Hon. Fobi Nchinda Simon : “Aucun dialogue n'a jamais eu lieu avec des fusils”
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CAMEROUN :: Hon. Fobi Nchinda Simon : “Aucun dialogue n'a jamais eu lieu avec des fusils” :: CAMEROON

Le député Sdf de la Mezam réagit au discours présidentiel du 10 septembre dernier et propose des pistes pour la réussite d’un dialogue sur la question anglophone au Cameroun.

Que pensez-vous du discours de Paul Biya à la nation par rapport à la crise anglophone?
Trois années se sont écoulées depuis le déclenchement de la crise, qui est maintenant violente. Nous pouvons donc affirmer que le discours du chef de l’État arrive trop tard. Au début, les gens portaient des arbres de la paix et descendaient dans la rue pour demander un dialogue. La réponse de M. Biya a été de "neutraliser" les forces combattantes. Nous, les parlementaires du Sdf, avons écrit à M. Biya pour le convaincre, on a empêché son Premier ministre de s'adresser au Parlement afin de faire cesser les violences par le gouvernement. Nous avons même accompagné notre président national en mission de paix à Bamenda et à Buea pour lancer un dialogue. Tous ces gestes sont tombés dans l'oreille sourde de M. Biya. Il doit maintenant assumer la responsabilité de la mort de milliers de Camerounais, civils et militaires, ainsi que des souffrances de centaines de milliers de réfugiés et de personnes déplacées à l'intérieur de leur pays, ainsi que la perte de biens ; ce qui aurait pu être évité. Nous n'avons pas encore ses excuses.

En tant que député anglophone, avez-vous noté des manquements dans le discours du chef de l’Etat ?
Je dois dire catégoriquement que M. Biya s’adressait aux francophones. Nous conviendrons tous qu'il a manqué une occasion en or pour prononcer cette allocution particulière en anglais, la langue de ces mêmes Camerounais concernés par la crise. A aucun moment de son discours, il n'a parlé directement aux anglophones. Malheureusement, il a continué à faire référence à eux à la troisième personne. Il aurait pu nous parler directement en tant que père, en s'adressant à ses enfants avec des paroles apaisantes adaptées au traumatisme subi par les anglophones. Oui, il a raté cette opportunité.

Le chef de l'Etat a exposé la genèse de la crise et les concessions faites jusqu'à présent par son gouvernement. Cela vous a-t-il surpris?
M. Biya a déformé les faits historiques, délibérément ou inconsciemment. Il affirme dans son paragraphe d'ouverture que la crise a été déclenchée par les exigences corporatistes formulées par les avocats et les enseignants. Non, je peux lui dire que la crise anglophone se préparait depuis la tentative délibérée des gouvernements Ahidjo et Biya, soutenus par les Français, de saboter la fédération de 1961. Les grèves des avocats et des enseignants n'étaient qu'une manifestation supplémentaire de l'insatisfaction des anglophones. Si, comme M. Biya le prétend, le problème a commencé avec les avocats et les enseignants en 2016, peut-il alors nous expliquer ce qu’il (avec Abouem A Tchoyi, Dorothy Njeuma) faisait dans les années 70 dans une commission créée par Ahidjo pour discuter du problème anglophone ? Il est important de souligner cette erreur dans le diagnostic posé par M. Biya, car un diagnostic erroné entraîne invariablement une prescription erronée. On peut maintenant comprendre pourquoi, parfois dans le feu de la crise, M. Biya a déclaré que «la forme de l’État n’est pas négociable ». C’est, à mon sens, le signe que M. Biya connaît la solution et l’évite délibérément. Disons clairement que la solution du problème anglophone réside, dans une large mesure ou entièrement, dans la forme de l’Etat, et que cela doit être sur la table des négociations.

De nombreux anglophones prétendent qu’ils sont marginalisés. Ce que le chef de l’Etat dément…
M. Biya a dit des mensonges sur la marginalisation. Il a déclaré: « A ce propos, je tiens à rappeler à nos compatriotes de ces régions, mais également à ceux des 8 autres régions du Cameroun, que la marginalisation, l’exclusion et la stigmatisation n’ont jamais guidé le travail des divers gouvernements que j’ai formés (…) ». Il a poursuivi en déclarant que depuis 1992, le poste de Premier ministre, chef du gouvernement, a toujours été attribué à un anglophone. Encore une fois, je tiens à dire à M. Biya que les termes de l’Union entrent le Cameroun oriental et le Cameroun français étaient fondés sur un partage du pouvoir égal entre les deux Etats. Tout le monde devrait savoir que cela n’a pas été le cas, et délibérément. Devrais-je entrer dans la composition géographique de ses gouvernements ou dans la déposition de pouvoirs nationaux pour dire sans équivoque qu'il devrait revoir sa déclaration sur la non-marginalisation des anglophones?

Quelles sont pour vous les principales lacunes du discours de Biya?
A partir d'une simple observation, on part avec l'idée que l'édifice de son discours recèle des fissures. Regardons le dialogue qu'il a l'intention de mettre en place. Aucun dialogue n'a jamais eu lieu avec des fusils. M. Biya a été silencieux sur la nécessité d'un cessez-le-feu avant le dialogue. Il affirme que les forces de sécurité ont pris des mesures énergiques qui « portent actuellement leurs fruits avec l'amélioration de la sécurité et la reprise progressive de l'activité économique dans les deux régions ». Je suppose qu'il est conscient de l'efficacité du « verrouillage » à plus de 90% des territoires des régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest. Cela signifie que les « les Amba boys » exercent toujours un contrôle prédominant alors que les forces armées sont toujours déployées aux positions de combattants. Quelqu'un peut-il nous dire à quel point un dialogue efficace peut se poursuivre (même en présence des personnels de la défense et de la sécurité, ainsi que des ambas) sans cessez-le-feu?

Il y a des rumeurs selon lesquelles un dialogue aurait été initié en Suisse. Etes-vous au courant d'une telle démarche?
Eh bien, qu’il s’agisse ou non d’une telle mesure, nous notons que M. Biya n’a informé les Camerounais d’aucun progrès sur le front des négociations, ni de la Suisse ni d’ailleurs. Ces négociations sont-elles toujours en cours ou le gouvernement Biya a-t-il tourné le dos à ces négociations comme le prétend la rumeur? Il envoie des équipes dans la diaspora. Ces émissaires sont-ils bien équipés et mandatés pour discuter avec les combattants de la diaspora? Je crains que ce ne soit là le point faible des négociations.

Certains experts politiques affirment que c’est la communauté internationale qui a incité Paul Biya à engager le dialogue. Partagez-vous ce point de vue ?
Je pense que oui, car il semble que le dialogue ait été lancé à la hâte sans préparation adéquate. La pression aurait pu venir de l'étranger. Que ce soit vrai ou non, cela n'a plus d'importance. Ce qui est important maintenant, c’est ce qui sort de là.

Avant la décision de Biya pour le dialogue, des anglophones ont lancé l'idée d'organiser une All Anglophone Conference. Cette idée est-elle toujours valable aujourd'hui?
Oui, elle est toujours valable. Cependant, ceux qui ont étudié M. Biya ont postulé qu'il ne pourrait jamais accepter la tenue de la All Anglophone Conference en prélude à un dialogue national. Ils ont invoqué comme raison la double crainte de M. Biya que de cette conférence puisse faire émerger un leadership anglophone doté d’un plan d’action. Ce sont des choses qui sont des anathèmes pour les pouvoir centralisés jacobiniste de M. Biya. Nous pouvons donc constater que la consultation proposée par le Premier ministre avec les régions anglophones et la diaspora n’est en réalité pas à la hauteur des attentes d’une All Anglophone Conference. Le portail des camerounais de Belgique. Sans caucus préliminaire, les anglophones se rendront à la table du dialogue en rangs dispersés, sans leader et sans programme. Biya a cité la Constitution qui lui donnait une marge de manœuvre pour organiser le dialogue national. En tant que législateur, pouvez-vous dire qu'il a agi dans le cadre de ses pouvoirs constitutionnels? Nombreux sont ceux qui croient que M. Biya a été entraîné malgré lui dans un dialogue. Il est fondamentalement jacobiniste et il a réécrit la Constitution pour que le Cameroun soit un État unitaire décentralisé. Veuillez noter que dans son allocution, il précise qu'il appelle le dialogue national qui "nous permettra, conformément à notre constitution, de rechercher les moyens de répondre aux aspirations élevées des populations des régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, mais aussi de toutes les autres composantes de notre nation ». Est-il si loin de sa déclaration initiale que la forme de l'Etat est « non négociable »? Heureusement, la même Constitution nous donne les moyens de la modifier pour que la forme de l’Etat puisse être revue.

Paul Biya a déclaré que le dialogue était ouvert à tous les Camerounais pour discuter spécifiquement de la crise anglophone. Cela peut-il être possible ou réalisable?
C’est ce qu’il a dit: « Le dialogue rassemblera donc tous les fils et filles de notre pays bien-aimé et beau… ». Permettez- moi d’être clair ici. Sans la conférence préliminaire, les anglophones entreront dans le dialogue en rangs dispersés comme à Foumban. Ils entreront sans programme fixe et sans leadership consensuel ; et ils seront bons pour le massacre. En présence de tout le Cameroun, les anglophones seront éclipsés dans un rapport de quatre contre un, rappelant le référendum de 1972. Ce sont, entre autres, les points sur lesquels nous devons nous pencher pour préparer le dialogue avec un gouvernement camerounais qui souhaite une solution militaire en faveur d'un pouvoir centralisé jacobiniste. En fait, une solution qui n'accorde même pas un seul iota de pouvoirs spéciaux aux anglophones. Si tel était le cas, la solution militaire aggraverait la menace humanitaire, répugnante pour la communauté internationale. Il est impératif d'impliquer la communauté internationale dans son rôle de modérateur pour un cessez-le-feu entre combattants en vue du grand dialogue.

Êtes-vous pour le dialogue et quelles soupapes de sécurité proposez-vous aux anglophones?
Oui, nous sommes pour le dialogue et nous devons le faire. Mais au fur et à mesure, les anglophones doivent:

  • Se souvenir de la conférence de Foumban où les anglophones se sont retrouvés en rangs dispersés sans programme ni leadership. Nous devons avoir un caucus pré dialogue.
  • Se souvenir du référendum de 1972 où nous étions en infériorité numérique sur une question qui nous concernait. Faire attention à nos problèmes qui sont mis au vote.
  • Ne pas oublier que contrairement à ce qu'affirme M. Biya, le problème anglophone n'a pas commencé en 2016 avec les enseignants et les avocats. Cela a commencé en 1961 avec le partage du pouvoir entre les deux Etats. Il est temps d'y remédier.
  • Ne pas oublier que contrairement aux affirmations de M. Biya, les anglophones sont effectivement marginalisés.

Enfin, nous devons insister sur un cessez-le-feu négocié bilatéralement pour permettre des discussions saines. En outre, si les anglophones découvrent, au cours du dialogue, qu'ils sont en train de prendre des positions contraires à leurs intérêts, ils devraient toujours se rappeler le fameux dicton anglais qui dit: « Celui qui se bat et qui s'enfuit vivra pour se battre un autre jour».

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