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© Correspondance : Thierry Amougou
- 05 Feb 2020 10:15:00
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CAMEROUN :: Meeting du MRC à Paris : Quid de la résistance et de sa symbolique ? :: CAMEROON
Au moment où l’affluence au meeting du MRC à Paris, les trémoussements sur l’estrade et la guinguette diasporique mettent la raison et la critique en berne chez les adeptes de Maurice Kamto et attisent les condamnations du régime, osons encore penser de façon critique. Cesser de penser non seulement par soi-même mais aussi de façon critique est le plus grand danger que court le Cameroun d’aujourd’hui et de demain à cause de l’unanimité sectaire qui prévaut au sein du MRC, du régime en place et de leurs groupes de pression connexes. Aucune utopie ne peut devenir une réalité politique émancipatrice sans une pensée critique sur ses fondements et son projet de peur qu’elle ne dérive en rêverie les yeux ouverts. Considérer le MRC et son leader comme porteurs d’une utopie politique exige de se poser, entre autres, les questions suivantes : le meeting du MRC à Paris annonce-t-il l’entrée du Cameroun/de l’Afrique dans un nouveau monde, celui de la liberté ou confirme-t-il leur maintien dans l’ancien monde, celui de la domination française en Afrique ? Quelle est la symbolique de Paris pour la résistance, axe politique du MRC ?
Tanga Nord : après Genève Paris ?
Ce n’est un secret pour personne. Une des critiques majeures à adresser au « Biyaïsme systémique » est la gouvernance par l’absence et la mise à distance du Cameroun et des Camerounais une fois la préférence par Paul Biya de la Suisse au Cameroun puis de Genève à Yaoundé devenue une articulation saillante de son exercice du pouvoir depuis 1982. Cette critique ne met pas seulement en lumière une élite camerounaise et subsaharienne en lien avec les pôles performants du capitalisme mondial et la spoliation du continent noir de ses richesses qui en résulte. Elle est aussi l’incarnation de la preuve d’une dévalorisation des conditions de vie locales et d’une préférence élitiste de la terre occidentale à la terre africaine/camerounaise. Suivant Mongo Beti, on dirait que l’élite camerounaise et africaine au pouvoir habite majoritairement « Tanga Nord ». Elle jouit de tous les privilèges de ce lieu dans tous les domaines quand la condition des populations africaines/camerounaises reste à l’image de la vie cruelle de « Tanga Sud ». Si, pour le « Biyaïsme », « Tanga Nord » a été Genève, la question à se poser est celle de savoir si tenir un meeting du MRC à Paris ne fait pas de Paris le « Tanga Nord » du MRC et de Kamto. Autrement dit, Paris comme symbolique d’un parti politique qui prône la résistance des Camerounais est-il une symbolique crédible lorsqu’on tient compte de la géoéconomie, de la géopolitique et de l’économie politique de l’histoire de la résistance camerounaise menée par l’UPC historique ? Quel signal politique est Paris comme lieu de fondation d’une politique de libération de l’Afrique/du Cameroun lorsqu’on prend en considération le pillage de l’Afrique par la Françafrique ? Sort-on de l’imaginaire politique de « Tanga Nord » pour les élites et de « Tanga Sud » pour le petit peuple sachant que Paris pour le « Kamtoïsme » prend la place et la fonction de Genève pour le « Biyaïsme » ?
Concernant la résistance camerounaise historique contre le colonialisme, l’impérialisme et leur reproductions postcoloniales sous formes de néocolonialismes, une petite histoire rétrospective de son sort montre que la France a été son fossoyeur historique. L’écrasement politique de l’UPC et l’élimination physique de tous ses leaders crédibles est à mettre en bonne place dans le palmarès sanglant et meurtrier de la répression des mouvements de libération africains par la France. Paris étant la capitale du pouvoir français, cela fait de celle ville le cockpit, le laboratoire, le système d’aiguillage, le centre névralgique, la force motrice, la rampe de lancement et la tête pensante des tous les dispositifs, décisions et actions qui ont atomisé la résistance camerounaise historique sous l’égide de l’UPC. La symbolique de Paris par rapport à la résistance historique camerounaise est donc celle du laboratoire politique de son anéantissement politique et physique au sens où Paris reste pour le Cameroun l’incarnation du centre nerveux destructeurs des bases populaires d’un pouvoir d’Etat libérateur. Paris demeure le lieu fondateur d’un pouvoir d’Etat camerounais/africain confié aux élites africaines collaborationnistes et adeptes du néocolonialisme. Cela implique qu’en choisissant Paris comme arène du meeting du MRC, principale partie d’opposition du Cameroun, le MRC et Maurice Kamto ne proposent pas une sortie de l’ancien monde mais sa perpétuation. Cela s’explique par le fait que Paris est à la fois l’endroit où la résistance camerounaise historique sous l’égide de l’UPC a été euthanasiée et celui où se construit le succès des leaders camerounais/africains postcoloniaux qui veulent le pouvoir d’Etat à condition de renoncer à le transformer au détriment de l’exploitation/domination du Cameroun/de l’Afrique par la France.
Paris, c’est aussi la tête pensante de la Françafrique, pieuvre dont les tentacules incarnent les forces anti-développement et anti-émancipation qui perpétuent le statut de plèbe des populations africaines/camerounaises, tout en faisant de leurs Etats et chefs d’Etats respectivement des subalternes et sous fifres de l’Hexagone. Paris n’est pas seulement le donneur d’ordre de l’assassinat de Félix Moumié à Genève et l’exécuteur de Um Nyobè via une guerre cachée aux origines de la Françafrique, mais aussi la plaque tournante de la « mafia-Afrique » qui en constitue la résultante. L’extra-territorialisation du meeting du plus grand parti camerounais d’opposition dans la ville de Paris ne devrait-elle pas nous pousser à nous poser la question de la symbolique de Paris dans l’histoire de la résistance camerounaise ? Le MRC en choisissant Paris pour son meeting ne montre-t-il pas, une fois de plus, que l’UPC historique demeure la seule résistance crédible du Cameroun étant donné que c’est l’unique organisation politique qui, prête à mourir pour ses idées où à gagner avec celles-ci, préféra la mort de ses leaders au compromis avec Paris ? La seule qui opta pour la libération du pouvoir d’Etat de la tutelle du pouvoir de Paris là où d’autres acceptent cette tutelle ?
Une élite politique démissionnaire
En ce qui concerne les conditions de vie des Camerounais et leur abandon dans « Tanga Sud » par une élite dirigeante qui préfère « Tanga Nord », le choix de Paris perpétue la tradition d’une élite démissionnaire. Une élite plus avide du pouvoir que de la capacité de l’Afrique/du Cameroun à être autonomes. Paris ne sort en effet pas Kamto et le MRC de cette réalité inégalitaire du pouvoir d’Etat néocolonial camerounais. Il nous souvient que plusieurs activistes et la BAS ont sans cesse demandé à Paul Biya de rentrer au Cameroun en soulignant le fait qu’il laissait un pays sans eau, sans électricité et en guerre pour venir passer du « bon temps » à l’Intercontinental de Genève devenu un espace du « Biyaland ». Celui-ci était donc une sorte de bunker paisible où Biya allait se réfugier en abandonnant ses populations dans la misère du quotidien au lieu de vivre avec elles dans les mêmes conditions qui lui donneraient envie de développer le Cameroun comme la Suisse. Cependant, si Biya fuyait surtout des hôpitaux camerounais transformés en mouroirs par sa gouvernance, Maurice Kamto lui organise son meeting à Paris et non à Yaoundé, à Douala ou à Bafoussam pour, entre autres objectifs, échapper à la répression de la dictature en place. Cela implique qu’autant Biya a choisi Genève pour ne pas subir les carences sanitaires camerounaises, autant Kamto opte pour Paris pour échapper aux restrictions de liberté du régime camerounais. Il fait ainsi de Paris, fief du soutien dont il jouit dans une frange de la diaspora camerounaise, une articulation majeure du « Kamtoland ». Dans les deux cas, ce sont deux élites politiques camerounaises qui abandonnent le pays, ses populations et leurs problèmes pour se réfugier à « Tanga Nord » dont l’axe Genève/Paris, mieux Kamto/Biya, est la figure inquiétante de Janus. C’est donc toujours « Tanga Nord » qui l’emporte chaque fois que les élites politiques africaines/camerounaises doivent faire un choix entre s’exiler pour échapper aux problèmes nationaux et rester sur place pour affronter les carences locales dans tous les domaines.
Le MRC : du côté de la résistance à la Fraude ou de la Fraude ?
De là le fait que seul le peuple camerounais/africain représente la vraie résistance aux dictatures africaines car il ne fuit jamais ni la pauvreté, ni les conditions de vie précaires, ni la dictature politique pour se réfugier à « Tanga Nord » où se négocient et se sellent pourtant des alliances inavouées contre lui. Un pouvoir d’Etat camerounais au service des Camerounais et de la décolonisation doit-il se fonder à Genève, à Paris où alors à Yaoundé, Douala, Bafoussam, Bamenda et autres villes et villages camerounais où se trouvent les racines de sa légitimité et de sa force ? Boycotter le vote et aller tenir un meeting à Paris n’est-il pas la confirmation par le MRC et son leader qu’ils cherchent les soutiens externes desquels ils sont plus assurés de prendre le pouvoir d’Etat qu’en s’adossant sur le vote des populations camerounaises ? Existe-t-il une compatibilité entre Paris, épicentre des fraudes électorales en Afrique subsaharienne, et la problématique du hold-up électoral qui suppose une lutte contre la fraude électorale en Afrique ? Les réponses à ces questions que le lecteur peut lui-même trouver sans transpirer prouvent à souhait que Maurice Kamto fait son meeting à Paris pour tisser des liens avec la ville laboratoire des fraudes électorales en Afrique subsahariennes car c’est grâce à la fraude de Paris qu’on peut gagner au Gabon, en Côte d’Ivoire, au Tchad et au Cameroun. Il se situe donc ainsi du côté de l’ingénierie de la fraude qu’il prétend combattre. Le choix de Paris confirme donc la croyance qu’a l’élite politique africaine que la démocratisation de l’Afrique et la conquête du pouvoir d’Etat dépendent plus des dynamiques exogènes que des forces internes que sont les sociétés africaines. Alors la renaissance du Cameroun version MRC consiste-t-elle à passer de Genève, lieu où Félix Moumié a rendu l’âme, à Paris, lieu où son assassinat a été commandité ? Peut-on libérer le Cameroun / l’Afrique avec la France comme partenaire politique et Vincent Bolloré comme soutien économique ? Le Meeting du MRC à Paris n’est-il pas déjà le signe tangible de l’échec de leaders politiques africains/camerounais mondialisés mais sans assises villageoises et sans engagements panafricains pour émanciper « l’Afrique des villages » dont parlait Jean-Marc Ela et l’intégration africaine dont rêvait Nkrumah ? Comment libérer les peuples africains en faisant des clins d’œil aux pouvoirs néocoloniaux antinomiques à cette libération ?
Thierry Amougou, économiste, Professeur, université catholique de Louvain (UCL), Belgique. Fondateur et animateur du CRESPOL ? Cercle de Réflexions Economiques sociales et politiques. Dernier ouvrage publié « L’esprit du capitalisme ultime », suivre le lien https://pul.uclouvain.be/book/?GCOI=29303100452120
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