Alternance: les rapports de forces politiques entre les principales catégories socioprofessionnelles
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Le Cameroun, tôt ou tard, devra faire face à un changement à la tête de l’État qui mettra aux prises plusieurs candidats, quel qu’en soit le scénario final. La politique étant par excellence le terrain de la confrontation, cela suppose une évaluation permanente des rapports des forces en présence.

C’est à cet exercice fort périlleux que nous nous sommes adonnés, en prenant comme base la réalité actuelle et en réfléchissant comme si l’on était déjà en situation. Pour cela, nous avons choisi un des axes majeurs pour évaluer les forces politiques en présence au Cameroun à savoir les catégories socioprofessionnelles.

1- Les administrateurs civils, « premier parti politique » du Cameroun

Les contempteurs du régime Biya ont coutume de qualifier les administrateurs civils de « premier parti politique », car ils estiment que la fraude électorale et les victoires du RDPC sont largement dues au zèle de ceux-ci. Ainsi, bon nombre d’observateurs pensent qu’on ne peut pas remporter des élections au Cameroun sans la complicité, ou tout au moins la tolérance des administrateurs civils. Il faut dire que ce corps dispose d’énormes pouvoirs.

Tout d’abord, les administrateurs civils, du fait de leur formation transversale, sont présents dans toutes les administrations et toutes les structures étatiques, et ce, souvent à des postes stratégiques comme celui de directeur. Ils essaiment ainsi l’administration centrale et n’hésitent pas souvent à faire jouer la solidarité de corps, surtout au sein des mêmes promotions. Mais le pouvoir le plus déterminant des administrateurs civils en politique et surtout en période électorale réside dans leurs pouvoirs de commandement.

En effet, les sous-préfets, préfets et gouverneurs disposent d’un pouvoir de proximité immense sur les populations, qui, du fait d’un conditionnement séculaire, les craignent et les redoutent. Ceci fait qu’ils ont une immense marge de manœuvre dans l’orientation des opinions et comportements politiques des populations, et sont incontournables dans la chaîne de transmission des informations sur le terrain. Par ailleurs, ce pouvoir de proximité les dote de capacités de renseignements inégalables ; garantie d’une maitrise confortable des données réelles sur le terrain. Une chose indispensable à toute action politique, surtout électorale. En outre, les administrateurs civils sont les garants de l’ordre public durant les processus électoraux. Par conséquent, ils ont une forte influence sur l’expression des libertés publiques et les forces de maintien de l’ordre ; toutes choses avec lesquelles il faut compter pour remporter une élection.

2- L’armée, une force à démontrer et un honneur à redorer

Dans bon nombre de pays, lorsqu’on est dans l’impasse politique, on fait appel à l’armée pour restaurer les choses. Ce pouvoir de régulateur de la vie politique par l’armée est dû au fait que dans ces pays, l’armée est perçue par le peuple comme étant « l’exemple de la force et de l’honneur ». Mais au Cameroun, il se trouve que l’armée a grosso modo mauvaise presse. Si les récentes victoires contre la secte islamiste Boko Haram ont relevé l’estime populaire vis-à-vis de nos forces de défense, il n’en demeure pas moins que pour la majorité des citoyens, les militaires camerounais sont moins performants que leurs confrères d’ailleurs, et excellent plus dans la répression des populations civiles, pour le maintien du pouvoir en place. Celle-ci est tout aussi perçue comme étant corrompue et embourgeoisée, au point où bon nombre des citoyens doutent franchement de sa capacité à faire face à une guerre ouverte contre un autre État. Jugés « jouisseurs », « trop bien payés pour ne rien faire », les militaires camerounais semblent être plus redoutés que respectés des populations. Ce d’autant plus que les bavures et abus d’autorité de leur part ne sont pas les choses les plus rares au quotidien. Le fait le plus illustratif est « le phénomène du béret militaire sur le tableau de bord » qui sert de laissez-passer, voire de passe-partout sans besoin d’aucune pièce officielle pour le véhicule.

Au grand dam des pauvres futures victimes du militaire ! Cependant, l’armée camerounaise a toujours été d’un apport décisif dans la stabilisation du pouvoir en place au Cameroun ; que ce soit sous Ahidjo dans sa guerre face au maquis ; que ce soit lors des événements du 06 avril 1984 ; ou encore lors des années de braises de 90 ou des émeutes de 2008. Ainsi, si l’armée aurait beaucoup de mal à prendre le pouvoir et à l’exercer au Cameroun, il n’en demeure pas moins qu’il faut l’avoir de son côté pour pouvoir gouverner. Ceci justifie surement les égards à son égard !

3- Les universitaires, éternelle logistique intellectuelle ?

Contrairement à des pays tels que le Ghana ou le Sénégal, les universitaires n’ont jamais exercé le pouvoir au Cameroun. Ils ont toujours servi comme clercs et comme « logistique intellectuelle », lorsque la bureaucratie a daigné les « inviter à la table du pouvoir ». Il faut dire que les universitaires, après les premières années fastes où on les considérait comme étant « l’élite de l’élite », ont été ramenés au bas de l’échelle notamment par une paupérisation sur fond de coupures drastiques des salaires et suppression des facilités liées à leur statut. Ainsi paupérisés, les universitaires ont été réduits à la « mendicité » des postes de responsabilité dans la bureaucratie pour pouvoir joindre les deux bouts ; ce qui a conduit à une nette diminution de leur considération sociale. L’universitaire n’est plus vu comme « la lumière de la société ».

Cette situation étant aussi due aux comportements ventriloques de la majorité d’entre eux de nos jours. Du coup, il existe un profond malentendu entre la société et l’université. D’où un risque de confinement au statut de logistique intellectuelle, en dépit des aventures de quelques universitaires sur le champ de la politique, notamment en tant qu’opposants. Les désillusions du MRC de Maurice Kamto ou de l’UDC de Ndam Njoya le démontrent à souhait.  

4- Les magistrats et les avocats, la lettre du droit comme arme !

L’histoire politique du Cameroun retiendra que les avocats ont joué un rôle déterminant dans le retour du multipartisme dans les années 90. Il s’agit notamment de Yondo Black, Bernard Muna, Charles Tchoungang, Mbah Ndam, Mbami, etc. Ceux-ci ont fourni les armes juridiques à la lutte pour la libéralisation politique au Cameroun. Mais depuis lors, l’influence des avocats sur la scène politique s’est réduite à sa plus simple expression. Par ailleurs, nombreux sont ceux qui pensent que Paul Biya doit sa victoire en 1992 à un certain…Dipanda Mouelle, président de la Cour Suprême du Cameroun. Il faut dire que les magistrats jouent un rôle central lors des élections, car ce sont eux qui président les Commissions départementales de vote et la Commission nationale de recensement des votes. Surtout, ce sont des magistrats qui sont les juges électoraux en premier et en dernier ressort, en l’état institutionnel des choses. D’où l’impératif de composer avec eux, même s’ils sont perçus par la majorité du peuple comme étant le corps le plus corrompu, et surtout celui qui manque le plus d’humanisme.

5- Les hommes d’affaires, de l’or sans Le palais

Les hommes d’affaires ont toujours été confinés à la périphérie du pouvoir, et ce souvent en dépit de leur activisme. Pour les plus chanceux, ils sont élus au parlement ou à la tête des mairies. Très rarement, l’un d’entre eux a été admis au sein du pouvoir central au poste de ministre ou de directeur général d’une entité publique. Des cas comme celui de Grégoire Owona et Nana Sandjon, font ainsi figures d’exceptions. Surtout que certains qui s’y sont essayés comme Yves Michel Fotso s’en sont tirés très mal. Il en résulte une méfiance réciproque entre les politico-administratifs et les hommes d’affaires, en matière politique. Ces derniers se contentant de « contribuer » pour les victoires, tout en espérant de « retombées économiques » sous formes d’exonérations et facilités diverses qui flirtent souvent avec l’illégalité. Cette situation est aussi largement due aux caractéristiques de notre milieu d’affaires qui est grandement constitué de personnes au niveau intellectuel assez bas, d’hommes d’affaires « parasitaires de la bureaucratie », vivant des marchés publics, et de bourgeois comprador, sans aucune envergure industrielle.

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