PROJET DE LOI , CODE DES COLLECTIVITES TERRITORIALES DECENTRALISEES: LA POSITION DE GÉNÉRATION 90
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CAMEROUN :: PROJET DE LOI , CODE DES COLLECTIVITES TERRITORIALES DECENTRALISEES: LA POSITION DE GÉNÉRATION 90 :: CAMEROON

Le projet de loi portant Code des collectivités territoriales décentralisées, proposé par le gouvernement, a été adopté à l’Assemblée nationale et passera dans les prochains jours, en examen devant le Sénat. GÉNÉRATION-90 présente ci-dessous sa lecture de ce document et appelle le Parlement tout entier à relire et à améliorer substantiellement le texte dans son ensemble avant son adoption final. Il convient avant toute chose, d’éviter toute précipitation dans l'adoption de ce texte important pour la démocratie et le développement local, et à privilégier une approche participative, prenant en compte les propositions des forces vives politiques et de la société civile nationales à son enrichissement. GÉNÉRATION 90 propose donc les éléments suivants pour enrichir le projet de loi portant Code des collectivités territoriales décentralisées pour une meilleure gouvernance territoriale et un développement harmonieux et inclusif qui place l’humain au centre des politiques publiques.

LE CONTEXTE

GÉNÉRATION 90 a reçu avec un intérêt certain la nouvelle du dépôt par le Gouvernement, auprès de du Parlement pour examen et adoption, d’un projet de loi portant Code des Collectivités Territoriales Décentralisées (CTD) au Cameroun. Cette initiative vient rappeler que 25 ans après l’adoption de la Constitution de 1996, certaines de ses dispositions pertinentes attendent toujours d‘être mises en œuvre. La rapidité avec laquelle ce projet a été examiné et adopté par l’Assemblée nationale, est surprenante, au vu de nombreuses incongruités qui émaillent son contenu sur lequel toutes les réserves sont autorisées.

La technique du code adoptée en cette circonstance présente l’avantage de réunir en un même texte, un seul et même document donc, l’essentiel de la législation régissant la décentralisation et le droit des collectivités locales au Cameroun. Ainsi ce texte abroge les trois lois de 2004 et celle de 2009 jamais mises en œuvre près de 15 ans après leur adoption. On peut alors mesurer le scepticisme qui a pu gagner une grande partie de l’opinion nationale. Cette loi se donne l’ambition de répondre à une demande de plus en plus forte de l’ensemble des Camerounais pour une attribution de plus de pouvoirs et de responsabilités aux Régions et et une dévolution du pouvoir par la base et à partir de la base. Là s’arrête à peu près toutes les qualités de ce texte.

GÉNÉRATION 90 émet par la présente analyse de sérieuses réserves sur la forme et le contenu du Code des collectivités territoriales décentralisées dans sa version actuelle, et fait des suggestions tendant à sa reformulation totale, y compris dans le mode de son écriture et l’esprit qui doit y conduire et la guider. L’analyse portera d’abord sur l’ensemble du texte avant d’aborder de manière sélective quelques thèmes traités dans le projet.

SUR L’ENSEMBLE DU PROJET – UN TEXTE D’INSPIRATION JACOBINE, ILLISIBLE DANS LA CULTURE ANGLOSAXONNE

D’emblée, le texte semble avoir été conçu et rédigé par une équipe de personnes de culture juridique et politique exclusivement francophone, pour ne pas dire française. L’esprit jacobin le traverse de la première à la dernière ligne. Cela n’a pas grande signification pour un Camerounais de culture politique et juridique anglo-saxonne.

La décentralisation y est conçue comme un processus d’établissement d’une administration parallèle à celle de l’Etat, depuis le sommet jusqu’au niveau communautaire. A chaque niveau d’administration dite décentralisée (commune, commune d’arrondissement, ville, région) correspond un niveau d’administration dite déconcentrée, assurant la présence de l’Etat. Cette cohabitation décentralisation/déconcentration est justifiée par la « nécessité d’assurer un accompagnement des collectivités dans l’exercice des compétences qui leur sont transférées». Objectif louable, mais qui part d’une conception erronée dont la France elle-même s’efforce depuis 1982 de se départir pour s’aligner sur les standards des pays développés qui doivent leur essor à la mise en place d’un système d’administration locale autonome.

D’un point de vue politique, la décentralisation résulte de l’option d’un système de gouvernance à deux piliers : un pilier local (les collectivités locales) et un pilier central (le gouvernement) qui assure la coordination et le renforcement des capacités du pilier local. Le pilier central se concentre sur des fonctions régaliennes et stratégiques, de coordination d’ensemble, de mise en place de législations et de standards nationaux, de renforcement des capacités des acteurs locaux, du secteur privé et associatif pour leur mise en œuvre. Le pilier local s’occupe de penser le tout localement et traduire en termes de services aux populations, ces stratégies et orientations nationales. La répartition des responsabilités entre ces deux niveaux prend donc une approche filière où le gouvernement est en amont, les collectivités locales au niveau intermédiaire (régions) et en aval (les communes).

Dans cette logique, la présence de services déconcentrés de l’Etat à côté des collectivités locales est superfétatoire ; car ils vont intervenir sur le même terrain que les communes et parfois dans les mêmes domaines entraînant des conflits et une déperdition des ressources. Il serait plus simple de reverser les services déconcentrés de l’Etat, avec “armes et bagages” (ressources financières, patrimoniales et humaines) dans l’administration communale ou régionale selon le niveau concerné. La notion d’appui-conseil utilisée ici pour justifier la présence des services déconcentrés n’y fait rien. Au lieu d’appuyer les collectivités locales, les services aujourd’hui déconcentrées seraient plus efficaces en devenant des unités internes de ces collectivités. Cela éviterait les double-emplois. C’est du moins ainsi qu’un Camerounais de culture anglo-saxonne comprendrait la décentralisation. Et sa situation de référence serait la période d’avant la réunification (1961) et surtout la phagocytose du système administratif du Southern Cameroon par celui du Cameroun Oriental (1966).

Cette différence de conception est fondamentale et conditionnera la réception de ce texte en l’état par les Camerounais du No-So. Une fois de plus, il ne s’agit pas d’assurer une excellente traduction en anglais d’un texte conçu en français, et qui ne tient pas compte de la sensibilité anglo-saxonne. Le texte doit, dès sa conception, être l’œuvre d’une équipe bilingue qui assure le mariage des deux cultures dans le document à produire. Le franco-centrisme du projet en débat au Parlement est reflété de manière encore plus dramatique dans chacun des principaux thèmes traités dans le projet.

Ensuite, un regard comparatif montre que le projet reprend la plupart des dispositions des lois de décentralisation des années 90 de la plupart des pays francophone de la zone CFA. Or ces pays, notamment le Sénégal, le Bénin, le Burkina Faso, le Mali, la Côte d’Ivoire ont beaucoup évolué sur tous ces plans, en tirant les leçons de la mise en œuvre justement de ces législations qui aujourd’hui leur paraîtraient surannées comme l’établira ci-dessous l’analyse thématique du projet. Nous ne reviendrons cependant pas sur les dispositions concernant l’autochtonie dont un consensus grandissant dans le pays rejette l’opportunité et la légitimité tout en soulignant son caractère nocif pour l’unité nationale.

Enfin le projet comporte de nombreuses erreurs qui relèvent davantage d’une insuffisance notoire en matière de techniques rédactionnelles des textes juridiques que d’une volonté de mal faire. Par endroit on a l’impression de parcourir un patchwork fait de morceaux de textes d’origines diverses mis ensemble sans souci de cohérence et de cohésion.

SUR LA DEMOCRATIE PARTICIPATIVE (ART. 40 et suivants) - L’OBSESSION ELECTORALISTE ET INSTITUTIONNALISTE

La décentralisation, proclame l’exposé des motifs, vise à ‘instaurer la culture de la démocratie participative à partir du niveau local’. C’est un moyen de développement de la citoyenneté et du sens civique des populations tout autant que le « vivre ensemble». Pour autant, le projet se limite à des lieux communs juridiques et institutionnels éculés et dépassés du fait même de leurs limites juridiques et politiques.

Ainsi, en guise de démocratie participative, le texte institue des élections locales, un ensemble d’outils en faveur de l’information du citoyen, y compris la possibilité d’assister (comme spectateur à des réunions du conseil local). Trente ans d’expériences de décentralisation à travers l’Afrique, y compris même dans l’espace francophone qui est le moins avancé dans ce domaine, ont montré que cet appareillage n’offre aucune possibilité au citoyen de jouer un rôle actif dans la gestion de sa collectivité. Il est depuis longtemps acté que les élections locales ne suffisent plus à assurer le contrôle citoyen de l’action locale.

La participation locale postule le droit pour le citoyen de prendre part et d’influencer le processus de décision politique local. Cela peut s’opérationnaliser par exemple à travers la mise sur pied d’un forum des acteurs locaux de type « Joint-Action » qui regrouperait l’ensemble des acteurs locaux (associatifs, secteur privé, leaders d’opinion, autorités religieuses et traditionnelles) auquel on ajouterait d’autres mécanismes encadrés de participation tels que la prise de parole pendant les séances de conseil ou les pétitions citoyennes. Ce forum se réunirait de manière régulière au siège la collectivité locale ou ailleurs, discuterait sur les besoins et les priorités locales et feraient des recommandations au conseil de la collectivité. Ce dernier en tiendrait compte dans l’élaboration des plans d’action et de budget annuels. Cela assurerait une participation effective et une prise en compte de la volonté des populations locales dans l’action publique locale. La “Joint Action” Forum serait aussi le lieu de discussion des contributions des populations dans le cadre des budgets participatifs qui assurent une appropriation des infrastructures et des services locaux par les populations.

C’est un outil de garantie de durabilité des acquis du développement local. Le projet actuel passe à côté d’une telle opportunité de se mettre au niveau de l’évolution de l’ingénierie institutionnelle dans ce domaine.

Sur les transferts de compétences et des ressources humaines et patrimoniales - On donne la chèvre et on retient la corde...

Le projet pose le principe d’un transfert concomitant des compétences et des ressources appropriées aux communes et aux régions (article 21). Le texte énumère pour chaque domaine un ensemble de matières qui seront désormais du ressort des collectivités locales (articles 156 et suivants pour les communes et 267 et suivants pour les régions). Il se garde toutefois de procéder à une clarification préalable qui aurait donné au transfert tout son sens. Ainsi par exemple, seront désormais du ressort de la commune, « la création, conformément à la carte scolaire, la gestion, l'équipement, l'entretien et la maintenance des écoles maternelles et primaires et des établissements préscolaires de la commune » (article 161). Cette disposition d’apparence claire est très ambigüe.

Avant la création, l’équipement etc. de ces structures, il y a en a qui existent. Que deviennent les écoles primaires existantes ? Restent-elles du ressort de l’Etat à travers ses services déconcentrés comme c’est le cas actuellement ? Sont-elles transférées aux communes puisque c’est désormais de leur ressort ? Le risque ici est de voir émerger dans un même domaine, des services relevant de l’Etat central et ceux relevant de la collectivité locale, en somme un régime scolaire à deux vitesses. Le scénario serait le même pour les autres services sociaux de base (santé, agriculture et sécurité alimentaire, eau et assainissement, transport, logements, infrastructures communautaires etc.) C’est l’expérience, à leur corps défendant, de la plupart des pays africains qui en avaient fait le choix. Ils ont retenu la leçon et procédé aux réformes conséquentes. Alors pourquoi ne pas en tirer profit et s’aligner sur les bonnes pratiques. Il n’y a pas de honte à apprendre des autres. Ce n’est pas parce qu’ils sont juchés sur les épaules de leurs géants prédécesseurs que les nouveaux savants sont forcément des nains.

Ensuite, le projet postule un transfert des ressources financières et patrimoniales correspondant aux compétences transférées. Et quid des agents publics qui animaient les structures correspondantes jusque-là? Le texte autorise certes les collectivités locales à recruter des personnels locaux. Mais pourquoi ne pas commencer par compléter le transfert des compétences, des ressources financières et patrimoniales par un transfert du personnel ? Cela donnerait plus de sens à l’équilibre entre les transferts de compétences et de ressources énoncé à l’article 12 du texte.

C’est l’expérience de pays africains plus avancés, notamment dans le monde anglo-saxon où la décentralisation a entraîné le basculement des services concernés de l’Etat aux collectivités avec responsabilités, patrimoines, finances et personnels pour aller étoffer les communes. Ainsi ne restent dans les ministères que du personnel de très haut niveau dédié à des fonctions de conception et de planification stratégiques, d’inspection, de supervision et d’appui technique aux communes. Ce système a conduit à un tel dégraissage des ministères dans un pays comme le Rwanda que les plus pléthoriques comptent en moyenne 35 agents publics y compris le ministre lui-même. Les ministères ne sont constitués que de très hauts cadres.

SUR LES TRANSFERTS DES RESSOURCES FISCALES, FINANCIERES ET BUDGETAIRES - SANCTUARISER L’AUTONOMIE LOCALE

Le projet introduit une innovation heureuse dans le système de décentralisation financière au Cameroun. L’instauration d’un véritable partage de ressources entre l’Etat et les collectivités locales. Il énonce qu’un minimum de 15% des recettes budgétaires de l’Etat sera transféré aux collectivités locales. Il y a là une garantie légale de ressources pour les collectivités locales qui leur octroie la visibilité nécessaire à une planification réaliste du développement local. Cette dotation est le socle de l’autonomie budgétaire des collectivités locales, car elle n’est pas « fléchée », c’est-à-dire affectée d’office à des lignes de dépenses spécifiques. La collectivité est libre de son utilisation en fonction des priorités locales. Le Cameroun se place ainsi en avance sur la plupart des pays africains où la moyenne est de 10% y compris au Ghana, Rwanda, Nigeria etc. malgré une directive de l’UEMOA fixant cette proportion à 18% pour ses pays membres. Pour autant, cette innovation resterait lettre morte si elle n’est pas complétée par certaines dispositions spécifiques.

a) D’abord, faire de la loi des finances l’outil de détermination annuelle de cette dotation introduit une dose d’incertitude dans son effectivité. En amont déjà, cette dotation aurait dû être fixée par la constitution afin de lui donner plus de force. C’est le sens de la recommandation de la Conférence Africaine des Ministres chargés de la décentralisation et du développement local (CADDEL) formulée en sa session de 2006, tenue à Yaoundé dans le cadre du Sommet Africités et sous la présidence de Marafa Hamidou Yaya, alors Ministre chargé de la décentralisation ;

b) Ensuite le rôle de la loi des finances est de fixer chaque année la formule de répartition de cette dotation entre les collectivités locales. Le projet actuel n’en dit mot. C’est pourtant un détail fondamental et urgent. Cette formule devrait combiner des éléments de démographie, de géographie, de disponibilité en ressources naturelles, de dynamisme etc. pour que chaque collectivité puisse recevoir une quote-part correspondant à sa situation spécifique ;

c) En outre le projet reste en retrait sur les actuels développements en Afrique en matière de gouvernance des transferts de ressources. En effet, la collecte et la répartition de cette dotation ne devrait pas relever de la responsabilité du gouvernement à travers le ministère des finances. L’exercice devrait associer les collectivités locales ou leurs associations au sein d’un organisme indépendant mis sur pied à cet effet, entre autres. Cet organisme pourrait être le résultat d’une fusion de l’ineffectif Comité National des Impôts Locaux et le très budgétivore et complètement inefficace FEICOM dans une haute autorité nationale des finances locales. Son rôle serait de récupérer auprès du Ministère des finances, toutes les dotations et transferts financiers destinés aux collectivités locales. C’est encore elle qui proposerait chaque année la formule de répartition de ces dotations au parlement dans le cadre de la loi des finances.

d) Enfin le Ministère des finances devrait assurer le respect de la répartition des compétences et des ressources entre l’Etat et les collectivités locales par un “tracking” des plans de travail et des budgets des ministères sectoriels. Une expérience largement réussi dans nombre de pays africains consiste pour le ministère des finances, lors des propositions des ministères dépensiers pour la loi des finances, à vérifier qu’aucune action, aucune dépense proposées par ces ministères n’impliquent leur intervention directe en termes de mise en œuvre sur le terrain, empiétant ainsi sur les compétences des collectivités locales. Le cas échéant, il est demandé au ministère indélicat de transférer instamment l’action et la ressources en cause à la collectivité locale concernée. Cela assure ainsi un suivi plus systématique de la mise en œuvre de la décentralisation.

SUR LES INSTRUMENTS DE SUIVI DE LA DECENTRALISATION - UN AMONCELLEMENT D’ORGANES PREVISIBLEMENT INEFFECTIFS

Le projet replonge dans une tradition du jacobinisme édulcoré, cette sorte de « jacobinoïdie » qui consiste dans un amoncellement d’organes (art. 87 et suivants) à effet « re-centralisateur » dont l’effectivité au demeurant reste douteuse quelque soit le degré d’optimisme qu’on peut garder : Conseil national de la décentralisation, Comité interministériel des services locaux, Comité national des finances locales et comité interministériel de la coopération décentralisée. Ici encore s’étale l’esprit francophone qui guide ce projet et qui consiste à créer d’abord des organes avant de penser à leur contenu. D’où à chaque fois le renvoi à des textes ultérieurs (décrets ou arrêtés) pour leur organisation et leur fonctionnement) avec toutes les lourdeurs et lenteurs, de même que le gaspillage de ressources que cela implique. On connaît la suite.

D’abord tous ces comités pourraient être des unités d’une Haute Autorité de la Décentralisation et du Développement Local (HADEL) à vocation multidisciplinaire, comprenant des fonctions de suivi de la décentralisation financière évoquée plus haut.

Ensuite le suivi de la conception et la mise en œuvre de la décentralisation nécessite, surtout dans un contexte où la réforme introduit beaucoup d’innovations, un organisme affecté à cette tâche, avec une vue synoptique de

l’ensemble du système de gouvernance, et capable de proposer rapidement des correctifs aux autorités compétentes tout en gardant une mémoire du processus.

Enfin, dans des pays où un dialogue direct a été institué entre le Président de la République et les autorités locales en présence des membres du gouvernement, le suivi de la décentralisation a été plus effectif. Ce dialogue peut se traduire dans un séminaire annuel d’évaluation précédent la soumission du nouveau projet de loi des finances au Parlement.

SUR LE ‘STATUT SPECIAL’ POUR LE NO-SO : UN PATCHWORK ILLISIBLE...

Le projet instaure un “statut spécial” pour les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest (article 325 et suivants) comme recommandé par le ‘Grand Dialogue National,’ tenu du 30 septembre au 04 octobre 2019, et qui vise officiellement à répondre à la demande autonomiste qui a fortement émergé dans cette partie du pays.

Non seulement il arrive bien tard dans un contexte de radicalisation des insurgés anglophones, son contenu reste peu palpable. Malheureusement, comme pour le texte tout entier, cette partie semble avoir été rédigée avec un esprit et un entendement « jacobinoïde » de la décentralisation, aggravée par une volonté d’assurer une présence centralisatrice de l’Etat à tous les niveaux. La lecture de cette partie du texte renforce le sentiment de patchwork, tant certaines dispositions semblent être venues d’origines diverses et mises ensemble sans grande cohérence interne. Le résultat traduit une ambition d’aller au-delà du système proposé pour les huit autres régions comme étant de la décentralisation, tout en restant largement en deçà de ce qui pourrait s’apparenter au fédéralisme. A la fin, on n’a ni l’une ni l’autre, le système proposé étant simplement incompréhensible pour tout camerounais, notamment ceux des deux régions concernées.

En dehors du recours inutile à cette appellation rébarbative de « House of Divisional Representatives », la composition de l’organe délibérant au niveau régional n’appelle pas de remarques particulières, à condition que les questions d’éligibilités et d’investitures restent du ressort de la région. Toutefois, la démocratie participative dans ce statut spécial souffre des mêmes carences que pour le reste du pays. La “House of chiefs” est même privée du droit de mettre en avant une conception du rôle des chefs traditionnels conforme à la compréhension et à la culture des populations de ces régions. Elle peut seulement émettre un avis sur cette question qui reste à la discrétion du pouvoir central.

A la grande incompréhension présumée des Anglophones, le couple décentralisation/déconcentration est maintenu dans toute la chaîne avec les services techniques de l’Etat qui continuent à cohabiter avec les services des collectivités régionales et communales. Cette architecture fait par exemple jaser la doctrine juridique nigériane qui qualifie le système camerounais de « décentralisation préfectorale » (en français dans ses analyses) qu’elle résume comme un système dans lequel les décisions une autorité nommée par le pouvoir central (le préfet), qui n’a aucun compte à rendre à la population, a le droit d’empêcher la mise en œuvre d’une décision prise par des autorités élues par cette population.

Car la tutelle administrative telle que conçue chez les francophones n’est même pas imaginable dans la culture anglo-saxonne. Les décisions des autorités locales entrent en vigueur comme celles de toutes les autres autorités administratives. Elles sont attaquables le cas échéant devant le juge. Imaginer qu’une décision du maire élu attende des semaines qu’une autorité non élue en autorise la mise en œuvre ne saurait faire partie de la décentralisation. Au demeurant la notion de tutelle administrative recyclée dans le projet actuel en “contrôle administratif” est intraduisible en anglais et n’y a pas son équivalent.

Il en est de même du transfert des compétences et des ressources. Les carences relevées pour le régime général ci-haut sont aggravées par des formulations proprement incompréhensibles pour ses destinataires. La décentralisation dans cet univers-là implique un transfert de compétences en bloc avec ressources financières, patrimoniales et techniques (personnels) aux collectivités locales. On n’imagine pas des services techniques de l’Etat parallèles aux services communaux dans un même domaine et au même niveau. Pour un Camerounais du No-So qui se souvient que jusqu’à la réunification, même l’administration pénitentiaire, la production et la fourniture de l’eau et de l’électricité étaient du ressort des communes, le système actuel est un vrai saut en arrière. Par comparaison, on peut noter que c’est le cas au Rwanda; et qu’en Namibie, 90% des recettes budgétaires de la commune de Windhoek (la capitale) proviennent de la production et de la commercialisation de l’eau et de l’électricité dont l’entreprise lui appartient. Moyennant quoi, la Namibie est une référence planétaire en matière de recyclage des eaux usées en eau potable.

Puis surgit comme un cheveu dans la soupe un organe appelé le “Public Independant Conciliator” (article 367 et suivants). Si l’instauration d’une autorité de règlement non contentieux des litiges entre l’administration et les usagers est très indiquée, on peut se demander en quoi, sa pertinence se limite aux régions du No-So. Cela renforce cette malheureuse impression de copier-coller qui transparaît du début à la fin du texte.

Au regard du régime financier des collectivités locales dans le statut spécial, le projet parle de « dotation générale de fonctionnement et de recettes fiscales» diverses sans qu’on sache s’il y a un rapport avec les 15% du régime général qui sont destinés à toutes les collectivités locales. Concrètement, les 15% concernent-ils toutes les dix régions ou seulement les huit régions non concernées par le régime spécial ? En ce cas, les 15% viendraient en sus de la dotation de fonctionnement prescrite pour les communes du No-So. Sinon celles-ci se contenteraient-elles seulement de cette dotation de fonctionnement ? Ce serait une situation fort préoccupante pour les communes concernées, car aucune indication n’est donnée sur sa pérennité, son montant, sa formule de répartition.

Dans l’ensemble, on peut se poser la question de savoir à quoi cela sert d’élaborer une loi de plus de 500 articles dont aucune disposition n’est immédiatement applicable ? A chaque fois, il faut attendre un décret ou un arrêté d’application, qui mettra certainement des années à intervenir. C’est aussi une source d’incompréhension pour les populations de culture anglo-saxonne, qui ont toujours vu la loi comme un outil de régulation juridique immédiate des rapports sociaux.

Au regard de ce qui précède, GENERATION-90 recommande :

1. Sur l’approche générale de l’adoption d’une telle loi importante pour l’avenir du pays

GENERATION-90 rappelle, une fois de plus, que concernant des lois qui engagent l’avenir de la nation, il est opportun de chercher à impliquer les différentes forces politiques et sociales de manière à obtenir une participation et un consensus le plus large possibles, garant de leur légitimité. En l’occurrence, Génération 90 appelle le Sénat à améliorer substantiellement le projet de loi, à éviter toute précipitation dans son adoption et à privilégier une approche participative des forces vives politiques et de la société civile à l’enrichissement de ce texte.

2. Sur la démocratie et la gouvernance locales

a) La suppression des Préfets et leur remplacement par une collectivité intercommunale similaire à la “Ville” pour les départements où il n’existe pas de “Ville”. Sa fonction serait essentiellement la coordination et la supervision du développement économique et social du département par les communes. So composition et son fonctionnement serait similaire à celle de la “Ville”, mais dans un rayon territorial correspondant au département.

b) La suppression des postes de Gouverneurs et de sous-préfet et de tout poste d’autorité déconcentrée là où existe une autorité élue ;

c) L’instauration d’un contrôle administrative exclusivement a posteriori des décisions des autorités locales. Ces décisions sont transmises au représentant de l’Etat dans un délai de deux jours. Ce dernier dispose à son tour de trois jours soit pour revenir vers l’autorité locales avec ses observations s‘il en a, soit pour saisir la juge y compris en référé, de toute illégalité qu’il aurait constaté. Seul le juge peut ordonner la suspension d’une telle décision, avec un délai maximal de 15 jours pour rendre sa décision au fond ;

d) L’instauration au niveau de la préfecture d’une conférence départementale pour le développement local. Cette instance qui regroupe autour du Préfet, tous les maires de son unité serait l’instance de revue des plans de développement local, d’identification des priorités transversales, de création des synergies inter-communales et de mutualisation des ressources pour une optimisation des résultats des actions de développement local ;

e) Le renforcement de la participation locale et du contrôle citoyen des actions des autorités locales par la mise sur pied, au sein de chaque commune, d’une plateforme de participation citoyenne regroupe tous les acteurs individuels et associatifs ainsi que les partenaires au développement intervenant sur le territoire communal. Cette instance se réunirait régulièrement pour identifier les priorités de la commune, les éventuelles contributions y compris financières des populations à l’action communale et ferait des recommandations aux Conseils ou à l’Exécutif pour prise en compte dans leurs décisions. La plateforme serait aussi le lieu de mobilisation et d’engagement de la diaspora dans le développement local :

f) L’instauration d’un référendum d’initiative locale sans valeur contraignante, qui donnerait à la population la possibilité de se prononcer directement sur certaines questions importantes d’intérêt local.

3. Sur le transfert des compétences et le renforcement des capacités locales

a) Le transfert aux collectivités territoriales de tous les services déconcentrés des ministères sectoriels. Ce transfert comprend les activités, le patrimoine, les ressources financières et les personnels, y compris ceux des services centraux qui sont impliqués dans la mise en œuvre des compétences transférées ;

b) L’abolition de la fonction de sous-préfet et le transfert des personnels concernés à la fonction revalorisée de secrétaire général de mairie, y compris par la constitution ;

c) Le transfert aux collectivités locales de l’exclusivité de la mise en œuvre des politiques publiques sur leur territoire. Il serait par exclu pour le ministère de l’éducation, par exemple de se charger de construire une école primaire sur un territoire communal alors cette compétence est transférée à la commune.

4. Sur le transfert des ressources financières, budgétaires et fiscales

a) La constitutionnalisation de la Dotation Générale de Décentralisation avec la portion de 15% proposée par le projet ;

b) L’instauration d’un système d’allocation basé sur la performance avec des conditions minimales. La quote-part de chaque collectivité bénéficiaire serait indexée sur ses performances avec des indicateurs à remplir chaque année ;

c) La responsabilisation du Parlement dans la détermination de la formule de répartition de cette dotation aux collectivités locales ;

d) L’instauration de dotations spécifiques pour des services sociaux considérées comme prioritaires par le Gouvernement dans le cadre de la mise en œuvre de ses engagements internationaux (Agenda 2030 des Objectifs du développement durable, Agenda 2063 de l’Union Africaine etc.)

5. Sur le suivi de la mise en œuvre de la décentralisation

a) La responsabilisation du Ministre chargé des finances et du budget dans la vérification annuelle des prévisions des ministères dépensiers dans le cadre de la loi des finances ne comporte aucune action qui empiéterait sur les compétences des collectivités territoriales ;

b) La création d’une Haute Autorité de la Décentralisation et du Développement Local (HADEL) chargée, entre autres du suivi de la mise en œuvre de la décentralisation y compris avec fusion et suppression du Comité national des impôts locaux et du FEICOM. La composition de cette instance combinerait une représentation du Gouvernement, du Parlement, du pouvoir judiciaire, des collectivités territoriales ou de leurs associations, ainsi que du secteur privé et de la société civile. Elle aurait pour fonctions entre autres de :

● Veiller auprès du Ministre des finances à la mise à disposition des diverses dotations de décentralisation y compris la proposition de formule de répartition de

ces dotations aux collectivités locales à l’attention du Parlement dans le cadre de la loi des finances annuelle,

● Organiser et superviser l’évaluation annuelle des collectivités territoriales dans le cadre de la mise en œuvre du système d’allocation basé sur les performances ;

● D’identifier les déficits de capacités révélés à l’occasion de ces évaluations et d’organiser des programmes de renforcement des capacités locales en conséquence ;

● De préparer annuellement un rapport public sur l’état de la décentralisation dans le pays assorti des propositions d’action à l’attention du Parlement ;

● D’organiser et de conduire un dialogue annuel entre le Président de la République et l’ensemble des exécutifs des collectivités territoriales en présence de tous les membres du gouvernement sur l’état de la décentralisation.

6. Sur le Statut spécial des régions du Nord-ouest et du Sud-ouest

a) Créer un comité spécial composé de personnes ressources ayant une expérience et une sensibilité anglo-saxonne en matière de décentralisation et de gouvernance locale pour la rédaction de ce statut spécial afin d’éviter les nombreuses incohérences et vacuités qui émaillent le texte actuel ;

b) Baser le statut spécial non pas sur les seules spécificités linguistiques mais plus largement les spécificités culturelles des régions concernées ;

c) Responsabiliser les collectivités territoriales concernées pour toutes les compétences sur des matières dont la définition, la gestion et l’évaluation sont fondamentalement différentes au regard de leurs signification dans la culture francophone. C’est le cas de la justice, y compris les critères d’accession à certaines fonctions dans le système judiciaire, l’administration pénitentiaire, la fourniture des services de base et la gestion de leurs structures de production et de fourniture, etc.

d) Maintenir le même système de présence de l’Etat proposé ci-haut pour les autres collectivités territoriales.

New York, ce 23 décembre 2019

Signé, les membres de de GENERATION-90 dont les noms suivent,

1. Tene Sop,

2. Hugo Moudiki,

3. Ndam Maloune, Juriste, Kuala Lumpur, Malaisie

4. Raphaël Yimga,

5. Appolinaire Lekeuneu, PhD, Economist, USA

6. Pr. Bienvenue Bongue, Saint-Etienne

7. Gilbert Tchukam, Dakar, Sénégal

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