Vient de paraître: "Les vacances au village" de Enoh Meyomesse.
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CAMEROUN :: Vient de paraître: "Les vacances au village" de Enoh Meyomesse. :: CAMEROON

Pendant les vacances scolaires, mes parents m’emmenaient au village. J’y passais pratiquement trois mois à jouer avec mes cousins. Je jouais également dans le club de football du village « Tergal de Nyazo’o » C’était la reprise du nom du club de football des Blancs d’Ebolowa, « Tergal d’Ebolowa ». Ainsi que décrit plus haut, j’ai été le témoin de la barbarie qui régnait dans les villages à l’époque. Pratiquement tous les matches de football se soldaient par de terribles bagarres. Moi, au premier coup de poing, je me sauvais, pour ne pas voir mes lunettes voler en éclats. Avant les matches, il y avait souvent beaucoup de sorcellerie. Les joueurs passaient la nuit ensemble, certains à faire des invocations. Parfois, le matin, un membre de la délégation était chargé d’aller jeter un œuf dans les goals adverses, aussitôt le match lancé. Gare à lui s’il était surpris. Il allait passer de bien mauvais quarts d’heures.

Dans notre village, il y avait un grand cousin qui détenait le fétiche du coup de poing magique. Il nous le donnait par scarifications sur le poignet droit. En cas de bagarre, toute personne qui recevait un coup de poing de cette main était à terre. Et tant que vous n’aviez pas rouvert votre poing, elle se débattait au sol sans pouvoir se relever. A l’issue d’un match dans un village voisin où nous avions été copieusement rossés au cours d’une de ces terribles bagarres, tous les joueurs de « Tergal de Nayzo’o » s’étaient scarifiés, en prévoyance de futurs matches. Mais, la nouvelle s’était rapidement répandue que nous détenions déjà « l’ébolà », tel était le nom de ce fétiche, et plus aucune équipe n’avait encore accepté de livrer un match contre nous, d’autant que, pour cette année-là, les vacances étaient déjà pratiquement terminées. En conséquence, moi personnellement, je n’ai guère eu la possibilité d’expérimenter ce terrible coup de poing. Il comportait une variante, c’était celle de faire déféquer sur le champ de la diarrhée à quiconque l’aurait reçu. Lorsque je partais en France après mon baccalauréat, j’avais encore renouvelé ce fétiche pour me prémunir d’éventuelles bagarres là-bas contre les Blancs … Heureusement, je n’y ai jamais bagarré.

En tout cas, dans les villages, il y avait énormément de sorcellerie qui se pratiquait. Celle-ci se poursuit malheureusement jusqu’à ce jour en anéantissant, hélas, parfois des familles entières…

Pendant les vacances scolaires, je me rendais aussi régulièrement dans mon village maternel. Très souvent, le frère cadet à ma mère, donc un de mes oncles, y organisait de grandes fêtes auxquelles était conviée toute la famille. C’étaient de merveilleuses occasions de retrouvailles.

La noyade de Guy.

Mais ma présence dans ce village, m’est toujours douloureuse. En effet, un drame auquel j’ai échappé de justesse y était survenu le 22 décembre 1961, quelques jours avant que ma mère et moi ne rejoignions mon père en France. Elle m’y avait emmené à l’occasion des funérailles de son père, donc mon grand-père, décédé quelques mois auparavant. Elle avait également emmené avec moi, mon cousin germain, Guy, homonyme de mon père, avec qui nous vivions et devions partir pour la France huit jours plus tard. Nous avions suivi les gosses du village avec qui nous jouions, et qui partaient se baigner dans le grand fleuve du village. Malheureusement, à leur différence, nous ne savions pas nager. Guy s’est noyé. Moi j’ai été sorti de l’eau d’extrême justesse. Jusqu’à ce jour, lorsque je me rends au bord de ce fleuve et à l’endroit précis de cet accident, des larmes se mettent encore à inonder mes yeux…

Les fêtes dans les campagnes.

Dans les campagnes, les jeunes organisaient beaucoup de fêtes, sous forme de soirées dansantes. Ils les avaient dénommées, « Boum », ou encore, « Surprise partie ». Au cours de ces soirées, malheureusement ils s’empiffraient d’alcool. En effet, ils mélangeaient le arki, une terrible liqueur de fabrication locale et artisanale, à du sirop, et distribuaient cette mixture redoutable aux invités. Les jeunes saoulaient immédiatement, et la fête devenait extrêmement gaie. L’électricité n’ayant pas encore atteint les villages, les salles étaient éclairées à la Lampe Aida. C’était une lampe à pression qui produisait énormément de lumière. Dans le même temps, la musique était assurée par des « tourne-disques » à piles.

Nous dansions de la musique anglaise, avec les Beatles et les Rolling Stones, de la musique américaine, avec Otis Redding, James Brown, Wilson Pickett, Percy Sledge, Ray Charles, Chuck Berry, etc., et de la musique française avec Johnny Halliday, Sylvie Vartan, Sheila, etc., et Eboa Lottin, Ekambi Brillant, Francis Bebey, puis à partir de 1973, Fela Ransome Kuti, Sonny Okosen, un autre chanteur nigérian moins connu aujourd’hui.

Pendant ces soirées dansantes, il y avait fréquemment des conflits entre les jeunes provenant de la ville et ceux vivant en campagne. Les premiers étaient plus convoités par les jeunes filles que les seconds, ne serait-ce que parce qu’ils portaient de beaux vêtements et revenaient des lycées et collèges. En conséquence, les choses tournaient souvent mal. Lorsqu’une soirée se déroulait dans un village voisin, nous partions ensemble dans la nuit, après que les parents se soient couchés, et revenions ensemble également au petit matin, exténués, par la danse, la marche à pieds, et … l’alcool. Toutefois, moi je n’en consommais pas. A notre époque, les jeunes dans les villages ne fumaient pas encore le chanvre indien comme de nos jours. D’ailleurs, tout adulte qui le faisait, était plutôt mal vu. Il était considéré comme un raté.

En vacances au village, moi je n’allais pas aux champs, étant donné que mes parents n’en disposaient pas. Mais, parfois, j’accompagnais des oncles à moi dans les leurs, et j’y passais des journées entières. En retournant au village, une fois mon oncle Ondja’a Pierre, un des deux anciens combattants, m’avait donné une bûche de bois à transporter. Mon Dieu ! Qu’est-ce que c’était lourd et difficile à porter. Je l’ai d’abord placée sur ma tête, avec une étoffe enroulée en-dessous. Peine perdue : elle me mordait le cuir chevelu. Puis je l’ai placée sur l’épaule : c’était pire. J’ai entrepris de la traîner au sol : impossible. Waaaaahhh !!! C’était terriblement lourd. J’avais véritablement trimé pour atteindre le village avec ce colis qui pesait des tonnes sur mes frêles épaules.

Jusqu’à ce jour, je me rends compte que mon oncle avait bien fait de me demander de transporter cette bûche de bois. Cela m’a été très utile pour comprendre la pénibilité des travaux champêtres, et, par voie de conséquence, de la condition paysanne au Cameroun. En plus de la faiblesse des revenus, il faut y intégrer les conditions de travail extrêmement difficiles qui la caractérise. Il y a des paysans qui parcourent des distances de quatre cinq, voir six kilomètres et même parfois davantage pour atteindre leurs champs. De même, les chasseurs se retrouvent à transporter du gibier sur plusieurs kilomètres dans la forêt. Deux à trois singes de dix kilogrammes chacun tués et à transporter sur dix kilomètres à travers celle-ci, plus le fusil de chasse et l’inévitable machette, le tout se transforme en centaines de kilos en arrivant au village. Que dire d’une femme qui ramène de son champ, sous la pluie, situé au sommet d’une colline à plusieurs kilomètres du village, trois régimes de plantains et du bois dans sa hotte, et qui doit traverser à guet plusieurs cours d’eau ?
La condition paysanne est rude au Cameroun. Quand les pontes du régime exhortent les jeunes à retourner en campagnes, je voudrais bien qu’ils y envoient en premier leurs propres gosses.

La vie dans les campagnes.

Dans les années 1960 et 1970, il y avait une grande misère dans les campagnes camerounaises, comme du reste dans tout le pays. De très nombreux gosses de mon âge qui y vivaient n’avaient très souvent même pas une seule paire de chaussure à porter. ( ) Les adultes n’étaient guère mieux lotis. Les gens s’habillaient de haillons. Je me souviens d’un oncle dont je me moquais toujours lorsqu’il se mettait à repasser ses « vêtements ». Un tas de chiffons. Lui et moi nous en rions énormément. Il était quelqu’un de très marrant.
De même, les gens habitaient des taudis en terre battue, aux toitures en nattes de raphia. ( ) Naturellement, ceux-ci n’étaient généralement pas crépis, et leur sol n’était guère cimenté. Toutefois, les gens dessinaient sur leurs murs des scènes de chasse ou de la vie quotidienne, et c’était très beau. De nombreux villages étaient situés dans des zones mal desservies par les cars de transport à cause du très mauvais état des pistes. Il n’existait pas encore d’« opep ». Alors, les gens parcouraient de très grandes distances à pieds, allant jusqu’à parfois trente, voire quarante kilomètres pour se rendre en ville. Par ailleurs, il n’y avait pas d’électricité dans les villages, cependant il y avait de l’eau potable à travers des puits. Lorsque mon père avait acheté son premier groupe électrogène en 1970, cela avait été un grand événement dans la contrée. Tous les soirs il le mettait en marche, et de nombreuses cases du village sortaient des ténèbres. C’était inédit et merveilleux.

A l’époque, en pays bulu, les gens vivaient encore les restes de la société d’avant les Blancs. Les garçons étaient élevés pratiquement en commun, par tous les hommes, et les filles par toutes les femmes. Au centre du village se trouvait une bâtisse dénommée « Aba ». C’est là que s’installaient les hommes une fois de retour des travaux des champs. Ils y jouaient au Songo, mangeaient ensemble les différents plats de nourriture en provenance des différentes cuisines de leurs épouses, et y veillaient jusqu’à des heures avancées de la nuit. Dans « l’Aba », il y avait toujours une bûche de bois qui se consumait et qui procurait de la chaleur aux personnes qui s’y trouvaient.

« L’Aba » était très utile aux voyageurs qui se déplaçaient à pieds. Il s’y trouvait en permanence des mains de banane, du manioc trempé, de l’eau fraîche, des lits en bambous pour se reposer, etc. Les voyageurs pouvaient, à tout moment, y manger, se désaltérer et même s'allonger un moment, voire y dormir s’ils arrivaient en pleine nuit. Je me souviens d’une nuit où ma mère et moi, à quelques kilomètres d’Ebolowa, avions, je crois en 1961, dormi dans un « Aba ». La vieille Mercury de mon père, que conduisait son chauffeur, un nommé Timothée, était tombée en panne, ainsi que cela lui arrivait régulièrement, dans un bosquet en pleine nuit. Nous avions gagné le village et, sans déranger quiconque, nous étions installés dans « l’Aba », et y avons passé la nuit. Ce n’est qu’au lever du jour que les habitants du village avaient découvert notre présence. Timothée s’était alors rendu à Ebolowa pour acheter la pièce en panne, afin de pouvoir poursuivre le voyage vers notre village.

Dans les villages, il y avait également ce que l’on appelait « Atak mvam », et que l’on peut traduire en français par « le comptoir de la bonté ». C’était une étagère en bois, naturellement, que l’on élevait sur le bord de la route, et sur laquelle était déposée de la nourriture pour les voyageurs. Tout passant pouvait en manger à satiété.
Sur les « Atak mvam » il était néanmoins écrit : « O ja’ak, ô simesa’ane bôt bé so wo mvùs ». Traduction : « en mangeant, songe à ceux qui arrivent après toi… ». Bref, n’avale pas tout …

De nos jours, tout ceci a disparu. Mais, en réalité, « l’Aba » et surtout « l’Atak mvam » correspondaient à une époque où les gens se déplaçaient sur de longues distances à pieds. Ma mère avait l’habitude de me raconter que tout au long des années 1930, son père exerçant son ministère pastoral à Metet, dans le Nyong & So’o, c’est-à-dire au-delà de Mbalmayo sur la route de Sangmelima, lorsque la famille partait en vacances au village situé à 6 km de Bipindi sur la route Lolodorf-Kribi, ses frères et sœurs ainsi qu’elle-même se déplaçaient à pieds, pendant que leurs parents venaient à moto. Le voyage durait une semaine entière, pour un trajet d’environ 250 km. En route, ils dormaient dans les « Aba », se nourrissaient en grande partie dans les « Atak mvam ». En tout cas, ils y trouvaient des compléments à leurs propres provisions. ( ) Elle m’a révélé que la toute première fois qu’elle avait emprunté une auto c’est quand elle était tombée malade à Metet et qu’il fallait l’évacuer à l’hôpital américain d’Enongal à Ebolowa. Elle avait été transportée par un missionnaire américain justement de Metet qui s’y rendait. Son père avait suivi à moto. C’était autour de 1940. En chemin, me racontait-elle, son bienfaiteur et elle doublaient d’innombrables voyageurs à pieds qui allaient très loin. Ils se déplaçaient généralement en bandes. Mais, il s’en trouvait aussi qui se déplaçaient tout seuls. Toutefois, ce n’était pas très prudent de le faire. Il y avait encore des bêtes sauvages qui surgissaient sur la chaussée et attaquaient souvent les voyageurs. Mon père de son côté m’avait raconté que lorsqu’il avait reçu le télégramme lui annonçant ma naissance à la maternité d’Ebolowa, il avait décidé de venir sans tarder découvrir son gosse.
Il était propriétaire d’une moto de marque Norton. Il était parti de Yaoundé de grand matin. Après la petite ville de Ngoulemakong, un chimpanzé lui avait barré la route pendant une bonne dizaine de minutes. C’était au mois de juin 1954 …

Enfin, dans les campagnes, pendant mon adolescence, il y avait beaucoup de chiques et de poux. De très nombreux gosses se retrouvaient avec des pieds déformés à cause des chiques. Les poux quant à eux, n’épargnaient personne, garçons comme filles, même si ces dernières étaient indiscutablement les plus touchées. Les après-midi, après les travaux des champs et le bain à la rivière, elles s’installaient dans la cour et se tuaient les poux sur la tête. C’était même comme une sorte de distraction féminine quotidienne.
Une chose m’avait toujours étonné dans les campagnes, les gosses qui y vivaient, livraient des matches de football avec des chiques aux orteils et pieds nus. Parfois ils étaient même plus redoutables sur le terrain que nous qui portions des chaussures et n’en avions pas, ou très peu. Même sous la pluie, alors que le ballon est déjà imbibé d’eau et qu’il pèse davantage, ils décochaient de terribles shoots malgré leurs chiques. Lorsque je pense à tout ça aujourd’hui, j’en rigole tout simplement. Je constate simplement avec grand plaisir qu’il y a eu du progrès au Cameroun, car les chiques et les poux ont pratiquement disparu ( ) dans plusieurs régions du pays.

…………….

Table

Avant-propos
1-Ma naissance, mes parents et mon enfance
2-Souvenirs de gamin à Douala au temps du maquis
3-Premier séjour en France en 1961
4-Premier retour au Cameroun en 1964
5-Bref séjour à Dschang
6-Retour à Yaoundé
7-La Coupe des Tropiques
8-Bagarre électorale monstre à Mvog-Mbi et répression sauvage
9-La visite d’Habib Bourguiba à Yaoundé
10-La visite d’Heinrich Lübke et la pose de la 1ère pierre du Transcamerounais
11-Découverte du Cameroun Occidental
12-Le drame du stade de l’hippodrome en 1965
13-Les 1er jeux Africains à Brazzaville : Joseph Bessala héros national
14-L’élection présidentielle de 1965 : Ahidjo et Foncha candidats uniques
15-L’entrée au Lycée Leclerc en 1966
16-Maladie et dernières têtes coupées de maquisards
17-Ahidjo contre le mouvement « Hippie » et le salut des « Black Panther »
18-Transfert au Lycée Joss : élèves très politisés
19-Découverte de la littérature nègre
20-Arrestation musclée d’un voisin correspondant d’Abel Eyinga
21-L’arrivée d’Ekambi Brillant sur la scène musicale, puis de Francis Bebey
22-Les vacances au village
23-La vie dans les campagnes
24- « Cameroon Airlines »
25-La 8ème CAN au Cameroun
26-Referendum du 20 mai 1972
27-Elève au Lycée de Bertoua
28-Mes premières expériences politiques
29- Retour au Lycée Leclerc et Baccalauréat

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