Vivre ensemble : le tribalisme toléré
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Dans une émission de débat sur une télévision camerounaise courant septembre 2020, un jeune militant d’un parti de l’opposition interpelait une militante du parti au pouvoir, ancienne députée en ces termes :

« vous m’avez reçu chez n’est-ce pas, et vous m’avez posé la question suivante : en tant que Sawa qu’est-ce que vous faite chez les Bamiléké, en me regardant dans les yeux. Un enfant que vous avez accouché, qui est allé à l’université, qui a appris le droit et les principes démocratiques, et qui veut se mettre au service de son pays. Vous m’avez dit encore que pour avoir la protection si jamais les velléités arrivent, il faudrait que les autorités sachent que je suis un enfant Sawa, comme le bras séculier du régime utilise la violence et la torture. Je vous ai regardé dans les yeux et j’ai compris à quel niveau notre pays mourait, parce que si en 2020, nous en sommes encore à développer les idéologies tribalistes, alors il y a problème… »

Il a continué en rappelant à l’ancienne député, qui n’avait pas été investie lors des élections locales du 09 février 2020, qu’il était au courant de ce que sa candidature avait été écartée par le parti au motif qu’elle n’était pas Sawa de souche, remplacée par une autre candidate supposée remplir cette condition.

Le tribalisme porté sur la place publique

Ce témoignage était fait en mondo-vision, mettant en cause une ancienne élue du peuple qui était encore à l’Assemblée nationale jusqu’en février 2020. Elle comptait donc parmi les députés qui ont adopté la loi 2019/020 du 24 décembre 2019, modifiant et complétant certaines dispositions de la loi no 2016/007 du 12 juillet 2016 portant code pénal, la loi connue sous le nom de loi contre le tribalisme. Au terme de cette loi, l’article 241-1 du code pénal est modifié ainsi qu’il suit :

« (1 ) Est puni d’un emprisonnement de un (01) à deux (02) ans et d’une amande de trois cent mille (300 000) à trois millions (3 000 000) de francs, celui qui, par quelque moyen que ce soit, tient des discours de haine ou procède aux incitations à la violence contre des personnes en raison de leur appartenance tribale ou ethnique. (2) En cas d’admission des circonstances atténuantes, la peine d’emprisonnement prévue à l’alinéa 1 ci-dessus ne peut être inférieure à trois (03) mois et la peine d’amende à deux cent mille (200 000) francs. Le sursis ne peut être accordé, sauf en cas d’excuse atténuante de minorité. (3) Lorsque l’auteur du discours de haine est un fonctionnaire au sens de l’article 131 du présent Code, un responsable de formation politique, de média, d’une organisation non gouvernementale ou d’une institution religieuse, les peines prévues à l’alinéa 1 ci-dessus sont doublées et les circonstance atténuantes ne sont pas admises. »

A peine un mois après la promulgation de cette loi, synonyme de son entrée en vigueur, le Cameroun a connu les marches blanches du 26 janvier 2020, au cours desquelles des interpellations avaient été effectuées. D’après les témoignages de plusieurs personnes interpellées, le traitement réservé aux manifestants lors des arrestations et au cours des interrogatoires était plus ou moins humain, en fonction de l’origine ethnique. Des dénonciations ont été faites à ce sujet par les avocats et les organisations de la société civile, sans que les auteurs ne soient inquiétés. Les mêmes dénonciations sont encore faites après les arrestations du 22 septembre, preuve que la gangrène tribale reste. Le fait que des propos tribalistes soient reprochées en public à une ancienne élue du peuple, est également signe que le mal reste plus profond, et influence encore les attitudes à des niveaux insoupçonnés.

Espoir

11 mois après, il est aisé de constater que la loi contre le tribalisme, en principe adoptée pour ralentir les relents ethnique qui avaient pris de l’ampleur à la faveur des élections présidentielles de 2018, n’a rien changé dans le concret. Comme bien d’autres lois de la république, tout le monde sait qu’elle existe, personne ne se sent concerné, chacun attend que l’autre la mette en application. Mais tout n’est pas perdu, des lueurs d’espoir existent à la lecture de ce témoignage distribué dans les réseaux sociaux depuis quelques jours:

« Pendant mon voyage aujourd’hui, j’ai été témoin d’une scène hautement significative. Ce qui aurait pu être un drame s’est transformé en une véritable leçon de solidarité. En effet, nous sommes au début de notre voyage, aux encablures d’Edea, lorsque qu’une dame se met à crier à l’arrière du bus, arguant que sa fille (une gamine d’une dizaine d’années) est, sans aucune raison apparente, entrain de convulser. Les plaintes se transforment en panique et pleurs. Tout le bus se met en branle, conscient que dans la panique, elle n’aura pas le geste juste. La petite est justement en train d’avaler sa langue, les yeux se révulsent, tout son corps tremble. Pendant qu’il est demandé au chauffeur de se diriger prestement vers l’hôpital régional d’Edea, il faut maintenir l’enfant.

Tout le monde s’y met, pour éviter qu’elle n’avale sa langue, pour éviter que ces membres ne se raidissent, pour calmer la maman qui ne comprend absolument rien à ce qui est entrain de lui arriver. Un homme d’origine anglophone lance une prière en anglais, un musulman s’approche et lit des sourates etc. La situation de la petite se stabilise. On arrive à Edea, quelqu’un saute du bus et va chercher un taxi, pendant ce temps, une quête s’ouvre instantanément pour la maman: 100 000 frs est mobilisé en moins de dix minutes, et le numéro de téléphone de la maman se partage pour ceux qui vont lui faire des transferts après, et bien sûr l’appeler pour prendre des nouvelles. Un drame vient d’être évité.

Ce qui est marquant durant cet événement, c’est que personne n’a cherché à savoir ni l’ethnie de la dame et son enfant, ni l’ethnie de ceux et celles qui chacun à son niveau, travaillait au maintien à la vie de cette petite. Voilà le vrai Cameroun. Ce n’est pas le Cameroun des médias, ce n’est pas le Cameroun des réseaux sociaux, c’est le Cameroun à la main courante, plein de solidarité, sans ethnicisme, sans obscurantisme religieux, juste le CAMEROUN. »

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