Vivre-ensemble : Le jeu trouble de l’élite politique
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Le philosophe Hubert Mono Ndjana parle sans fard lorsqu’il analyse la situation politique au Cameroun. Avec la fin de règne qui se rapproche inexorablement, « les passions les plus endormies se réveillent pour la compétition politique ». Claude Abe, pour sa part, pointe du doigt certains hommes politiques qu’il qualifie d’« entrepreneurs du repli identitaire ». Pour ce professeur de sociologie, la dérive tribale est d’autant plus insoutenable qu’elle « pourrait légitimer ce que pensent certains, à savoir que le gouvernement pourrait être derrière une telle démarche ». On serait, de ce point du vue, en plein dans la manipulation des identités ethniques, stratégie laborieusement mise sur pied par la France avant l’indépendance du Cameroun.

Enseignant de sociologie politique et actuellement vicedoyen de la recherche et de la coopération à la Faculté des sciences juridiques et politiques à l'Université de Dschang, à l’Ouest, Alawadi Zelao avait publié en mars 2014 un article intitulé :

« Le multi-tribalisme d’État au Cameroun : quelques pistes de réflexion aux Lambertoniens ». Il y explique que « la construction de l’État dans ce pays aura finalement procédé d’une imagination coloniale, mais très vite retravaillée par les indigènes qui allaient suppléer à l’autorité coloniale dans la gestion des charges publiques, non sans se faire l’écho du modèle colonial de la manipulation des identités et des tribus qui composent la société camerounaise dans son ensemble ».

Evoquant la politique de l’équilibre régional, qui de son point de vue a favorisé l’émergence d’une « gouvernance tribale où les clans auxquels appartiennent les deux présidents (Ahmadou Ahidjo et Paul Biya) auront été les principaux bénéficiaires », le sociopolitiste trouve que « cette politique a été détournée, au fil des ans, de sa philosophie initiale, celle qui consista en effet à une association plutôt intégrée de différentes composantes à la gouvernance publique au Cameroun ».

Conseil de cabinet

Il dénonce par ailleurs le caractère pernicieux « de cette déviation et de ce détournement d’une formule de gouvernance qui, si elle était conduite dans une perspective républicaine, aurait largement contribué à la construction d’une nation réconciliée avec elle-même et son histoire ; mais eux, ils tirent exagérément sur la "fibre tribale" au point d’en faire une variable « mono-causale » qui explique toutes les dérives actuelles du régime du "Renouveau-Biya" ».

L’un des théoriciens de la manipulation cynique des identités ethniques est le colonel français Jean Lamberton. Dans un article intitulé « Les Bamilékés dans le Cameroun d'aujourd'hui », paru dans la Revue de Défense nationale à Paris, en mars 1960, il déclara : « Le Cameroun s'engage sur le chemin de l'indépendance, avec, dans sa chaussure, un caillou bien gênant. Ce caillou, c'est la présence d'une minorité ethnique : les Bamilékés (...) L'histoire obscure des Bamilékés n'aurait d'autre intérêt qu'anecdotique si elle ne montrait à quel point ce peuple est étranger au Cameroun ».

De génération en génération, cette déclaration est restée en travers de la gorge de la plupart des membres de l’intelligentsia Bamiléké, qui « se battent » depuis pour «restaurer» leur communauté. Un courant hégémoniste serait ainsi né, incarnée par Mgr Albert Ndongmo. Leur idéologie supposée ou réelle, « la conquête du pouvoir politique par les seuls Bamilékés, pour transformer en hégémonie totale leur suprématie sur le plan économique et démographique », écrivait en janvier 2014 l’homme politique Ngouo Woungly Massaga. L’un des vastes champs d’expression du tribalisme au Cameroun demeure les recrutements à base tribale dans les ministères et les entreprises publiques et parapubliques.

Nommé Premier ministre le 04 janvier 2019, Joseph Dion Ngute avait d’ailleurs blâmé cette pratique lors du tout premier Conseil de cabinet qu’il a présidé. A cela s’ajoute les groupes de pression créés par des élites de certaines localités pour exiger plus de places pour leurs enfants lors des concours d’accès aux grandes écoles. Cela a été notamment le cas avec celles du grand Nord, qui avaient exigé plus de la moitié des places ouvertes lors du tout premier concours d’entrée à l’Ecole normale supérieure de Maroua, dans l’Extrême-Nord.

L’Est a également fait circuler un mémorandum pour qu’il en soit de même des filles et fils de cette région, après la création de l’Ecole normale supérieure de Bertoua, en janvier 2018.

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