconsidère son grand voisin. «Après le Niger et le Tchad, le Président Muhammadu Buhari c’est rendu en Allemagne. Et sa prochaine tournée en Afrique débutera par l’Afrique du Sud», confirme une source nigériane. L’étape de Yaoundé, inévitable pourtant, n’est donc pas prévue pour demain. Retard à l’allumage dans les relations entre Paul Biya et Muhammadu Buhari ?

© L’Oeil du Sahel : GUIBAÏ GATAMA

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