Les charges finalement retenues contre M. Leubou et Mme Lefang
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Après 18 mois d’une enquête judiciaire menée sous fond de pressions multiples, le juge d’instruction du Tribunal criminel spécial a dressé son rapport et renvoyé cinq personnes en jugement pour le scandale des suppressions frauduleuses des remboursements des avances sur solde et pensions octroyées aux fonctionnaires et retraités. Kalara en donne la primeur à ses lecteurs.

L’enquête est désormais clause dans le scandale des suppressions frauduleuses des remboursements des avances sur solde octroyées par le Trésor public à certains fonctionnaires en activité ou à la retraite entre 2015 et 2016. Démarrée le 4 mai 2018, l’information judiciaire a été clôturée le 30 octobre dernier par la mise en accusation de cinq inculpés sur les sept qui étaient initialement poursuivis. Ces derniers ont reçu copie (notification) du rapport d’enquête (ordonnance de renvoi dont Kalara s’est procuré une reproduction), il y a deux semaines. Dans la suite de la procédure, ils répondront en audience publique d’un présumé détournement de fonds publics à hauteur d’un peu plus de 5,5 milliards de francs. La date d’ouverture de ce procès n’est pas encore connue.

Au terme de l’enquête menée par M. Wo’ominko Blaise, juge d’instruction au Tribunal criminel spécial (TCS), M. Leubou Emmanuel, ancien chef de la cellule informatique de la direction de la solde, principale tête d’affiche de cette affaire selon l’accusation, est désormais accusé du détournement de 5,5 milliards de francs en coaction avec un certain M. Amadou Haman, «inconnu » de l’administration. Mme Lefang Celestina Nkeng, chef service des oppositions à la Paierie générale du Trésor, et M. Mefiro Pempeme Inoussa, fonctionnaire en service à la Cellule d’assainissement du fichier solde, sont désignés complices des premiers par le juge d’instruction. Et Mme Aïssatou Boullo Bouba, ancienne chef de la cellule Sigipes du ministère de la Communication, est accusée de façon solitaire des faits présumés de détournement de 6,5 millions de francs.

Dans «l’ordonnance de renvoi devant le Tribunal criminel spécial », document de 15 pages signé du juge d’instruction, il est vaguement rappelé que le scandale des annulations frauduleuses des remboursements des avances de solde et de pension avait été mis en exergue suite à une exploitation du fichier solde de l’Etat par «les responsables des services techniques du ministère des Finances, notamment la Cellule informatique». «Un seul code d’accès à l’application informatique de traitement de la chaine solde de l’Etat, le 01X correspondant au profil du chef de service des oppositions à la Paierie générale du Trésor, la nommée Lefang Celestina Nkeng, avait été utilisé à l’effet de procéder aux-dites annulations ou suppressions à travers différents postes de travail de la direction de la dépense, des personnels et des pensions (Ddpp)», précise le magistrat enquêteur.

Mandat d’arrêt

«De janvier 2015 à juin 2016, poursuit M. Blaise Wo’ominko, 2.423 cas d’annulations de remboursements d’avances de soldes et sur pensions [avaient] été décelés pour une incidence financière estimée à 3.542.727.233 francs, d’où la suppression dudit code et le repositionnement des remboursements supprimés». La suppression du code à problème, en avril 2016, «a coïncidé avec l’arrêt des annulations» de remboursement, indique le juge d’instruction, qui ajoute «[qu’aussitôt] que ledit code d’accès a été rétabli, 1601 cas ont à nouveau été répertoriés, correspondant à la période de juillet 2016 à octobre 2016 pour une incidence financière de 2.036.870.655 francs», soit un total de près de 5,6 milliards de francs. Au total, des suppressions avaient été perpétrées à partir de huit postes informatiques de la direction de la solde, dont le poste N° 1255.

Comment l’enquête a-t-elle permis de repérer les personnes suspectées d’avoir empêché que le Trésor public récupère les sommes en cause ? Dans son rapport, le juge d’instruction n’en dit presque rien. Il rappelle simplement que le Corps spécialisé des Officiers de police judiciaire du TCS avait interpellé les sept personnes qu’il a finalement inculpées. En réalité six personnes, puisque Mme Lefang Celestina Nkeng n’a jamais été interpellée en dépit d’un mandat d’arrêt valant inculpation émis contre elle... Une précision que le juge d’instruction passe curieusement sous silence… Dans son rapport, M. Wo’ominko précise que «seule l’inculpée Aïssatou Boullo Bouba a reconnu les faits» qui lui sont reprochés, bien qu’il note que deux autres inculpés, M. Abe’ele Mbanzo’o Prosper, sous-directeur des pensions à l’époque des faits, et son collaborateur, M. Tamba Alexandre, ont bénéficié, le 26 juin 2019, d’une décision d’arrêt des poursuites après avoir remboursé la somme cumulée de 6,5 millions de francs d’avances sur solde perçues par eux, mais dont les remboursements avaient curieusement été supprimés. Des faits sur lesquels ces deux inculpés devaient initialement s’expliquer (ce qui n’est finalement pas le cas) eu égard à leurs positions professionnelles respectives au sein du ministère des Finances...

De toutes les façons, le juge d’instruction conclut «à la suffisance des charges» contre Mme Aïssatou Boullo Bouba au moment de décider de son renvoi en jugement pour le détournement de la somme de 6,5 millions de francs. En effet, il reproche à l’ancienne chef de la cellule du projet Sigipes du Mincom, qui a reconnu les faits, selon lui, d’avoir refusé pendant l’enquête «de rentrer dans les détails du processus l’ayant conduit au bénéfice [des] suppressions des remboursements», traduisant simplement, poursuit-il, «son option de ne pas donner des précisions sur sa participation à l’entreprise criminelle desdites suppressions».

Variations et dérobades

S’il est aisé de comprendre le raisonnement de M. Wo’ominko au sujet de Mme Aïssatou Boullo Bouba, il est en revanche difficile de saisir sa logique pour les quatre autres personnes retenues par lui dans les liens de l’accusation. Par exemple, pour soutenir la «coaction de détournement de 5,5 milliards de francs» contre M. Leubou Emmanuel et M. Amadou Haman, il reproche à l’ancien chef de la cellule informatique de la direction de la solde de «n’avoir pas pris de mesure conservatoire» après avoir découvert les suppressions irrégulières des remboursements, «pour que celles-ci ne se reproduisent plus».

On est en face d’une déclaration quelque peu fantaisiste, dès lors que ce juge d’instruction reconnait lui-même dans son rapport, au bénéfice des responsables de la cellule informatique, la suspension du code à problème (User 01X) après la découverte du scandale et le repositionnement des remboursements supprimés. Il note, par ailleurs, que les suppressions frauduleuses des remboursements «ont à nouveau été répertoriées» aussitôt que ledit code d’accès a été rétabli, à la demande du Payeur général du Trésor. Que les hauts responsables du ministère en ont été saisis par M. Leubou, notamment le directeur général du Budget. Et que les mesures envisagées pour traiter ce problème ont été paralysées du fait de l’inertie de ces hauts responsables. Le portail des camerounais de Belgique. Le juge d’instruction semble avoir fermé les yeux sur cette évolution des choses… M. Wo’ominko s’est beaucoup investi au cours de son enquête pour cerner la responsabilité de M. Leubou dans l’octroi des avances sur solde et sur pension (à ne pas confondre avec la suppression des remboursements).

Il en fait un très long développement dans son rapport d’instruction en relevant tantôt que le concerné n’avait pas présenté tous les dossiers physiques ayant servi à la concession desdites avances, tantôt qu’il s’est mêlé les pédales dans ses explications sur le circuit d’acheminement des dossiers éligibles à l’obtention desdites avances, pour conclure, sans qu’on ne voie le lien, «que ces variations et dérobades de Leubou Emmanuel prouvent qu’il a joué un rôle central dans les suppressions d’avances de solde ou pension décriées». Quant au cas de M. Amadou Haman, «inconnu de l’administration » présenté comme coaccusé de M. Leubou, le juge d’instruction dit s’être appuyé sur les «dires des autres personnels du ministère des Finances» pour retenir que ce dernier «avait pris l’habitude de faire recours à des dépanneurs étrangers à son service pour changer l’identification de sa machine», le fameux poste N° 1255 à partir duquel aurait été perpétré 95% des suppressions frauduleuses de remboursement des avances de solde. «Le fait qu’il ait été désigné comme utilisateur du poste 1255 démontre simplement la réalité selon laquelle malgré qu’il n’ait pas été retenu en fin de compte comme contractuel recruté dans la Fonction publique et affecté au Minfi, le chef de la cellule informatique a continué à l’y reconnaître malgré les récriminations élevées à son encontre». Là se trouverait la collusion entre les coaccusés, selon le magistrat. Dans son ordonnance de renvoi, le juge d’instruction est resté fidèle à l’idée d’attribuer un rôle de second plan au chef du service des oppositions à la Paierie générale du Trésor, alors que c’est son code d’accès qui a été utilisé pour l’essentiel des suppressions frauduleuses. C’est probablement ce qui justifie que le juge d’instruction la renvoie en jugement non pas comme coauteur, mais comme complice du détournement des fonds publics allégués. Sauf que les arguments qu’il mobilise pour la mettre en accusation, inspirés pour la plupart du rapport d’une expertise en cybercriminalité commandée pendant l’instruction (l’une des rares fois où il y a recours), se passent de commentaires.

Continuation des fraudes

M. Wo’ominko n’y va pas de main morte dans ses écrits : «Après que le User de dame Lefang Celestina Nkeng ait été désactivé après la découverte des 2.423 cas d’annulations frauduleuses de remboursements d’avances de solde ou sur pension, pour la période de janvier 2015 à juin 2016 (en fait avril 2016) et que ces pratiques aient pris fin, le fait pour elles de reprendre aussitôt que ce User 01X a été à nouveau activé démontre soit qu’elle (Mme Lefang) n’a pas changé de mot de passe pour laisser continuer l’accomplissement des fraudes, soit qu’en le changeant elle le faisait connaître pour permettre la perpétration des actes criminels de suppression des codes 600 et 662, ce qui s’est avéré avec la découverte des 1601 cas répertoriés pour la période allant de juillet à octobre 2016».

Pour le juge, «il transparait que tout au moins après l’activité à nouveau de cet User, le fait que les annulations reprennent alors qu’elle était seule à pouvoir combiner son user et son mot de passe, explique parfaitement son implication au processus des annulations ou suppressions des avances de solde ou sur pension au travers de son User 01X». Quant à M. Mefiro Pempeme Inoussa, le 5e accusé poursuivi désormais pour complicité de détournement de 5,5 milliards de francs comme Mme Lefang, ce que le juge d’instruction met à sa charge, c’est le fait d’avoir été utilisateur du poste N°1255 avant qu’il ne soit attribué à M. Amadou Haman...

A la fin, une forte impression d’embarras se dégage du rapport d’instruction du juge Blaise Wo’ominko, dans le prolongement des influences que les observateurs auront noté tout au long des 18 mois de l’enquête judiciaire sur le scandale des suppressions frauduleuses des remboursements des avances de solde octroyé à certains fonctionnaires et retraités. C’est quasiment à la fin de son enquête, soit le 30 septembre 2019, que le juge d’instruction avait organisé une confrontation entre les inculpés, c’est-à-dire le jour où le dossier fut transmis au parquet pour ses réquisitions. A la fin, le flou persiste sur de nombreux contours du scandale, l’enquête n’ayant manifestement pas permis d’en démêler l’écheveau. Le jugement public de l’affaire pourra-t-il rattraper les choses ?

Rappelons que suite au déclenchement de cette affaire, une rumeur, inspirée des milieux proches du Cenadi, propagée par certains médias et reprise par les réseaux sociaux, avait présenté M. Leubou comme ayant bénéficié pendant des années de plus de 2000 salaires à la Fonction publique. Cette rumeur laissait croire par ailleurs que le scandale avait été mis en exergue à l’occasion de l’opération du décompte physique des personnels de l’Etat et permis de constater que des journalistes travaillant pour Equinoxe TV et Canal 2 international émargeaient frauduleusement au Trésor public. Des contre-vérités que votre journal avait contribué à dénoncer.

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