Le Cameroun face à  l'urgence d'un nouveau contrat social
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Le Cameroun face à  l'urgence d'un nouveau contrat social :: CAMEROON

La nation est un travail politique constant, une œuvre de longue haleine. Nous devons plus que jamais sortir du fétichisme de l’Etat unitaire immobile pour comprendre l’Etat camerounais comme la coexistence évolutive de plusieurs niveaux institutionnels, de responsabilités, de pouvoirs et de gouvernementalités.

Conduire une société d’un palier à un autre semble, de prime abord, le but du pouvoir politique si on conçoit celui-ci comme un instrument d’action au service de l’intérêt général. Lorsque tout va bien et qu’un régime rencontre de la réussite, le palier de développement où il laisse la société constitue sa signature dans l’histoire du pays. Mais un régime peut aussi sinistrement entrer dans la mémoire collective. Un tel régime ne laisse pas moins une trace dans l’histoire, même si c’est dans le chapitre des faillites politiques.

Cela dit, ce qui caractérise le Cameroun de 2018 est une forme d’immobilisme, une dynamique du « rien ne bouge » et une philosophie du « on prend les mêmes et on recommence ». En fait, le Renouveau National s’éternise en transformant son agonie politique en politique. Réalité qui place le pays dans un processus de momification d’idées éculées, d’activation d’énergies mortes et de rafistolage d’un contrat social disloqué et désormais disqualifié.

Est-ce le mandat de 2018 qui permettra à Paul Biya de changer un échec politique vieux de plus de 35 ans ? Est-ce un mandat mortuaire qui permettra de ressusciter les espoirs perdus et évanouis du Renouveau National ? Est-ce l’acharnement thérapeutique que constitue l’Opération Epervier sur un pays malade de ses incivilités et de ses immoralités publiques, qui fera renaitre des cendres les bonnes mœurs comme un phénix ?

Le malheur actuel du Cameroun est qu’un échec politique s’appuie sur lui-même pour essayer de sortir le pays de l’échec qu’il incarne. Conséquence, les mêmes causes produisent les mêmes effets au point de plonger le Cameroun dans une sédimentation de crises composites, profondes et interdépendantes. Analysons-en quelques-unes.

* La crise du patriotisme

Une des crises majeures drastiquement installées dans le triangle national est la perte de l’amour du Cameroun par ses fils et ses filles. C’est une crise du patriotisme causée, non par la détestation de son pays, mais par la détestation, tant de ce que ceux qui le dirigent en ont fait, que de l’absence de perspectives que leur gouvernance offre aux jeunes. Plusieurs indices témoignent de la dimension abyssale de cette crise du patriotisme. C’est le cas par exemple des athlètes camerounais qui disparaissent dans la nature lors de chaque compétition internationale comme cette année encore aux jeux du Commonwealth. C’est le cas de l’équipe nationale de football du Cameroun désormais boudée par de multiples internationaux camerounais suite à la mal-gouvernance mémorable qui la gangrène depuis de multiples années. C’est le cas de tous ces jeunes Camerounais et Camerounaises vendus comme esclaves en Libye dans leur fuite d’un Cameroun où la misère des uns côtoie l’opulence insolente des caciques du pouvoir en place depuis 1982. Cette crise du patriotisme montre combien le Cameroun, version Renouveau National, est sorti du cœur de sa jeunesse. Les sportifs qui prennent la clé des champs et/ou refusent d’intégrer les Lions indomptables sont des preuves irréfutables que le Cameroun est devenu le dernier choix de ses jeunes. Il n’est plus au centre de leur cœur où la devise « Paix-Travail-Patrie » a perdu son sens, son éclat et de sa force de séduction.

Cependant, ce que les crises ont de positif est qu’elles sont aussi des moments de refondations des choses, de remobilisation d’idées et de nouvelles énergies. Si ce qui précède est effectivement la manifestation la plus négative de cette crise du patriotisme qui sévit au Cameroun, la diaspora camerounaise ne réagit pas de la même façon au stimulus qu’est l’absence d’avenir au Cameroun pour la jeunesse. La pauvreté des conditions de vie et des perspectives d’avenir entraîne chez elle un essor du patriotisme. Cette nouvelle vitalité du patriotisme au sein de la diaspora camerounaise se manifeste par une foultitude d’associations camerounaises, des conférences sur le Cameroun, des marches patriotiques, des soutiens aux patriotes anglophones et l’organisation de fora sur l’avenir du Cameroun.

De ce fait, une nouvelle politique porteuse d’avenir est celle qui réussira à mettre le Cameroun sur une nouvelle dynamique en récupérant à la fois les énergies de ceux qui fuient le pays par déception défensive et celles de ceux qui, déjà à l’extérieur, essaient, par déception offensive, de le repenser pour un autre destin. Mettre ces forces vives de l’extérieur du pays au service d’un nouveau départ est une tâche cruciale dont une des exigences et l’établissement de la double nationalité au Cameroun afin, d’une part, que ce pays exerce sa pleine souveraineté sur ses filles et ses fils quel que soit l’endroit où ils vivent et, d’autres part, que ses fils et filles de la diaspora sortent d’un sentiment de frustration qui empêche leur total dévouement pour le Cameroun. La double nationalité fera entrer le Cameroun dans l’ère de la gestion moderne de sa population à l’âge de la dispersion qu’induit la mondialisation. La diaspora camerounaise est une ressource multifactorielle pour la politique interne et externe du Cameroun.

* La crise économique

La crise du patriotisme sus-évoquée et la crise économique camerounaise sont interdépendantes. Lorsqu’en 1987 Paul Biya dit dans un discours que le pays ne sera plus « une vache à lait », il demande un effort patriotique au peuple camerounais. Celui-ci, afin que le pays puisse assainir son économie sans faire appel aux instances financières internationales, doit « retrousser ses manches ». Les Camerounais et les Camerounaises ont fait cet effort patriotique sans broncher. Ils ont été héroïques si on tient compte des licenciements massifs de la fonction publique, des baisses de salaires successives, de la dévaluation du FCFA, de la privatisation des entreprises publiques, de la libéralisation de la filière cacao et café, de la hausse du prix de l’eau, de la santé et de l’éducation. C’est grâce à leur patriotisme qu’ils ont développé une résilience à partir de l’appauvrissement patrimonial induit par l’ajustement structurel. Mais, alors qu’ils pensaient enfin sortir du tunnel dont le Président avait annoncé le bout dans un autre discours, les Camerounais et les Camerounaises se retrouvent à nouveau sous ajustement structurel en 2018.

La question névralgique qui se pose ici est celle de savoir à quoi a servi leur effort patriotique depuis 1987 si, en 2018, le pays revient à l’ajustement structurel ? Il s’ensuit que le retour de l’ajustement structurel dévalorise l’effort patriotique des populations camerounaises en transformant le patriotisme en une éternelle souffrance nationale depuis 1987. En dehors de la récurrence de la crise économique comme signe d’un échec de gouvernance économique, cette récurrence de l’ajustement structurel sape aussi l’esprit patriotique car elle pousse les Camerounais et les Camerounaises à se demander si l’amour entre eux et le Cameroun mérite leur fidélité. D’où un certain cynisme des dirigeants, tant sur les objectifs officiels du pays que dans le dernier discours à la jeunesse du Président camerounais.

Concernant les objectifs officiels du pays, on continue à parler de l’émergence du pays en 2035 alors que celui-ci est sous ajustement structurel et qu’aucun pays émergent au monde n’a été sous ajustement structurel.

Concernant le discours de 2018 à la jeunesse, Paul Biya a demandé à celle-ci de se poser la question de savoir ce qu’elle avait fait pour le Cameroun. Le Président oublie qu’en subissant un chômage chronique depuis 1987 malgré ses études, cette jeunesse camerounaise s’est sacrifiée depuis trois décennies pour le Cameroun. La jeunesse de la génération Biya n’a jamais connu une telle situation. Elle n’a jamais posé un tel acte patriotique. Biya fait partie d’une jeunesse qui sortait des universités occidentales aux frais de l’Etat camerounais, et intégrait automatiquement la gestion dudit Etat. En 2018, non seulement la jeunesse camerounaise s’est sacrifiée depuis 1987 en subissant le chômage, mais aussi elle est spoliée par les dirigeants du Renouveau National dont les fortunes privées expliquent en grande partie l’ajustement structurel que connait le pays. La crise économique camerounaise a pour cause une mal-gouvernance économique qui entame le bon fonctionnement de l’économie. Et ce qui a fait tenir le peuple debout depuis 1987, est son énergie populaire qui s’exprime à travers une économie populaire très souvent dite informelle. Le Cameroun se doit donc, tout en poursuivant la diversification de son économie, de renforcer l’organisation de l’économie populaire pour en faire un moteur interne de production de richesses et de gisement d’emplois décents. Un pays comme le Brésil a un ministère chargé de l’économie populaire et des monnaies y afférentes.

* La crise civique

Une causalité cumulative et réciproque agit à ce niveau : un pays qui devient une truanderie comme le Cameroun renforce la crise économique qui, elle-même, renforce la crise civique qui renforce la crise économique. La crise civique au travers du préjudice financier que les hauts cadres et responsables du Renouveau National cause à l’Etat camerounais et aux générations futures, incarne la mal-gouvernance économique du pays. C’est elle qui renforce les déficits, l’endettement et le manque de crédibilité des politiques économiques nationales. Conséquence, l’ajustement structurel revient comme un boomerang. Cette crise est aussi liée à la crise du patriotisme car le responsable politique qui pille son propre Etat pour alimenter sa richesse privée, est aussi un indice d’une faillite du patriotisme. Ceux qui saignent à blanc les entreprises, les administrations, les universités et les banques camerounaises sont des Camerounais et des Camerounaises qui aiment moins la patrie qu’eux-mêmes. Cette préférence révélée de soi-même à la patrie est à la base de la « Feymania d’Etat » qui transforme l’Etat en un canal d’enrichissement illicite de ceux qui le dirigent.

Quelle crédibilité un tel Etat peut-il avoir au niveau des instances internationales? Comment son économie peut-elle attirer les investisseurs internationaux sachant que le risque-pays augmente avec une administration corrompue et une justice nationale devenue l’assureuse en dernier ressort des incuries et incivilités du champ politique ? Qu’espérer de l’ajustement structurel sans ajustement éthique et moral de ceux qui dirigent ce pays ?

Ces questions montrent que l’opération épervier, traduction concrète de la crise civique que vit le Cameroun, est elle-même le résultat d’un déficit éthique et moral du Renouveau National. C’est une tentative de pousser et de déplacer une voiture dont les freins ont été bloqués par manque d’entretien. Le fait de taper sur la voiture ne change rien. Il faut en acheter une autre, il faut la changer. C’est moins la sanction qui sortira le Cameroun de sa défaite éthique et morale actuelle qu’un nouvel esprit civique incarné par une nouvelle équipe au pouvoir. C’est en prêchant par l’exemple et non par la sanction qu’on peut sortir le Cameroun de la crise civique. Cette dimension du combat doit s’accompagner de l’instauration d’un service civique national pour les jeunes, d’une institutionnalisation d’une déclaration obligatoire des biens, d’une justification des fortunes subites, d’un service indépendant chargé de l’évaluation des politiques publiques, et d’une nomenclature des sanctions suivant les malversations.

* La crise sociale

La crise du patriotisme, la crise économique et la crise civique renforcent la crise sociale qui elle-même rejaillie sur elles. La crise sociale camerounaise présente plusieurs figures dont une des principales est que la masse de Camerounais et de Camerounaises à qui on avait demandé le sacrifice depuis 1987 pour sortir de la crise économique, continue de croupir dans une misère répugnante, alors que l’élite chargée de sortir le pays de ladite crise économique roule sur l’or. Celle-ci accumule châteaux bunkérisés, grosses cylindrées, chapelets d’épouses, pouvoir économique, pouvoir politique, pouvoir traditionnel et pouvoir spirituel. Il en résulte une fracture sociale qui prend la figure contemporaine des écarts de styles de vie entre Tanga Sud et Tanga Nord du feu Mongo Beti. L’élite camerounaise a transformé la vie des Camerounais et des Camerounaises ordinaires en « Ville cruelle ».

En conséquence, la « Feymania d’Etat » donne aussi naissance à une « Feymania populaire » une fois que le tricheur, le pilleur de l’Etat et le « Feyman » deviennent les exemples de réussite sociale contrairement aux travailleurs honnêtes. Quatre faits marquants de cette crise sociale montrent la cruauté et la prédation de l’élite camerounaise au pouvoir.

Premièrement, c’est pendant la période d’ajustement structurel, c’est-à-dire celle où le Cameroun est censé être économique exsangue, que le nombre de Camerounais millionnaires a augmenté au sein du Renouveau National. Deuxièmement, ces Camerounais et Camerounaises millionnaires sont des fonctionnaires. Troisièmement, ceux qui s’enrichissent en pillant l’Etat s’accaparent des terres des pauvres paysans dont la seule richesse ne consiste très souvent qu’en terre dans les villages. Quatrièmement, l’élite s’enrichit sur le dos des sacrifices des populations et transforme celles-ci en portefaix depuis 1987.

* La crise de confiance

La confiance est une ressource fondamentale entre une population et ses dirigeants. C’est elle qui installe une alliance symbiotique qui permet à un peuple et à un régime de vibrer en phase. Elle est aussi fondamentale en économie où les anticipations des entrepreneurs dépendent de la confiance qu’ils placent tant dans l’avenir des affaires que dans la politique économique menée. Une monnaie ne peut exister sans elle. La confiance entre un Etat et ses populations est aussi un ferment pour le patriotisme et un facteur limitatif de crise civique.

Le moins que l’on puisse dire est que le Cameroun a perdu les multiples bienfaits de cette ressource à cause de plusieurs raisons. Les efforts faits par la population pour supporter les effets sociaux difficiles de l’ajustement structurel n’ont pas abouti à une amélioration de sa vie. Il en résulte un manque de confiance par rapport aux

engagements politiques du régime en place. Le bout du tunnel a été annoncé mais n’a jamais été vu. Il en a résulté une perte de confiance dans la parole publique autorisée. Les « grandes ambitions » se sont muées en émergence économique pour revenir à l’ajustement structurel sans avoir vu « les grandes réalisations ». Ces multiples échecs et paroles non tenues ont sapé la réputation du Renouveau National et ont laminé la confiance que les populations camerounaises avaient placée en lui en 1982.

La dégénérescence de cette confiance concerne à la fois les hommes, les femmes du Renouveau et le Renouveau lui-même en tant que régime politique. Seul un nouveau projet de société capable de séduire les populations camerounaises peut rétablir la confiance entre celles-ci et le sommet de l’Etat. Notre pays a donc aussi besoin d’hommes et de femmes nouveaux et crédibles, étant donné que les anciennes figures et leurs idées sont désormais synonymes de défaites, d’échecs, de malversations et de souffrances sociales. Ils ne peuvent plus réussir à créer une mobilisation positive autour d’un projet de société.

* De la crise du contrat social à sa rupture

Le Cameroun est en guerre civile. Cela peut sembler exagéré aux yeux des Camerounais et des Camerounaises qui vaquent paisiblement à leurs occupations à Kribi, à Ebolowa, à Douala, à Yaoundé, à Bafoussam ou à N’Gaoundéré. Mais qu’est-ce qu’une guerre civile ? On parle de guerre civile dans un pays, non seulement lorsque l’armée régulière dudit pays affronte des organisations non étatiques où se trouvent ses propres citoyens, mais aussi lorsque ses propres citoyens s’entretuent. C’est exactement le cas au Cameroun en 2018. Il y a des Camerounais au sein de Boko Haram et ces Camerounais affrontent et tuent d’autres Camerounais. La crise anglophone met aussi en scène des combats entre Camerounais qui s’entretuent. La crise anglophone et le surgissement de Boko Haram sont des preuves que le Cameroun connait moins une crise de son contrat social que sa rupture totale. Reconstruire le contrat social camerounais exige de s’atteler à trois chantiers titanesques.

Le premier chantier nécessite des mesures de sortie de la crise du patriotisme, de la crise économique, de la crise sociale, de la crise civique et de la crise de confiance sus évoquées. Le deuxième chantier exige que le Cameroun tire des leçons de la crise anglophone et du développement de Boko Haram sur son territoire. La crise anglophone, autant que l’attractivité de Boko Haram sur certains Camerounais, nous apprennent, s’il en était encore besoin, que plusieurs Camerounais et Camerounaises n’ont pas trouvé leur épanouissement au sein du Cameroun mis en place depuis 1982. Ces deux crises doivent être entendues comme des demandes d’un autre Cameroun exprimées par des Camerounais et des Camerounaises. Ce sont des alertes dont le but est de montrer que ce qu’a offert le Renouveau National n’a pas réussi à être plus attractif que l’engagement de certains de nos compatriotes dans Boko Haram et la demande sécessionniste. C’est une preuve que ce que l’homme du 6 novembre 1982 a fait du Cameroun n’a pas permis aux compatriotes anglophones de mieux vivre et de se sentir heureux dans ce pays. Ces deux crises majeures démontrent deux impératifs majeurs à traiter. D’abord, promouvoir un développement plus harmonieux de notre pays. Celui-ci aurait pu éviter ou atténuer Boko Haram et la crise anglophone. Ensuite, la crise anglophone invite le Cameroun à trouver une formule politique lui permettant, non seulement de promouvoir le déploiement de ses identités précoloniales, coloniales et postcoloniales, mais aussi d’assurer des solidarités entre les régions du Cameroun qui les portent. Enfin, une nouvelle organisation du pouvoir, c'est-à-dire de l’Etat est inévitable. Elle doit permettre de responsabiliser, de décentraliser, de donner de la respiration et de la place à l’expression des multiples identités camerounaises.

L’Etat n’est jamais, il devient toujours. La nation est un travail politique constant, une œuvre de longue haleine. Ce n’est pas à l’histoire du Cameroun de résoudre les problèmes qu’elle peut induire en 2018. C’est à ceux qui ont hérité de cette histoire de le faire à travers un processus politique de destruction créatrice que ne peut accoucher qu’un grand débat national sur la forme de l’Etat et donc du pouvoir. Nous devons plus que jamais sortir du fétichisme de l’Etat unitaire immobile pour comprendre l’Etat camerounais comme la coexistence évolutive de plusieurs niveaux institutionnels, de responsabilités, de pouvoirs et de gouvernementalités.

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