Mœurs : La société camerounaise en crise
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Mœurs : La société camerounaise en crise :: CAMEROON

Le Cameroun est traversé depuis le 14 janvier 2020 par une onde de violence dans les établissements scolaires, avec pour point de départ l’altercation entre un élève et son enseignant au lycée de Nkolbisson à Yaoundé, qui s’est achevée par la mort de l’enseignant. Depuis lors, comme une épidémie, d’autres cas se signalent dans divers établissements publics des villes, où des fouilles effectuées sur des élèves font découvrir qu’ils rentrent régulièrement dans les écoles avec des armes blanches dissimulées dans les livres. La tragédie du lycée de Nkolbisson n’est qu’un cas parmi tant d’autres, et n’a causé de l’émoi que parce qu’un jeune enseignant, à peine sorti de l’école de formation y a laissé sa vie. Et chacun y va de ses arguments pour désigner le ou les coupables, rien ne justifiant pareil acte. Mais le coupable ne peut être trouvé si les responsabilités ne sont pas clairement établies. Deux éléments sont en cause ici, l’instruction et l’éducation.

L’instruction et l’éducation

L’instruction permet à l’enfant d’acquérir des connaissances dans divers domaines, qui lui permettront de devenir médecin, chaudronnier, policier, agent des forêts et autres, c’est ce qui se fait à l’école, sanctionné par des évaluations qui donnent droit aux diplômes. L’éducation quant à elle forme l’enfant à être un homme social, qui sait dire « bonjour » en rencontrant quelqu’un, « s’il vous plait » pour demander, « merci » quand il reçoit, « excusez-moi » quand il est reproché, qui sait se lever et laisser sa place à un aîné, qui sait qu’on n’insulte pas, qu’on ne désobéit pas. Et cette éducation commence à la maison, avec les parents, la famille élargie, et continue dans la société de manière globale. Cette éducation est permanente, continue, et surtout n’est sanctionnée par aucun diplôme, mais par la reconnaissance de ce qui est appelé le savoir vivre. On dit de quelqu’un qu’il est bien éduqué quand il respecte les valeurs sociales, quand il respecte la vie tout court.

L’enfant va donc à l’école pour s’instruire principalement, et accessoirement pour continuer une éducation qui doit avoir commencé à la maison, et qui doit se poursuivre hors de l’école dans la vie professionnelle. Son comportement ne sera en définitive que la résultante d’un travail que l’on attribue aux parents. Bref, les cas de violences relevées ces derniers jours, qui ne sont en réalité que la face visible de l’iceberg, sont le reflet de la société entière.

L’éducateur mal éduqué

L’opinion dans sa majorité trouve que les écarts de conduite des enfants sont conséquents à un encadrement insuffisant de la part des parents, soit. Mais les parents eux-mêmes sont-ils outillés pour donner une éducation de qualité aux enfants ? Pas sûr, parce qu’ils ne peuvent pas donner autre chose que ce qu’ils reçoivent de la société. De manière schématique, de plus en plus, les parents estiment qu’il ne faut pas punir l’enfant quand il a fauté. En conséquence, cet enfant à qui son parent n’a jamais demandé de se mettre à genoux, qui est pouponné comme un œuf, n’entend pas que le maître ou le professeur, cet « illustre inconnu » qui en plus vient à l’école en moto alors que c’est la voiture de luxe qui le dépose et vient le chercher, que « ce pauvre type » lui demande de se mettre à genoux. Là on est au niveau de base, celui de la famille. Et il est démontré, d’après un examen des causes de la violence chez les jeunes fait en 2008, par le ministère des Services à l’enfance et des Services sociaux et communautaires de l‘Etat d’Ontario au Canada, que « sans le soutien d’une famille solide, l’aliénation, le manque d’estime de soi, d’espoir ou d’empathie, l’impulsivité et d’autres facteurs de risque immédiat de violence peuvent s’installer, en particulier lorsque les jeunes sont confrontés à d’autres causes de facteurs de risque immédiat, comme la pauvreté, le racisme, ou l’aménagement urbain. »

La société plus qu’une jungle

Au niveau intermédiaire, on constatera que le parent ne puni pas l’enfant parce que lui-même n’est pas puni par la société. Il ne fait que répercuter au niveau de la famille le laisser-aller et le laxisme qui sévit déjà au niveau de la société, dans le cadre professionnel, au bureau, au marché, dans la rue, partout. Il ne faut pas un dessin pour montrer aujourd’hui que la société camerounaise n’est autre chose qu’une jungle, sans discipline. L’on peut s’installer sur la chaussée pour vendre, les ordures peuvent être balancées partout dans les rigoles, l’on peut construire une maison dans les marécages, le médecin peut négliger son travail à l’hôpital pour développer sa clinique privée, les morts peuvent être admis aux concours officiels, on peut gagner un marché public et ne pas livrer, on peut facturer à l’Etat un sac de ciment à 16 000 Fcfa alors qu’il est sorti de l’usine à 3750Fcfa, on peut prendre des libertés avec la fortune publique, en somme on peut tout. Les parents qui sont ainsi façonnés et qui façonnent une société de contre valeurs, sont désormais eux-mêmes mal placés pour inculquer des valeurs à l’enfant, encore que certains parents se sont carrément laissés substituer auprès des enfants par des jouets, téléphones, tablettes, ordinateurs et autres outils technologiques conçus pour cela.

Gouvernance par laisser faire

Enfin, à ce niveau intermédiaire qui est la société, le laisser-aller ne prospère que parce que justement au troisième niveau de l’échelle on laisse faire. L’impunité est le pourrissement sont devenus des modes de gestion. Malgré toute la littérature faite sur la corruption par exemple, les gendarmes motorisés sont encore placés en route en train de collecter de l’argent des mains des transporteurs. Les lois sont piétinées sous la barbe de ceux qui sont supposés les faire respecter, si ce n’est par eux-mêmes. En définitive, du sommet à la base, les contres valeurs sont bien installées, et il n’est pas étonnant qu’elles se manifestent de temps en temps par la violence des enfants à l’école ou en dehors. Un élève peut poignarder son enseignant sans gêne, une fille peut mettre fin à la vie d’un jeune garçon parce qu’il a osé lui dire « je ne t’aime plus ». Tout cela est normal sous un regard froid et lucide. C’est toute une refonte de la société camerounaise qui s’impose, car on ne peut semer et entretenir du piment, et espérer récolter des pommes.

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