LITTERATURE : SERGES NGOUNGA PUBLIE « LE NGUON EXPLIQUE A MON FILS… »
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FRANCE :: LITTERATURE : SERGES NGOUNGA PUBLIE « LE NGUON EXPLIQUE A MON FILS… »

Le dernier  opus de Serges Nguon, écrivain émérite du Cameroun en France, a été révélé au monde il y a  une quinzaine de jours.  L’ œuvre dont l »avènement était prévu sous les ardeurs estivales, voit finalement le jour au cœur d’un printemps florissant. Un indice, peut-être, que son essence attendait patiemment son heure. Baptisé « Le Nguon expliqué à mon fils et présenté au monde, le devoir de transmission », cet ouvrage se déploie tel un tableau vivant, qui capture  l’essence pittoresque d’une nature, d’une culture, et d’un esprit immortels, échos lointains de l’âme Bamoun. À travers ses lignes, c’est une tradition orale qui se perpétue, incarnée par la voix intemporelle d’un enfant guidé par son géniteur, non pas dans l’observation  d’un savoir,  mais dans le  partage initiatique d’un héritage ancestral.

L’éducation, selon le  Nguon, est une traversée sacrée où les aînés insufflent à la nouvelle génération les valeurs d’un savoir-être raffiné, qui  marque  l’entrée dans un monde où les normes de l’excellence dictent leur loi. C’est un voyage intérieur vers la maîtrise de soi, sous le voile d’un héritage culturel dont l’essence se veut universelle. Le Nguon, cœur vibrant de cet héritage, s’érige en symbole d’unité, transcendant ses origines Bamoun pour devenir phare d’une nation entière. Ainsi parlait le roi Mbombo Njoya : le Nguon est un sanctuaire de l’échange, une terre nourricière du dialogue interculturel, propice au bourgeonnement du progrès. Dans ce récit, le romancier, poète et intellectuel passionné par le théâtre se trouve en conversation avec son fils.

La dynamique classique est inversée, incarnée par l’adage que « l’enfant est le père de l’homme ». Le fils, Bryan, interroge avec une curiosité piquée : « C’est quoi le Nguon ? » Pour lui, ce terme est un mystère complet, un concept étranger à son éducation scolaire en France, où l’apprentissage se limite souvent au curriculum national. L’attrait pour ce qui est non-familier est instinctif, et dans les sociétés occidentales, les enfants ont tendance à valoriser l’opinion de leurs enseignants parfois plus que celle de leurs parents, ce qui leur font poser  des questions sans fin jusqu’à la  satisfaction de leur curiosité.

L’écrivain va dont se retrouver dans une kyrielle de questions. Mais ici ce n’est pas l’écrivain qui répond, c’est le parent. Mais la profondeur des questions invitent l’écrivain à se démarquer de sa paternité. Ce qui oblige ce dernier à prendre sa plume. On passe de l’oralité à l’écriture. Cela s’est passé au 19ème siècle avec le grand sultan Njoya. La suite des interrogations de Bryan ouvre la porte à une exploration plus large de ce que signifie la culture : non seulement un mode de vie ancestral, mais aussi un corpus de connaissances et de pratiques. À travers ce dialogue, l’enfant s’éduque lui-même, plongeant dans l’essence du peuple Bamoun, son peuple. Une communauté avec un riche héritage matériel, tout en embrassant une perspective globale.

Le père, chargé de transmettre cet héritage, parle à un fils de neuf ans. Mais l’écoute transcende les barrières de l’âge ; elle se fait d’abord avec le cœur. Bryan, venant avec une curiosité académique après avoir abordé le sujet de l’Afrique en classe, découvre que l’Afrique occupe une place centrale dans les discussions, surtout pour les enfants issus de l’immigration. Dans cette exploration, des éléments tangibles de la nature prennent vie dans leur échange, notamment à travers la discussion sur un insecte particulier, le coléoptère, dont l’apparition est un indicateur naturel servant à déterminer la date du Nguon.

Ainsi, cet insecte acquiert une dimension presque mythique, qui symbolise la sagesse et la profondeur de la culture locale. Au cœur de ce récit se trouve l’entrelacement du spirituel et du matériel, un principe ancré dans la tradition et magnifiquement illustré dans « L’Enfant Noir » de Camara Laye. Là, le jeune Camara interroge son père sur le mystérieux serpent noir, symbolisant la quête de savoir et l’éveil intellectuel. Cette curiosité enfantine pour les mystères de l’univers sert de catalyseur à l’élargissement de la perspective et à l’épanouissement de l’esprit. L’histoire du Nguon, qui se transmet depuis six siècles, incarne la pérennité et l’immuabilité à travers les âges, qui défie le temps lui-même. Le récit prend racine avec Share Yen, le monarque fondateur, initiateur du premier Nguon il y a plus de six cents ans.

On explore les questions  sur  sa personnalité. Nous ses contemporains, on se demande qui était-il ? Quelle apparence avait-il ? Quelle fut l’ampleur de sa première célébration au 14ème siècle ? Combien de personnes à cette première cérémonie ?  Des interrogations qui nous plongent dans la profondeur métaphysique des choses. On ne peut affirmer qu’une chose pour répondre à certaines questions. Le peuple Bamoun est une chance pour le Cameroun et le Cameroun une chance pour le peuple Bamoun. C’est là qu’on saisit la puissance de la tradition orale, vecteur de mémoire à travers les générations. Toutefois, le roi Ibrahim Njoya reconnaît la fragilité de cette mémoire, d’où son appel à un moyen durable de conserver et de transmettre la parole. Il invente l’écriture.

Bryan, l’élève assidu, se voit révéler les arcanes du Nguon, depuis la légende du serpent bicéphale jusqu’aux sociétés secrètes et les conquêtes guerrières des Bamoun pour étendre leur royaume. Parmi ces figures historiques, Mboumbouo se distingue au XIème siècle par ses campagnes militaires héroïques. Mais c’est le tambour gigantesque, tel une caisse de résonance, le « Nkindi » qui captive surtout l’imagination de l’enfant. Ce gigantesque tambour qui  éveille le village et le réveille de son  sommeil. qui est en même temps un caisse de résonnance pour le ralliement. Dans cet échange intime entre père et fils, nous touchons à la quintessence de l’humanité, là où la connaissance se mêle à la merveille. Pour narrer une saga d’une telle envergure, une sensibilité particulière est requise, mêlant intuition profonde et acuité intellectuelle.

L’écrivain, tel un mage, dévoile les voiles  qui cachent le  mystère  du monde, guidé par l’innocence d’un enfant qui observe l’univers avec un émerveillement sans fin. Le texte se déploie tel un paysage onirique, parsemé d’images qui sont autant de fenêtres ouvertes sur l’âme. Les interrogations de l’enfant tissent une mélodie poétique, qui égrène  des vers au gré d’un chemin bordé d’étonnements et de révélations. Ce récit, ou plutôt ce dialogue, se déploie avec une clarté cristalline, et nous invite  à une immersion totale.

Serges Ngounga, véritable sage, porte en lui la mémoire et l’âme de son peuple, riche d’une lecture du monde façonnée par d’innombrables récits et visions. Cette conversation silencieuse entre les générations s’inscrit dans le sillage du roi Njoya, elle  transcende  l’oralité pour ancrer la mémoire dans l’éternité de l’écrit, afin de la préserver de l’oubli. Dans cette œuvre, la mémoire devient un puits sans fond de savoirs et d’émotions, un lien indéfectible qui tisse l’essence même de l’existence.

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