Les prisonniers du président - Pierre Emga : Une case en plus sur le chemin
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A 70 ans, le notable de Fongoli et ancien président départemental du Mcnc dans le Haut-Nkam se retrouve derrière les barreaux, mais garde le moral haut.

Il a de l'humour, assurément. Et la prison ne lui en a pas fait perdre. «On peut avoir des projets comment quand on est en prison mon ami ? C'est quand je sortirai que je vais en avoir», répond-il à une question que nous lui posons. Comment ne pas étouffer un petit rire face à autant de bon sens ? Pierre Emga est certainement l'un des plus vieux des détenus du Mouvement pour la Renaissance du Cameroun (Mrc). Et en 70 ans, il en a vu et fait choses. A 70 ans aussi, il a encore des projets, c'est sûr. Mais la situation dans laquelle il se trouve ne lui permet pas d'en parler. Peut-être évite même tout simplement d'y penser.

Au petit matin du 26 janvier, il aurait tenu un autre discours. De quoi aurait-il parlé ? Peut-être de son rêve de voir un jour un Cameroun mieux géré, peut-être de la gestion des affaires de Fongoli, le petit village du département du Haut-Nkam dans la région de l’Ouest, dont il est l’un des notables. Peutêtre même simplement du repas et de la communion qu'il aurait eue avec sa famille en fin de journée. Mais les choses ont changé entre temps. Le 26 janvier 2019, il fut arrêté. Comment ? Pourquoi ? La faute à des gens qui ont pensé qu'il ne devait pas avoir ces rêves-là. Que l'on ne devrait pas aspirer à vivre mieux. Que l’on ne devrait simplement pas suivre une autre route qu’eux. Ce samedi matin-là, Pierre Emga avait pris la route de son propre chef. Celle du lieu où était prévue à Bafang la marche organisée par le Mrc. Trois jours plus tard, il prenait de force la route d’un lieu inconnu. C’est à son arrivée, au petit matin du 29 janvier, qu’il découvre qu’il se trouve dans la banlieue de Yaoundé, plus précisément au Commandement central des groupements mobiles d’intervention (Ccgmi) à Soa. Leurs appareils avaient été saisis au moment de leur interpellation et le voyage de nuit, sans aucune indication, a fini par les perdre complètement. «On ne savait pas où on était. C’est le matin vers 8h qu’on l’a su », dit-il.

Menottes

Il revient ensuite sur le film de son arrestation, ou du moins sur ses grandes lignes : «J’ai été arrêté à Bafang le 26 janvier. On m’a conduit au commissariat où j’ai passé la nuit. Le 27, on m’a conduit menotté à la prison de Bafang à 19h. Le 28, à 19h30, j’ai été conduit à Bafoussam. Puis, vers 22h, on a été embarqué pour Soa où nous sommes arrivés en pleine nuit », raconte-t-il. Dans son récit, le vieil homme insiste sur les menottes qui lui ont été passées. Comme pour montrer l’incompréhension qui a été la sienne et qui l’est encore par rapport à la violence qu’ont utilisée ses bourreaux. Lui qui a fait tant de choses dans sa vie, qui parcouru monts et vaux et qui, surtout, sur le plan politique était loin d’être un novice a du mal à comprendre. Début février donc, il se retrouve à la prison centrale de Yaoundé à Kondengui.

Comme dans un mauvais rêve qui ne s’arrête pas. Il passera devant le tribunal en procédure d’habeas corpus, pour une demande de libération immédiate. Et il attend. « On ne sait pas comment ça se passe. Je leur ai dit que je suis fatigué, que j’ai 70 ans et qu’il faut qu’on me laisse. On est ensuite allé à la cour d’appel. Et depuis, il y a des renvois. Je suis déjà allé à trois audiences », précise-t-il. Le portail des camerounais de Belgique. Il évoque, toujours avec beaucoup de calme, les moments difficiles passés au tribunal militaire puis à la prison, la torture endurée et le quotidien dans le quartier 1, local 1 de la prison où il a finalement atterri. Il est calme, garde le moral, mais ne souhaite rien de plus que de retrouver son domicile. Il s’habitue au jour le jour aux conditions de détention, mais reste convaincu d’une chose : «On ne peut être heureux que chez soi, on vit ici malgré nous ».

Il pourrait y avoir pire, pense-t-il. « Nous prions Dieu qu’aucun de nous ne tombe malade en attendant. Mais je garde le moral, j’ai appris à garder le moral haut malgré tout ce qui m’arrive. C’est aussi pour éviter de tomber malade », ajoute-t-il. Mais revenons à l’homme et son engagement politique. Qui est Pierre Emga et comment s’est-il retrouvé en première ligne des revendications du Mrc dans le Haut-Nkam ? Déjà parce qu’il est l’un des cadres locaux du parti de Maurice Kamto qu’il a rejoint en 2018, convaincu par son idéologie, nous dit-il. Aujourd’hui, il est conseiller départemental du parti dans le Haut-Nkam. Pour rejoindre le Mrc, Pierre Emga a dû démissionner du Mouvement citoyen national camerounais (Mcnc) de Pierre Monthé, qui fut au cours des dernières années un des partis avec lesquels il fallait compter dans le département du Haut-Nkam. Il a pu arracher quelques postes de conseillers municipaux en 2013 et un peu plus tôt, son président fut même député à l’Assemblée nationale. Pierre Emga fut dont l’un des membres fondateurs du Mcnc.

Comme un « bras droit » du président Monthé, selon sa propre expression. D’ailleurs, c’est Pierre Monthé, avec qui il s’est retrouvé un bout de temps dans l’Ufdc d’Hameni Bieleu qui l’amènera dans ses bagages pour lancer son propre parti. Au Mcnc, Pierre Emga sera le patron du Haut-Nkam, en sa qualité de président départemental.

Afrique de l’Ouest

Mais tout ça est bien récent encore. En fait, l’homme s’est engagé du côté de l’opposition dès le retour au multipartisme au début des années 90. Ce sera d’abord au sein du principal parti de l’opposition de ces années-là, le Social Democratic Front (Sdf). Il sera membre de la section du parti à Cotonou au Bénin où il se trouve à l’époque. De retour au Cameroun, il est secrétaire à l’organisation du Sdf dans le Haut-Nkam. L'info claire et nette. Comme on le sait déjà, il quittera le Sdf pour l’Ufdc, puis le Mcnc et enfin le Mrc. Voilà pour ce qui est de la politique. Mais elle n’est pas toute sa vie. Pierre Emga a connu également un parcours plein de rebondissements sur le plan professionnel. Tout jeune, il s’installera dans la ville de Douala où il trouve un emploi comme magasinier au sein de l’entreprise Bernabe – Cameroun. Il y travaille pendant plusieurs années, puis perd son emploi. «Ce régime est venu et nous a compressés », lance-t-il. On est au milieu des années 80.

Désormais au chômage, il va explorer d’autres voies pour survivre. Principalement le commerce. Et pour cela, il quitte le Cameroun et prend la direction de l’Afrique de l’Ouest. Ce sera d’abord le Ghana, puis le Bénin. Il passera au total un an et demi en Afrique de l’Ouest avant de retourner au Cameroun. «Je voulais m’installer en Afrique de l’Ouest comme commerçant. Mais les circonstances ne m’ont pas permis de rester. En plus, je suis devenu un grand notable du village Fongoli et je ne pouvais pas rester à l’étranger », explique-t-il.

La tradition occupe donc une place de choix dans la vie de ce chef de famille, qui tient à préciser qu’il est marié « coutumièrement et officiellement ». Sa famille qui est installée à Douala compte huit enfants. L’un de ses fils a certes déjà eu la possibilité de venir lui rendre visite à Yaoundé, mais il tarde au vieil homme de retrouver les siens. Ceux de Douala, mais aussi ceux de Fongoli, le village dont il est l’un des leaders traditionnels. Mais il tient tout de même à rassurer toutes ces personnes. «Que ma famille ne s’inquiète pas », dit-il. «Le Mrc fait tout pour nous nourrir en prison », précise-t-il.

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