Les Africains et le virus du pouvoir: Le regrettable laboratoire parfait du Bénin ?
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Afrique :: Les Africains Et Le Virus Du Pouvoir: Le Regrettable Laboratoire Parfait Du Bénin ?

En 1984 les puissances coloniales réunies à Berlin, pour une messe noire à l’instar des rencontres que tenaient les redoutables mafias de Chicago et de Sicile dans les années 1950 pour régenter toutes sortes de trafics illégaux accompagnés des pires crimes de sang, dépecèrent l’Afrique comme des fauves affamés qui se ruent sur une pauvre antilope malade.

De cet acte d’impérialisme à un moment où les deux tiers des peuples de la planète subissaient le joug de la domination, et n’avaient presqu’aucun contrôle sur leur destin, sont nés une multitude de pays aux contours géographiques quelconques, mais surtout avec des spécificités dans certains cas très curieuses, tantôt en bien et tantôt en mal. A ce propos la sous-région de l’Afrique de l’Ouest offre un tableau hautement composite, par son mixage de deux colonisations, anglaise et française et même germanique, qui produit des entités nourries de sous-cultures aussi enviables qu’étonnantes.

Dans cet alignement, cette fresque géopolitique objectivement riche, se dégage un petit pays, et plus qu’un petit pays, une terre d’audaces, de constructions académiques et de valeurs qui ont tôt fait de produire voire d’imposer une sorte d’anthropologie politique propre. Nous parlons du Bénin. Ce petit pays coincé entre le Togo de taille presqu’équivalente, le Ghana et le grand frère nigérian, s’est distingué depuis les premières heures des indépendances formelles, comme un cas à part. Terre bouillonnante de cultures et d’intelligences qui ont conduit à lui coller le nom de quartier latin de l’Afrique, le Bénin est aussi une source d’inspiration politique, une école d’exemplarité dans la quête de bonne gouvernance.

A ce propos, il est nécessaire de rappeler à ceux qui pourraient l’ignorer, que la décennie 1960-1970, a produit un genre d’intellectuels béninois qui a dominé la réflexion politique dans la sphère francophone de l’Afrique, d’abord par son audace plus que par sa densité, et ensuite par son dogmatisme novateur et volontiers révolutionnaire. Ce n’est pas dès lors un hasard, si la toute première conférence nationale et le vent de grandes mutations vers la démocratie qui inocule le virus du changement à toute l’Afrique dans la suite de la Perestroika et de la Glasnost venus de l’URSS de Michael Gorbatchev, prennent corps dans ce pays.

I - Le Grand bond en arrière

Avril 2019, mais que se passe-t-il donc au Bénin ? Les conférences nationales sont passées, les régimes se sont succédé avec diverses colorations et différentes ambitions et alliances un peu partout en Afrique. Les fortunes ont été diverses. D’un côté, les quelques lauriers des mouvements de la société civile ont été balayés et les régimes autocratiques rassurés, stabilisés et ragaillardies comme au Togo voisin d’Eyadema Nyassimbé et au Gabon d’Omar Bongo, contournés et dévoyés au Cameroun de Paul Biya par une astucieuse pirouette baptisée tripartie. De l’autre, presque rien n’a bougé, les autocrates sont demeurés de marbre, renforcés par des alliances de circonstance, ou remorqués solidement par les urgences opportunistes des stratégies de lutte contre le terrorisme. Les attentats de septembre 2001 contre les Etats Unis permettront d’ailleurs de reléguer très vite la démocratisation qu’avait soutenu l’administration Clinton aux calendes grecques. Pourtant, l’intelligentsia africaine ainsi que tous les analystes de l’intérieur comme de l’extérieur, sont restés fiers du Bénin. En effet le pays n’a pas dérogé à sa trajectoire, à son appel, à sa promesse pour un destin démocratique, un destin exemplaire. Trois présidents sont arrivés depuis la conférence nationale, et trois projets de société se sont dessinés, dévoilés et étalés.

Hélas, en ce mois d’Avril 2019, un vent inquisiteur a tout renversé, tout bouleversé, ramené le rêve à la duperie et transformé l’espoir en cauchemar. L’expérience glorieuse de trente ans d’exercice d’une démocratie presque parfaite, d’élections quasiment transparentes et de transitions au sommet inattaquables voire admirables, n’est plus qu’un souvenir d’archives. On parle de morts, d’élections à sens unique, d’un président qui n’écoute que sa musique solitaire, d’une opposition qui ne participe pas aux élections, de matraques dans la rue, de gaz lacrymogènes. C’est grave et même très grave. Pour tous ceux qui entrevoyaient déjà un berceau solide et intègre de ressourcements, il faut déchanter, il faut retomber dans la vieille Afrique, se réapproprier le gène du politique dictatorial qui induit la théorie générale de la pratique du pouvoir chez les barbares. C’est l’équation à valider pour tenter une explication, une appréhension du dérapage. Mais comment comprendre vraiment ?

II - Une première esquisse didactique : partir sans partir

A l’évidence, deux hommes jouent un rôle majeur dans le drame qui se noue au Bénin. Attention, il ne s’agit pas de gamins, ni de novices s’essayant brutalement et sans repères dans le jeu politique. Les deux leaders sont des gens de nom et de renom. Il s’agit de deux anciens chefs d’Etat, de deux personnalités façonnées justement par cette expérience glorieuse béninoise dont ils sont à la fois, les purs produits, les acteurs consacrés, les bénéficiaires et les faiseurs de louange. Ce sont dont ces gens, de qui l’on est en droit d’attendre qu’ils s’installent dans le canapé du sage repu que l’on va consulter. Ce sont ces gens qui attisent les incendies, nourrissent des jalousies et animent des clans. C’est le monde dans le tourbillon d’un tsunami localisé, mais avec des effets collatéraux dévastateurs sur tout le continent.

Quelles que soient les explications, la volonté des deux anciens dignitaires de rester très actifs dans la vie politique au quotidien, constitue une des principales sources du mal béninois en ce mois d’Avril 2019. Les deux hommes ne veulent pas seulement rester actifs, ce qui serait peut-être compréhensible pour autant qu’ils aient le souci de faire entendre la voix des sages. En effet le bât blesse et le feu explose, parce qu’au fond, tous rêvent de reconquérir le pouvoir, de retrouver le fauteuil confortable de chef d’Etat avec tous les privilèges, les attributs, les abus et les extravagances teintés d’impunités. On a été roi, on veut redevenir roi par tous les moyens, et par toutes les voies. C’est une terrible maladie, une pathologie déplorable et nauséabonde résultant des effets d’un virus intenable, intraitable et destructeur.

Pourquoi sont-ils ainsi, et pourquoi n’ont-ils jamais le vrai souci de la postérité, de préservation de leur héritage personnel et de la sauvegarde d’une certaine dignité, une élémentaire dignité ? Nicéphore Soglo fit un retour triomphant au pays et fut élu comme un

fleuron achevé de la conférence nationale, une perle de l’élan salutaire des revendications populaires. On le croyait sage, ce haut fonctionnaire des institutions de Bretton Woods. On pensait que pour avoir travaillé au plus haut niveau du Fonds Monétaire Internationale et de la Banque Mondiale, il arrivait avec non seulement de la compétence, mais également avec une solide culture de l’alternance démocratique et du fairplay. Ce fut la catastrophe. Sa présidence ne tint pas plus d’un mandat. Battu ensuite à la régulière par Boni Yayi, il sombra dans une opposition stérile, travaillant négativement les consciences et quelques comparses pauvres d’esprit pour revenir au pouvoir, par tous les moyens et par toutes les voies.

III – Les troublants rappels du Sénégal et du Cameroun

On avait beau citer le Sénégal comme un autre exemple, un modèle au même rang que le Bénin, la douche fut froide quand on s’aperçu que Abdou Diouf n’avait pas voulu accepter le résultat de l’élection présidentielle. C’est l’opposition de son ministre de l’intérieur, un général d’armée, et les pressions de la France, qui l’amenèrent à transmettre le pouvoir pacifiquement à Abdoulaye Wade. On sait aussi dorénavant que la promesse de lui réserver le fauteuil de l’organisation internationale de la francophonie, entra dans le marché en consolation. Quant à son successeur, le grandiloquant professeur d’économie et avocat, ce fut encore plus pitoyable. En effet Wade a tout essayé pour rester : changement de constitution ; intronisation de son fils Karim par la tricherie ; manipulation de la date de l’élection ; corruption des acteurs et chantages. Il avait fallu un puissant mouvement de protestation comme seuls savent le monter les Sénégalais, pour empêcher ces manœuvres, avec onze morts incontestés comme rançon. Ce sont les morts de trop pour un pays qui n’avait jamais connu ça, et ce sont des morts que Wade et toute sa lignée porteront sur la conscience, des morts qui ne l’ont pas découragé cinq années seulement plus tard, de montrer à nouveau la grande gueule. La sagesse lui intimait pourtant de se taire, de demander pardon et de s’effacer, mais y a-t-il encore des sages, dans un continent rongé par le virus du pouvoir ?

Et comme si cela ne suffisait pas, cet idéologue de la renaissance de l’Afrique qui a quand même légué à la postérité un monument mémorable réalisé avec le concours de la coopération nord-coréenne, s’est complètement décrédibilisé. L’avidité du pouvoir a ruiné la réputation et la respectabilité du professeur Abdoulaye Wade. Non content d’avoir été défait, battu par une de ses meilleures créatures politiques, son fils émérite Macky Sal, le vieux monsieur s’est répandu comme un vulgaire agitateur des amphithéâtres, pour appeler au boycott de la dernière élection présidentielle. Wade n’a pas supporté la disqualification de la candidature de son fils génétique, ce fils dont il avait fait ministre du ciel et de la terre comme l’avait surnommé ses compatriotes, à cause de sa main mise sur six départements ministériels à la fois.

Le cas d’Amadou Ahidjo du Cameroun n’est pas en reste dans la longue et troublante histoire des chefs qui partent sans partir. Ses compatriotes sont dorénavant à peu près unanimes sur le fait qu’il fut un bon président, un grand homme d’Etat ayant le sens de l’intérêt national, avec une très grande idée de la place du pays sur la scène internationale. Mais personne ou presque, personne de nantie de bonnes capacités d’analyses et d’observation des exigences de l’éthique politique et sociale, ne lui pardonne d’avoir depuis son exil, soutenu les auteurs du coup d’Etat avorté d’Avril 1984 contre son successeur, un successeur qu’il avait lui-même

préparé, projeté et installé. Cette erreur s’il faut ainsi qualifier sa posture, a marqué et continue de marquer très négativement, l’ensemble des jeux et des enjeux de l’establishment politique du pays. Interrogé sur les événements qui se déroulaient aux premières heures de ce maudit 6 Avril 1984, il fera cette déclaration : « si ce sont mes partisans, ils auront le dessus ». Hélas ils n’eurent pas le dessus, et la suite, c’est sans commentaire. Les longs couteaux bien aiguisés ont juste été faussement voire temporairement, rangés dans les fourreaux.

Dans une logique purement factuelle d’actualité, il n’est pas vain d’évoquer le cas le plus récent du Congo Démocratique. Quel jugement porter sur les grandes, basses ou compromettantes manœuvres de Kabila ? La tentation est légitime, pour une analyse prospective indiquant un chaos retentissant à terme, et une brouille rendant le pays ingouvernable puis le saut subséquent dans le désordre et la guerre civile. Kabila demeure le vrai chef d’Etat et maître, commandeur en chef du bateau Congo Démocratique. Tsitsékédi Félix, le fils de son défunt père, lequel, il ne faut jamais l’oublier, avait contribué en tant que ministre de l’intérieur de Mobutu, à l’assassinat de Patrice Lumumba, est moins que la reine d’Angleterre.

Concrètement, dans un si grand pays, jouer un si mauvais jeu, se foutre aussi royalement de la gueule du monde, de son peuple, de l’ensemble des partenaires bilatéraux et multilatéraux, c’est opter pour le suicide et la bagarre à très brève échéance. Patrice Lumumba fut anéanti en partie à cause de sa passion irréfléchie, irréaliste et intenable pour un Congo uni, contrairement aux voix certes teintées de soutiens coloniaux, qui militaient pour le fédéralisme. Nous ne sommes pas loin, nous sommes dans une logique pouvant nous conduire à l’éclatement du pays. Kabila le sait, le voit venir et le prépare avec une anticipation et un calme de bête carnivore. Nous aussi en analyste doté d’expertises suffisantes, éloquentes et avérées, le sentons et le voyons venir. Personne n’y pourra certainement rien le moment venu, et les traditionnelles forces d’interposition ou de maintien de la paix qui sont championnes des réactions inutiles d’urgence, se casseront la figure une fois de plus.

IV – Ailleurs, en Europe et en Russie

Parler d’Europe, c’est surtout évoquer la France, la mère patrie de tout ceux qui en Afrique, causent et discutent dans la langue de Voltaire. Ces nègres façonnés par la France ont tellement copié, se sont tellement laissé mariner, enfariner et malaxer, qu’ils ne se voient plus autrement qu’en reprenant ou en prenant tout ce qui vient de là-bas. Peut-être que ceci explique-t-il cela, mais toujours est-il que l’observation attentive de la scène politique française des dix dernières années, plaide pour une articulation du raisonnement dans ce sens. Voyons, messieurs Sarkozy Nicolas et Hollande François. Il s’agit des deux plus récents présidents français. Laissons les deux autres tranquilles, à savoir Valery Giscard D’Estaing et Jaques Chirac, trop âgés et malades.

Sarkozy et Hollande, ne veulent rien lâcher, souffrent du syndrome d’être oubliés, ne dorment plus ou pas bien, vivent une douleur personnelle de ne pas participer à ces grands sommets des puissants du monde. Les tribunes de l’Assemblée générale de l’ONU, les messes de Davos et du G7 leur manquent, tout comme ces grands entretiens télévisés avec les journalistes en tant que patron du pays, des armées, de la diplomatie et de la magistrature. Alors on les voit multiplier les petites sorties, les photos, les promotions bidons, les prises de parole sans intérêt, les allégations sur des choses et des sujets de nature à captiver l’attention. Il ne se passe pas une semaine sans que de leur fait, par leur fait, directement ou indirectement, on évoque leur retour. C’est le retour dans quoi, pourquoi, et avec quoi. La réponse coule de simple logique, et exprime le retour au pouvoir, pour le pouvoir, avec le pouvoir. Les élèves africains qui savent si bien et si souvent se mettre à l’école de leur maître, même quand celui-ci incarne le mauvais exemple, sont toujours à l’affût. Si ce n’est pas suffisant, il faudrait sonder les anales de la science du droit constitutionnel, pour savoir de qui on tient le mandat présidentiel de sept ans, cette grosse connerie de septennat. Le brevet d’invention doit bien porter les initiales d’un homme politique français.

Enfin, on est surpris que même Hollande qui fut un président par défaut, feigne d’oublier cette réalité et se trémousse en hypothétique revenant. Il restera gravé dans les livres d’histoire, que le parti socialiste ayant perdu Dominique Strauss Kahn, alors Directeur général du FMI, son candidat fétiche et sûr empêtré dans cette compromettante affaire de viol d’une femme de chambre, Nafissatou Diallo, dans un hôtel de New York, n’avait plus d’autre choix que de se rabattre en catastrophe sur Hollande. Pour ce qui est de Sarkozy, la simple honte de n’avoir pas pu dépasser les primaires lors de son idiote tentative de retour, aurait dû lui servir de leçon et lui imposer une retraite plus humble, mais non, il feint de répondre à l’appel divin des anges porté par des voix obscures. Il pense franchement qu’il mérite un trophée de voyou, pour avoir tiré le premier coup de feu qui a assassiné le guide Libyen. Le tribunal de l’histoire le rattrapera assurément et inéluctablement.

Il y a enfin l’Italie, le seul autre exemple, mais plus pour la tentative que pour la réussite, avec un égal enchaînement et une égale mécanique instrumentale. Cette fois, il s’agit de Berlusconi Silvio, magnat de la communication arrivé aux affaires d’Etat, par le succès aux affaires d’argent. Son rêve, retrouver le fauteuil de premier ministre. Trop tard, et plus du tout possible dans une Italie minée par des ressentiments aussi contradictoires que complexes, qui échappent à son intelligence de brute et d’homme de peu de vertus.

La Russie de Poutine, a peut-être inspiré le piètre Kabila, mais cet homme trapu et cynique à la barbiche blanche, confond le pays de la révolution bolchevik de Lénine et de Staline, au Congo martyrisé de Lumumba, de Kasavubu et de Tsombé. En plus, on parle de Poutine, une ceinture noire de judo surdoué au caractère formaté durant plusieurs décennies dans les arcanes du redoutable KGB. On n’imite pas un individu comme celui-là, on ne le copie même pas, on se méfie des choses qu’il fait. Poutine c’est Poutine et pas construit avec les lianes fragiles de la forêt équatoriale, ni noyé dans les vents pollués des rives du Congo. Poutine c’est la Sibérie, la résistance à une température en dessous de 30 degrés.

V – Le cas exemplaire des Etats Unis

Les leçons de la gouvernance offrent des similitudes certes, mais beaucoup plus de distinctions selon les cultures propres à chaque peuple, et selon une perception des articulations de leur construction nationale. En découvrant son manuel de droit constitutionnel pour la première fois, l’étudiant de première année de droit, sera toujours frappé par le commentaire élogieux

et expansif qui est fait sur le système démocratique des Etats Unis d’Amérique. Il apprendra que le peuplement est très varié, mais il réalisera surtout combien la diversité des apports philosophiques et anthropologiques, a façonné une mentalité, une culture juridique, un sens de l’honnêteté, une conception de la probité morale, une idée du citoyen et pour tout couronner, un modèle de société presqu’unique sur notre planète. Dans toute l’histoire politique des Etats Unis, on trouve un seul exemple d’un président revenant exprimer l’ambition de reconquérir la magistrature fédérale suprême.

Restons donc dans le temps contemporain, pour asseoir la conviction selon laquelle, le virus de partir sans partir, ne vient pas des Etats Unis, et ne cadre pas avec la façon dont les Américains perçoivent, conçoivent et pratiquent le pouvoir politique. Cette qualité résulte d’une profonde adhésion à l’exigence de loyauté, d’équité et d’honnêteté vis-vis de la chose publique, du patrimoine public, de l’intérêt national et du bien être commun. Les deux mandats de quatre ans prévus par la constitution représentent ainsi, le consensus des intelligences nationales, sur le temps, la durée, la portée de l’expression raisonnable de la personnalité d’un individu agissant avec des larges pouvoirs au nom de tous. Qui accepterait qu’un monsieur, une dame, un citoyen ou une citoyenne donc, se prenne pour le maître et chef suprême au-delà d’une période de huit ans ? Non, pas ici, pas aux Etats Unis, pas dans une fédération de cinquante Etats qui sont chacun jaloux de leur spécificité. En effet les Etats fédérés concèdent seulement et uniquement pour moins d’une décennie la faculté à quelqu’un ou à quelqu’une, qui de plus est sous contrôle strict du Sénat, de négocier et de conclure des traités avec d’autres nations.

Si l’on considère la popularité des présidents Clinton et Obama, lesquels ont tous exercé deux mandats, donc qui sont allés jusqu’au bout des deux termes prévus par la constitution, on peut estimer que s’ils étaient en France, ils se seraient engagés pour battre encore campagne. Maintenant, si on se réfère à la mentalité et au sentiment de l’opinion publique américaine, une telle chose est tout simplement inenvisageable. En effet la démarche serait combattue comme une sorte d’égoïsme, une certaine avidité. Ce n’est pas le cas pour celui qui a été candidat plusieurs fois, mais n’a jamais gagné. D’ailleurs, le fait de revenir essayer après avoir été battu plusieurs fois, est perçu dans la culture américaine comme un exemple de combativité, de persévérance et de détermination qui fait triompher le rêve. Ce fut le cas de Richard Nixon qui représente le symbole dans les deux sens. Il gagna après plusieurs tentatives infructueuses, mais aussi, il fut destitué pour des raisons éthiques. La société américaine c’est justement le rêve, le rêve de réussir par la force du travail, de la souffrance, de l’humiliation et des difficultés de toute nature. Faites tout ce que vous voulez avec votre entreprise privée, mais pour les affaires publiques, soyez mesurés, prudent et hautement conscient, si vous avez déjà atteint les sommets et que la société vous a déjà gratifié d’une juste et légitime reconnaissance. Voilà le crédo

VI – Le Statut de capitaine d’industrie du président est-il aussi en cause dans le cas du Bénin ?

Revenons au Bénin, pour aller chercher une explication, une autre explication de la crise ailleurs que dans le mimétisme ou la mauvaise copie des mentors, du père colonisateur. Et si certains éléments des traits de caractère acquis du président étaient en cause ? En effet le président est un homme d’affaires et capitaine d’industrie à succès. Agé de 61 ans, Patrice Talon qui est au pouvoir depuis 2016. Cet homme a fait fortune dans le négoce, les intrants agricoles, l’import-export. C’est ce capitaine d’industrie à succès qui est resté dur, ferme, et intransigeant devant une opposition résolue d’une part, et une société civile bouillonnante, agitée et relativement créative d’autre part. Il fait tout ce qu’on n’attendait pas, et il mène le pays comme un patron sans pitié pour les syndicats, conduit son entreprise. Le problème c’est que ce genre de président, on en connaît un autre quelque part au même moment, en plus pas n’importe où puisqu’il s’agit des Etats Unis avec monsieur Donald Trump.

Alors, Patrice Talon aurait-il la même construction génétique que monsieur Donald Trump ? Tenez, depuis son arrivée à la maison blanche, le président américain se distingue par une liberté de ton et des écarts protocolaires qui désarçonnent toute la classe politique, ainsi que de la presse américaine réputée incisive. Il se soucie peu des atermoiements du Congrès, balaie du revers de la main les révélations de la presse, se moque des partisans d’une destitution (empeachment), congédie sans ménagement ni politesse les collaborateurs dont la tête ne lui plaît plus, marche sur les partenaires européens, se fiche des accords internationaux, dicte franchement ses humeurs sur les réseaux sociaux comme un lycéen drogué, et tient le pays en haleine.

Faut-il conclure à une incompatibilité entre la qualité d’homme d’affaires réussi et riche, avec les exigences d’homme d’Etat posé, ouvert, à l’écoute et humble ? Le style Talon et Trump est-il automatiquement porteur de troubles, c’est-à-dire conflictogène ? Bien qu’une réponse péremptoire ne soit pas la meilleure, l’examen des cas Berlusconi en Italie et Ravalomanana à Madagascar plaident pour attention soutenue et favorable. Il n’y a qu’à partir de l’insolence que confère la réussite dans les affaires et l’hyper-richesse, que l’on pourrait retrouver les raisons de l’arrogance politique proche du dédain de ces messieurs. Commencer par être très riche pour ensuite devenir chef d’Etat, n’est pas une bonne chose pour la gouvernance politique des nations. C’est vrai qu’il y a le cas de l’Afrique du sud, où un riche homme d’affaires préside aux destinées du pays, mais comparaison ne peut pas être raison ici, parce que Cyril Ramaphosa est d’abord et structurellement un syndicaliste moulé dans les mouvements révolutionnaires et gauchistes de l’ANC. Il est donc difficile qu’il ait la même attitude dans la conception et la gestion du pouvoir politique.

En conclusion, le Bénin annonce la fin du rêve d’une incrustation du modèle de transition démocratique par la volonté citoyenne, de même que la cassure du mythe qu’il constituait, du berceau de l’alternance pacifique et régulière, au sommet des institutions en Afrique dans la sphère francophone particulièrement./.

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