Thierry Amougou "L’Afrique doit combattre un nouveau totatlitarisme, les groupes islamistes"
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Thierry Amougou "L’Afrique doit combattre un nouveau totatlitarisme, les groupes islamistes" :: AFRICA

Face à la montée des islamistes en Afrique, Camer.be a posé ses questions à Thierry AMOUGOU, fondateur et animateur du CRESPOL (Cercle de Réflexions Economiques, Sociales et Politiques), universitaire, macro économiste, écrivain et analyste politique.

Thierry AMOUGOU bonjour

Bonjour à vous et à tous vos lecteurs. Bonne fête à tous les chrétiens. Mes pensées vont à tous ceux qui sont actuellement persécutés à travers le monde parce qu’ils sont chrétiens.

Comment, dans l’ensemble, se présente d’après vous le champ politique subsaharien suite à la recrudescence des attaques terroristes ?

L’Afrique dans son ensemble connaît un élargissement de son faisceau d’acteurs politiques. Aux acteurs formels à savoir les Etats, les forces armées, les populations, les hommes politiques classiques, leurs partis politiques, la société civile, les diasporas, les groupes rebelles et les pouvoirs traditionnels, s’ajoutent des acteurs politiques informels et nouveaux que sont les mouvements djihadistes plus ou moins liés à l’Etat islamique. Autrement dit, la violence physique et somatique reste le principal mode d’exercice des pouvoirs en place (assassinats et emprisonnements d’opposants, répression de manifestations par les forces de l’ordre), la violence symbolique est toujours l’argument largement utilisé par les régimes comme preuve de leur légitimité au pouvoir, et la violence institutionnelle de l’Etat s’abat toujours sur les populations via des lois liberticides sous prétexte de réformes constitutionnelles ou de lutte contre le terrorisme.

Les mouvements islamistes et terroristes, même s’ils hissent cette violence multiforme à niveau paroxystique, ne font donc qu’entériner la violence comme mode de régulation et d’intégration politique ainsi que le faisaient déjà depuis longtemps certains chefs rebelles aujourd’hui responsables politiques dans de nombreux pays africains : on devient très souvent un acteur politique performant en Afrique une fois qu’on a démontré sa capacité de nuisance et son aptitude à hotter sans vergogne la vie à ses compatriotes.

Comment cette situation complexifie-t-elle le combat politique en Afrique ?

La nouveauté, si nouveauté il y a, consiste, grosso modo en trois choses. Premièrement les peuples africains ne doivent plus seulement combattre des dictatures politiques dont certaines trentenaires, mais aussi le nouveau totalitarisme en gestation que représentent les sectes terroristes et islamistes. Deuxièmement, la société civile africaine et l’opposition politique doivent jouer à l’équilibrisme politique en soutenant leurs forces armées au front tout en continuant  le combat contre les dictatures en place et au service desquelles se trouvent très souvent les forces armées en question. Les peuples africains doivent donc de la main droite dire non aux dictatures politiques et de la main gauche non au totalitarisme qu’est l’intégrisme religieux et terroriste. C’est encore plus complexe en Afrique du Nord car si la révolution égyptienne a été détournée par l’armée qui a remplacée l’armée après l’intermède Morsi, en Tunisie, meilleure réussite du printemps arabe, un parti islamiste est au pouvoir et doit combattre d’autres islamistes hors gouvernement. Troisièmement les dictatures politiques produisent un nouveau discours dont le but est de se légitimer au travers du combat contre le terrorisme. Le jeu politique qui se tisse entre l’otage, le Prince et le terroriste ouvre un nouveau champ à la problématique politique en Afrique.

La démocratie en Afrique est-elle alors plus hypothéquée que par le passé ?

Même si la démocratie est toujours inachevée partout dans le monde, elle n’existe pas encore en Afrique en général où je ne vois que des processus de démocratisation à des stades différents. Certains sont plus consolidés (Benin, Ghana, Nigeria, Afrique du Sud…), d’autres incertains (Gabon, Togo, RDC, Congo Brazza, Rwanda, Guinée Equatoriale, Burundi…) et d’autres des espoirs évanouis à l’avenir politique incertain et à hauts risques comme notamment le Cameroun.

Et puis vous avez l’Afrique du Nord où la Tunisie est sur de bons rails malgré une société très divisée, l’Algérie où un président fort âgé, malade et fatigué s’agrippe au pouvoir comme une araignée à sa toile, le Maroc où le roi reste d’actualité et l’Egypte où le poids historique de l’armée laisse peu d’espoir démocratique à court terme. Ce tableau hautement contrasté ne veut pas dire que la démocratie comme projet de société est morte en Afrique car c’est un processus long où les ruptures cycliques sont nombreuses. À titre d’exemple, l’Europe est aujourd’hui majoritairement démocratique après avoir connu des despotes de droits divins, la guerre de cent ans, la peste noire, les fascismes et deux conflits mondiaux hautement meurtriers. Plus le projet démocratique fait face à des écueils en Afrique plus le combat pour le réaliser trouve des arguments supplémentaires pour sa continuité  et son organisation. Chercher l’émancipation des peuples africains est le principe supérieur qui permet de combattre efficacement à la fois les dictatures politiques en place et le nouveau totalitarisme que sont les mouvements terroristes.

Comment donc réorganiser ce projet démocratique africain ?

L’Afrique bénéficie dans ce champ comme dans celui de l’économie d’un avantage comparatif, celui du retard. C’est un curieux avantage comparatif parce qu’il tue aussi les Africains comme en témoigne l’épidémie Ebola. Selon moi l’atout du retard est d’avoir devant soi un tableau grandeur nature de ce qu’il ne faut surtout pas faire ou reproduire. Réorganiser le combat démocratique en Afrique et surtout lui donner forme et sens, exige de considérer la démocratie non comme une donnée exogène au sens de démocratie libérale occidentale à recopier, mais comme un construit endogène dont le but est d’apporter des solutions aux problèmes africains en s’inspirant de l’Occident, de notre histoire et des problèmes réels de l’Afrique. Pour cela l’Afrique peut enrichir ce qu’on entend par démocratie en y apportant sa culture solidaire et sa subjectivité d’acteur subalterne du processus mondial de modernisation politique et économique. Rendre le projet démocratique concret en Afrique c’est en faire une solution aux problèmes de pauvreté généralisée dans un continent pétri de richesses naturelles, c’est questionner les rapports hommes/femmes et aînés/cadets dans certaines de nos cultures, c’est réexaminer certains pouvoirs traditionnels aberrants (Lamido de Rey Bouba par exemple, castes au Mali et ailleurs), c’est interroger le sort des minorités ethniques, des majorités ethniques et des minorités sexuelles. C’est aussi s’intéresser au problème de la terre et au sort des paysanneries africaines qui subissent l’offensive des élites nationales, des puissances émergentes et du grand capital mondial à l’assaut des terres arables africaines. C’est questionner le rôle des armées dans le processus démocratique africain autant que la très bonne santé des religions monothéistes et de multiples sectes au sein de régime dictatoriaux et conservateurs.

Pourquoi les mouvements terroristes s’attaquent-ils aux écoliers et aux étudiants comme dernièrement au Kenya ?

Permettez moi d’abord d’adresser mes condoléances les plus attristées aux familles africaines et notamment kenyanes si durement meurtries et éprouvées par les attaques barbares des adeptes de la civilisation du sang et de la terreur.Comme je vous le dis, les mouvements et sectes islamistes veulent instaurer un nouveau totalitarisme dont le principal moyen d’action est de terroriser les esprits afin d’entraîner la soumission des peuples africains par le peur en ravissant le monopole de la violence aux Etats. Dès lors, assassiner à tout vent comme on respire, décapiter des humains, se faire exploser en kamikaze et livrer au monde ses horreurs sous forme de films  de propagande est le nouveau discours du totalitarisme au 21ème siècle : soit vous êtes avec nous et vous aurez la vie sauve soit vous êtes contre nous et vous mourrez de la pire des façons.

S’attaquer aux lycéennes et à l’école occidentale comme le fait Boko Haram, détruire les musées et les œuvres d’art millénaires comme le fait l’Etat islamique en Irak ou assassiner 147 étudiants comme viennent de le faire les Chabab au Kenya est cohérent avec tout totalitarisme car celui-ci a une peur bleue et une haine morbide pour tout ce qui peut construire une pensée et une vision alternatives du monde. Tout totalitarisme se conçoit comme le début et la fin de l’histoire. Il ne peut aimer ce qui permet à l’histoire de continuer comme l’art, une forme symbolique qui permet de lire le monde de façon alternative. Il ne peut tolérer l’école et l’université qui sont des lieux de construction des esprits à la critique. Il ne peut accepter l’étudiant qui est l’incarnation du « je pense donc je suis » à la place du « Allah pense pour moi donc je suis ». Le totalitarisme n’accepte pas non plus tout ce qui donne une autre explication du début et de la fin de l’histoire comme le Christianisme. D’où son acharnement contre les Chrétiens en général considérés comme des concurrents dangereux, des infidèles à la seule parole qui compte, la leur. Hitler a brûlé des livres, des ouvres d’art puis finalement des hommes car c’est l’esprit humain et sa créativité qui font peur au totalitarisme.

Nous devons donc combattre ces mouvements islamistes de toutes nos forces naturelles et surnaturelles car détruire le capital humain africain et ses lieux de formation au moment où l’Afrique doit être de plus en plus compétente et intelligente dans plusieurs domaines est un crime historique contre ce continent. La preuve, si nous prenons nos armées, le retard technologique, le retard logistique et le retard en capacité de réaction rapide expliquent aussi pourquoi les Chabab peuvent massacrer des étudiants pendant 16 heures, je dis bien 16 heures sans qu’aucune force de sécurité kenyane ne parvienne à stopper le carnage. C’est l’école, c’est l’université, c’est la recherche, c’est le développement économique qui nous donneront les moyens de maîtriser les instruments de géo localisation et d’intervention rapide face à des ennemis très mobiles et déterminés à se sacrifier pour instaurer leur totatlitarisme.

La guerre contre les dictatures et le totalitarisme islamiste se fait aussi via les médias comment jugez-vous l’action des médias panafricains dans cette conjoncture ô combien critique ?

Le combat contre le totalitarisme islamiste a plusieurs dimensions dont la dimension médiatique. En dehors de la capacité de mobilisation des peuples africains que démontrent les Africains à travers les marches de soutiens aux forces armées, le pouvoir médiatique djihadiste doit se confronter à un contre-pouvoir médiatique panafricain via des documentaires, des reportages, des débats et des spots qui déconstruisent en continue et de façon solide ce que le totalitarisme islamiste veut construire comme projet de société. Je reste encore sur ma faim car rien de conséquent n’existe dans ce sens alors que les groupes terroristes ont compris le caractère puissant des médias comme canaux colonisateurs des esprits.

Néanmoins, et je tiens à le souligner ici, il faut se garder de faire du panafricanisme un autre totalitarisme. Qu’est-ce à dire ?

Premièrement, le fait que l’Islam et le Christianisme soient des religions coloniales en Afrique n’est pas un argument solide dans le domaine personnel de la foi où plusieurs Africains ont aujourd’hui organisé leur vie avec la Bible et le Coran comme repères de vie. Il faut respecter ces Africains-là car le projet panafricaniste ne peut se construire sans eux étant donné que la preuve historique qui fait du Christianisme et de l’Islam des religions coloniales en Afrique n’est nullement valable dans le domaine de la foi. Le panafricanisme qui penserait le contraire se transformerait en un totalitarisme : le combat doit se faire contre l’extrémisme religieux car le religieux est politique et non contre les Africains chrétiens ou musulmans car la foi est une vérité intérieure de nature personnelle qui mérite respect et protection.

Deuxièmement, le panafricanisme deviendrait aussi un totalitarisme s’il veut dire aux Africains que n’est panafricaniste que celui qui met un boubou, une chéchia sur la tête et un collier de perles autour du cou. Si les accoutrements africains sont des aspects de notre africanité, s‘habiller autrement n’est nullement une preuve de notre non africanité. Il ne faut pas dévaluer le combat panafricaniste par des épiphénomènes sans impacts sur les tendances lourdes que veut déconstruire ce mouvement. Les Chinois s’habillent en costumes trois pièces mais construisent la Chine de façon originale sans débats futiles sur l’habillement des Chinois. De simple choix personnels et superficiels ne peuvent devenir des indices de panafricanisme.

Troisièmement, je pense que les médias panafricanistes ne peuvent servir la cause panafricaine que s’ils sont au service de l’émancipation des populations africaines afin qu’elles deviennent maîtresses de leur histoire. Y arriver exige de considérer les peuples africains comme adultes politiquement via des analyses, des reportages et des documentaires contradictoires avec un souci de tendre vers l’objectivité des choses. Je veux bien que le panafricanisme critique l’Occident et son mépris des chefs d’Etat africains, c’est même un devoir. Mais se dire panafricaniste et faire l’apologie des dictatures et des dictateurs qui tuent des Africains depuis des dizaines d’années fait du panafricanisme un complice des dictatures et le rend comptable des souffrances infligées à l’Afrique et au Africains par des pouvoirs sanguinaires depuis des décennies. Défendre Idriss Deby, Paul Biya, Obiang Nguéma et bien d’autres dictateurs africains et se dire panafricaniste est une injure envers les Africains et le projet panafricaniste. C’est faire du panafricanisme un synonyme de la dictature politique qui règne en Afrique noire et des dégâts sociaux inhérents.

Pour moi le projet panafricaniste doit être un projet démocratique dont le support matériel, philosophique, politique et mythologique est la naissance des Etats-Unis d’Afrique suivant plusieurs modalités à discuter entre Africains.

C’est un projet qui invite les médias à tendre vers l’objectivité par des débats contradictoires qui critiquent l’Occident sans nier la part d’Occident de l’Afrique, à combattre l’extrémisme religieux sans vouloir bouter la Bible et le Coran hors d’Afrique, à promouvoir l’authenticité africaine sans nier les dynamiques d’hybridation en place en Afrique et à défendre les dirigeants africains sans oublier d’entrer de façon critique dans la cuisine des dictatures afin de sentir l’odeur humaine des mets qui en sortent sans boucher ses oreilles devant les cris de désespoirs d’Africains dont les vies y sont abrégées par ivresse du pouvoir. Les médias qui soutiennent les dictatures africaines sont des médias complices des pouvoirs qui tuent. Ce sont des médias qui promeuvent la Françafrique dont les dictatures africaines assurent la continuité en mettant ainsi une grosse épine dans le pied du projet panafricain. Ce sont des médias qui condamnent la diaspora pour justifier leur financement en provenance des dictatures sans savoir que le panafricanisme est né dans la diaspora africaine à cause peut-être aussi du mépris et de la distance qu’entretiennent les diasporas africaines avec les dictatures auteures d’un néocolonialisme endogène.

© Camer.be : Propos recueillis par Hugues SEUMO

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