Les prisonniers du président - Gilles Gautier Kouokap : “J'ai pris en main mon destin”
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Le jeune débrouillard a construit sa vie, à la force de son poignet. Et il vit son épreuve, sans baisser les yeux face à ses bourreaux.

C'est le genre de petite échoppe de quartier, où l'on envoie un enfant chercher des allumettes et prendre un sachet de café à 100fca, dans ces conditionnements du pauvre que les multinationales ont adopté pour écouler leurs produits chez nous. C'est la « boutique" comme on dit dans nos quartiers, pour désigner ce stop obligatoire pour les écoliers du sousquartier, - ceux qui viennent des plus bas fonds encorequi le matin, s'arrêtent ici pour prendre le pain de 50 avec le beurre de 25 et le chocolat de 25. Petit déjeuner et déjeuner de l'enfant qui mangera le soir, (si maman a préparé à manger).

Cette échoppe, c'est quelque part à « Village», le bien nommé quartier de Douala, scandale de l'urbanisme et de l’urbanité, qui n'est ni village ni ville, et où des centaines de milliers de personnes insultent leur humanité à la sortie Est de la ville de Douala, la sortie vers la capitale, Yaoundé. Cette échoppe, c'était l'aboutissement de dix années de pérégrinations, d'efforts et d'économies, d'un petit garçon parti de Bangoua. L’histoire de Gilles Gautier Kouakap n'est pas banale, mais elle ressemble à s’y méprendre à toutes ces histoires de débrouillardise et de lutte pour la sortie d'une misère qui vous suit, chevillée au corps. Gilles Gautier (on se demande d'où peut sortir ce prénom composé de la vieille aristocratie française chez ce mec) naît à Foumbot, dans une famille polygame, tout ce qu'il y a de plus commun dans la région.

« vingt-troisième d'une famille de vingt-six », dit-il avec insistance, comme pour souligner qu’il sort de l'une de ces maisons où le père se contente de fabriquer des enfants, et ce sont les pauvres mamans et la providence qui font le reste. La plus bonne mère du monde ne peut donner que ce qu’elle a… Ecole primaire à Bangoua, déjà « exfiltré» chez les grands-parents, puis enseignement technique et Cap en menuiserie. Il se jette dans la vie active, comme l'on dit lorsqu’on a décidé d’arrêter ses études, faute de soutien. Serveur dans une cafétéria à Bafoussam, puis dans une boîte de nuit (on progresse), puis, le grand départ vers Douala. Les success stories du jeune des grassfields pour aller « se chercher» sur la côte sont vieilles comme désormais le monde. Camer.be. Mais pour un riche commerçant, combien d'espoirs et d'ambitions se sont noyées dans les bidonvilles aux eaux stagnantes de Douala ? N'empêche, notre aventurier fait d'abord manoeuvre dans les chantiers qui ne manquent pas, épargne sou par sou ses payes de manoeuvre…

Lorsqu'on dit qu'un manoeuvre de chantier à 2500 F par jour met de l'argent de côté, il faut comprendre qu'il épargne sur des besoins vitaux : manger, se soigner, dormir en un lieu sec… Mais il y parviendra au bout de quelques années. Le voilà propriétaire de cette échoppe-cafétéria de quartier, d'où il est parti au soir du 28 janvier pour aller à la rencontre de Maurice Kamto, et d'où il s'est retrouvé au quartier 9 de Kondengui, avec un traitement inhumain. Y a t- il une échelle dans l'inhumanité ? Les pires criminels qui partagent la même cellule que lui, lui en font subir d'autres. On passera sur les jours sans pain au Gso, les deux semaines de torture au Sed, le Tribunal militaire. Le must : les 48 heures debout, au tribunal militaire, avant la signature de leurs mandats de dépôt pour la prison de Kondengui : le raffinement de la torture, car on vous envoie en enfer, mais vous trouverez cela apaisant, car vous revenez de loin… GSO, SED, PJ…

Notre homme fait avec ses sigles désormais aussi sinistres que l'inhumanité qui caractérise ce que l'on y fait aux gens, l'apprentissage de la machine à broyer du système. Kouokap Gilles Gautier est né le 10 mars 1991 à Foumbot. En pleine « villes mortes», le clou des «Années de Braise», révolte citoyenne camerounaise contre un quart de siècle de monolithisme. Au bout de longs mois de contestations et de violence, les partis politiques et la société civile obtiennent un certain nombre de possibilités d'expression. Dans la constitution, on consacre les deux mandats présidentiels. La liberté d’associations, de réunion, de manifestations sont des acquis. On ressort de ces années-là avec ce que Paul Biya, le seul président que Gilles Gautier ait jamais connu, appelle malicieusement « démocratie apaisée »… Au fil des années, l’éternel président et son système remettront les vis du conservatisme, au point de franchir la ligne jaune. Si l'on n'est pas en dictature, comment expliquer que l'on envoie par devant le Tribunal militaire ce brave petit boutiquier de quartier, parce qu’il se retrouva un jour aux portes d’une résidence du quartier Bassa, sans aucune intention de violenter qui que ce soit, ni de détruire quelque bien ?

Il s'est engagé au Mrc en 2015, avec plusieurs jeunes de son quartier, convaincu que c'était une voie de sortie du marasme et du mensonge pour son pays. En prison, pour se moquer d'eux, les autres prisonniers les appellent « Kamtosards". Mais il regarde avec presque de la pitié ces « autres», qui ne sont que des victimes d'un système qui broie tout le monde pour pouvoir se maintenir, encore et encore. Au bout de sa débrouillardise, il avait pris femme. Une jeune femme qui a un enfant de 20 mois. Et les deux vivent sans doute la plus dure partie du martyre. Le sien au moins, il l'assume « car j'ai décidé de prendre en main mon destin. Le jour où une majorité de jeunes décidera de prendre conscience, comme moi… »

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