Yaoundé : Ce qu'il s'est passé à  «Dovv Essos»
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La « générosité » subite d’une dame dans un supermarché de ce quar tier de Yaoundé a failli provoquer une émeute.

Des badauds au lieu-dit «Mobil Essos» en sont convaincus : «Dieu a envoyé Marie nous donner de l’argent». C’est ce qui explique leur présence massive et désordonnée, hier 01er août, sur le carrefour au bord duquel se dressent les trois niveaux du bâtiment de couleur ocre, qui abrite le supermarché «Dovv». Car, c’est vers cette grande surface que se focalisent toutes les attentions. «Elle est encore là dedans», crie un jeune, l’allure dépenaillée ; «Ils veulent aussi prendre leur part», croit savoir un autre. «Ils», ce sont des éléments des forces de maintien de l’ordre qui empêchent la foule de prendre le supermarché d’assaut.

En effet, plusieurs policiers et gendarmes sont déployés depuis 11h sur ce carrefour. Certains règlent la circulation rendue difficile par la foule qui envahie la chaussée. D’autres peinent à former un cordon de sécurité autour du supermarché que certains guettent presqu’avec concupiscence. Des pick-up de la police et de la gendarmerie sont garés et les «hommes en tenue» sont sur les dents. Il faut dire que la tension est vive et le face-à-face est souvent perturbé par des mouvements de foule ; qu’il s’agisse d’un jeune homme, la tignasse rousse, qui est embarqué sans ménagement par la police pour avoir essayé de substituer un appareil à un policier, ou encore un autre qui est poursuivi par une quinzaine de personnes persuadées qu’il a obtenu de l’argent de la «bonne fée».

02 milliards Fcfa

C’est bien le froufrou des billets de banque qui est à l’origine de l’attroupement qui laisse policiers et gendarmes aussi incrédules que nerveux. Un jeune homme explique : «Il y a une dame qui est venue à Dovv et a commencé à partager de l’argent. Tu prends ce que tu veux, elle règle seulement la note. C’est ce qui a attiré les gens». Notre interlocuteur développe, à grands renforts de gestes, «qu’elle est arrivée avec de l’argent dans deux valises noires qu’elle trainait. Quand la sécurité l’a interceptée pour dire que l’on n’entre pas dans le magasin avec des valises, elle a répondu qu’elle est venue tout acheter à Dovv. Ils ont vérifié que les billets étaient authentiques et l’ont installé à côté d’une caisse. Elle a commencé à payer les factures de tous ceux qui passaient». L'information claire et nette. Après avoir dressé le portrait physique de la dame et précisé qu’elle était accompagnée d’une fillette, notre «témoin » se montre agacé devant l’attitude dubitative de ses interlocuteurs. «Il y a quelqu’un qui a pris trois écrans plats dans un charriot. Elle a donné 05 millions (Fcfa) à un homme qui était dans une voiture grise. Les gens ont commencé à le suivre». Et comme pour authentifier son témoignage, il plonge sur son téléphone en s’écriant : «J’ai même filmé les valises d’argent. Elle avait 02 milliards Fcfa !». Après avoir pianoté nerveusement sur son portable, il déclare, surpris, que «les vidéos ne donnent pas. Pourtant j’ai filmé». Il est secouru par un autre qui affirme, très sérieusement, que «la femme-là a dit que si on la filme, cela ne va pas sortir…».

Exfiltration

Parce que bien que décidés à obtenir leur part dans les «milliards» venus à eux, les badauds sont intarissables sur le mystère qui entoure la dame. La cantonade suppute sur le mysticisme derrière cette générosité. «Elle a dit qu’elle ne veut plus de cet argent», lance un. «Elle a dit qu’elle doit dépenser l’argent avant 15h», soutient une autre. D’où la conviction de la foule plus que décidée à camper «jusqu’à ce qu’elle sorte et vienne nous donner pour nous». Sauf que des gendarmes, qui tentent en vain de disperser la foule, font savoir à des journalistes présents que l’époux de la dame est à l’intérieur, mais que cette dernière n’y  est plus.

Semil

D’abord exfiltrée pour la brigade de gendarmerie de Ngousso, c’est finalement à la compagnie située au quartier Mimboman que le «Bon Samaritain» du jour sera conduit. Là, dans un bâtiment de construction récente, la dame est reçue par un lieutenant qui conduit le premier interrogatoire. Vêtue d’un blouson noir sur une robe «Kaba», ou le jaune domine et de sandales surmontées d’une fleur en décoration, Emilienne Ndzie parait détendue. La quarantaine, mais le visage poupin, une tête tressée en nattes dans laquelle s’épanouit une chevelure blanche, Emilienne Ndzie répond aux questions des enquêteurs. L’un d’entre eux est arrivé peu après 14h à la tête de ses «éléments», quatre au total. Habillé en civil, mais le bras gauche ceint d’un brassard rouge sur lequel l’acronyme «Semil» (Sécurité militaire, Ndlr) est écrit en lettre jaune, il mène un interrogatoire d’une dizaine de minutes. Au cours de l’échange, Emilienne Ndzie, pointe soudain un doigt vigoureux vers un portait du président de la République en déclarant, une mine convaincue : «Cet homme est bien. Il gère bien le pays. Il ne va pas mourir». Sur ces entrefaites, le commandant de compagnie arrive, et interrompt l’entretien. L’agent de la Semil repart quelques minutes plus tard avec ses éléments, sur des motos ; non sans avoir confié, dubitatif, ses impressions à un gendarme de la compagnie.

Une quinzaine de minutes plus tard, c’est un homme au visage dur et dépassé qui se présente au renseignement. «Je suis l’époux de madame Emillienne Ndzie. Je suis M. Menye», va-t-il se faire annoncer. Accompagné d’une fillette et d’un homme qui se présentera plus tard comme un pasteur, Menye a les traits tirés d’une colère contenue. «Je suis maintenant connu dans les médias», déplore- t-il avec lassitude. Il se confie ensuite: «C’est l’argent de la cotisation que je lui ai remis. 500.000 Fcfa. Elle devait voyager ce matin pour retrouver ma grande soeur à Ebolowa».

Hôpital Jamot

C’est auprès de Jean Paul Esso, commandant de la compagnie de gendarmerie de Yaoundé III, que nous en saurons davantage. Emilienne Ndzie est une commerçante «qui vend du vin au marché central ». Son époux est agent à la Communauté urbaine de Yaoundé. Ce dernier «a bouffé une cotisation» de 650.000 Fcfa et remis 500.000 Fcfa à sa femme hier 01er août dans la matinée, avant son départ. Emilienne, qui habite le quartier Essos, dit s’être rendue au supermarché Dovv pour «acheter le petit déjeuner». C’est pendant ses achats qu’elle fait la connaissance d’une employée de la grande surface, avec qui elle échange brièvement. Assez brièvement pour que cette dernière lui expose ce à quoi elle est confrontée en ce moment : travailler dur pour pouvoir payer son loyer. Emilienne est prise de compassion et lui propose de faire quelques achats sur sa note.

Cependant, la générosité d’Emilienne ne va pas s’arrêter là. A la caisse, elle se propose de régler également pour tous ceux qui sont dans la file. La nouvelle d’une bienfaitrice à l’intérieur du supermarché se répand très vite et bientôt, l’enveloppe contenant les 500.000 Fcfa est vide. Il est déjà trop tard. La direction de Dovv est submergée et ce n’est que l’intervention des forces de l’ordre qui permet d’éviter une émeute. Une version des faits corroborée dans un communiqué de la direction générale de Dovv rendue publique hier en fin d’après-midi. De son côté, M. Menye explique que le comportement de son épouse a changé depuis environ deux jours, après une prise de médicaments consécutive à un mal de dents. «Elle a commencé à agir bizarrement. Elle ne dort pas, se lève a 02h du matin, et commence à faire le ménage, etc. Elle n’agissait pas comme cela avant», explique-t-il. Le commandant de la compagnie de gendarmerie dit avoir fait transmettre un courrier au directeur de l’Hôpital Jamot, spécialisé dans les maladies mentales pour que Emilienne Ndzie y soit consultée.

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