CHARLES NDONGO, ACHILLE MBEMBE, BASSECK BA KOBHIO ET LE PHILOSOPHE-MENDIANT, NKOLO FOÉ
CAMEROUN :: POINT DE VUE

Cameroun :: Charles Ndongo, Achille Mbembe, Basseck Ba Kobhio Et Le Philosophe-Mendiant, Nkolo Foé :: Cameroon

Réquisitoire contre le dogmatisme et le larbinisme des Seigneurs des amphithéâtres « Se cacher sous des pseudonymes pour vandaliser les édifices publics et attenter à la vie des artistes et journalistes sur fond de tribalisme, c’est de l’obscurantisme, de l’intégrisme et l’illustration même de ce qu’Achille Mbembe, le plus célèbre des philosophes camerounais, appelle le brutalisme ». C’est cet extrait de la conclusion de Charles Ndongo, lors de la Veillée de l’unité nationale, l’émission qu’il a présentée le 19 mai dernier sur la CRTV, qui a provoqué l’ire de Nkolo Foé. Il écrit : « La CRTV conclut son émission du 19/5 en couvrant A. Mbembe d’éloges. Est-elle au courant que le "plus célèbre des philosophes camerounais" tant vanté est 1 clone de BHL, qui exige 1 intervention militaro-humanitaire contre le Cameroun ». Et le philosophe universitaire publie une série de posts où il accuse la CRTV et Charles Ndongo de promouvoir « l’intelligentsia comprador qui insulte l’Afrique et ses dirigeants » et dont le plus fidèle représentant est Achille Mbembe. Basseck ba Kobhio est entré dans la danse pour défendre son camarade, Mbembe : « Ce n’est pas parce qu’on n’aime pas un auteur que ce dernier cesse d’être reconnu ou devrait cesser d’être cité ». Il relève l’honnêteté intellectuelle de Charles Ndongo, l’anti-impérialisme de Mbembe, tout comme son exemplaire critique des ravages du capitalisme et son combat pour la dignité et le développement des Africains « continentaux » et ceux des diasporas. Il fustige donc l’intolérance de son autre camarade, Nkolo Foé, notamment son aveuglement empreint de sophistique dans les critiques qu’il adresse à Mbembe.

Au-delà du caractère inopportun et incongru de la sortie de Nkolo Foé que je dénonce (I), je relève la vacuité des grimaces sordides qui sous-tendent le patriotisme de pacotille de cet enseignant (II) ; ce qui me permet de m’élever contre le larbinisme des Seigneurs des amphithéâtres, les universitaires (III) et d’interroger les ressorts du dogmatisme pathologique de Nkolo Foé (IV). Je note néanmoins, à la fin, que la réaction intempestive de Nkolo Foé et la controverse qui s’en est suivie a l’avantage de mettre au goût du jour la question cruciale des principes et des méthodes de la formation dans la discipline philosophique, ainsi que ses acteurs et la portée de leurs interventions dans la marche du monde en général, et dans l’esprit et le cœur des citoyens en particulier (V).

I/L’appel vespérale d’un muézin, Charles Ndongo, et l’incongruité de la sortie de Nkolo Foé

La mission éditoriale du présentateur de la veillée de l’unité nationale, le 19 mai dernier, consistait à entretenir les téléspectateurs sur le statut et l’histoire de la construction de l’identité camerounaise, ainsi que sur les vertus du dialogue, de la solidarité et de la cohésion sociale dans notre pays. À la veille de la fête nationale, Charles Ndongo était sur scène. C’est le diamantaire de l’action présidentielle. Il a tenu le gouvernail des consciences crédules en haleine, sans égard pour les dissonances critiques des Seigneurs des amphithéâtres. Par le brillantage dont il a le secret, il a loué, encensé, consacré, vénéré, déifié le Chef de l’État. Sa voix débruitée et cristalline foudroyait les bonimenteurs et les « ennemis de la nation ». Il polissait le texte de l’action présidentielle comme on le ferait d’un diamant brut, jusqu’à sa plus parfaite brillance. Par ses envolées rhétoriques, par ses critiques esthétisées, il a cru bon atterrir sur une scène philosophique, qui, en principe, est le point culminant de la tragédie de la liberté.

Charles Ndongo a mis l’emphase sur la personnalité du Chef de l’État, son parcours et son rôle majeur, incontesté, dans la préservation de l’unité nationale. Au moment solennel de franchir le Rubicon, il lui a manqué des références intellectuelles crédibles et imposantes dans les rangs du parti qu’il défend susceptibles d’être citées en exemple. Il devait pourtant parler au-dedans et au-dehors. Il choisit, avec une grande clairvoyance, de convoquer l’idéologue du changement dans le camp d’en face ; il capta le moment où sa raison-faucille dissèque la bêtise humaine génétique. Et, feignant de ne point voir le visage du diablotin dans les yeux de cet opposant au régime qu’il sert de manière irréprochable, il a crevé l’écran !

Voilà un type qui a fait ses classes de philosophie, comme le Souverain qu’il défend. Le génie à œuvre... Par l’exemple, il a montré comment on discute des options, comment on défend un parti-pris avec les arguments rationnels. Car communiquer, c’est penser. Celui qui communique, toujours, s’inscrit dans une discussion où l’on travaille à dribbler l’interlocuteur avec des arguments à la pertinence et à la crédibilité plus attestées. Dans ces circonstances exceptionnelles, la voix du grand Charles Ndongo sonnait comme l’appel du muézin : il fendait le repos en deux mille morceaux et nous soustrayait indifféremment aux plaisirs de consommer des dernières molécules de sommeil – les plus suaves – qui couvent notre engourdissement nocturne et à toutes les extases du commerce charnel matinal qui nous trompent que notre vie est belle et réussie, et que le ciel est déjà gagné d’avance.

Les mots de Charles Pythagore étaient donc le texte d’un appel à la prière, à l’union sacrée autour des institutions républicaines. On peut choisir d’y répondre favorablement et de rejoindre le prédicant ; on peut aussi s’y dérober pour des raisons d’incompatibilité des obédiences, c’est-à-dire contester le principe du monothéisme dans les domaines polémiques comme la politique et la guerre ; on pourra même l’ignorer pour s’occuper d’autres choses, par exemple continuer de faire la philosophie des vanités personnelles. Mais dans tous les cas, le principe du credo laïc qui sourd dans ces jérémiades relevées, sacrées, c’est l’évidence que la transcendance de notre historicité commune tait nos différences dérisoires et nous jette dans les braises de l’incertitude ; il s’impose à tous sans distinction de chapelles politiques, de convenances religieuses, d’appartenances tribales et de préférences idéologiques. Dans ces moments cathartiques, il est interdit de venir y jouer à l’intelligent.

Marcien Towa lui-même soutenait, avec hauteur, qu’il faut convertir les Camerounais, le Africains, à la seule foi qui vaille, notre rédemption. Il faut sortir des guerres de tranchées pour lutter pour notre dignité et notre respectabilité, au-delà de nos dissemblances de façade. Notre combat quotidien devrait consister à briser toutes barrières et tous les obstacles idéologiques, institutionnels et humains qui s’opposent à la libération de nos peuples et de nos États. Définir la trajectoire de cette libération et en fixer les modalités, sans en limiter l’ampleur, tel est le défi critique auquel les théoriciens africains font face. Au demeurant, Achille Mbembe pense que Paul Biya représente un de ces obstacles à supprimer ; Charles Ndongo, quant à lui, estime qu’au vu de son parcours, de ses qualités personnelles et de ses réalisations – dont il amplifie au passage la portée pour les besoins de la cause, – Paul Biya mérite d’occuper sa place au Panthéon des héros nationaux, aux côtés de nos Pères fondateurs illustres, les Samba, les Bell, les Um Nyobe, les Wandie, les Ossene Afana, les Mbida, les Ahidjo. Mais les deux protagonistes, de leur scène respective et avec leurs moyens propres, prospectent tous au cœur de l’avenir exigeant qui nous ouvre ses bras abrasifs.

II/ Le patriotisme de pacotille de Nkolo Foé

Certains universitaires sont insouciants et déconnectés du monde épiphénoménal des luttes sociales et politiques pendant toute leur carrière. Ils se convainquent que la vie intellectuelle est le spectacle des idées et des théories qui s’accouplent sous leur regard bienveillant et en fonction de leur fantaisie. Puisqu’ils sont grassement entretenus par l’État, ils se calfeutrent dans une existence bourgeoise et il ne leur vient pas à l’esprit que la vie serait autre chose, comme un combat féroce, réel, d’idées, de valeurs et d’hommes armés. Lorsqu’arrive la dernière heure, ils se souviennent de Marx, des prolétaires et, comme piqués par un moustique suspect qui leur inocule l’indécrottable venin de l’activisme critique, dont s’accommodent sans heurt les esprits dogmatique, ils se ravisent dans le silence de leur conscience ruisselante d’indicibles compromissions à l’encontre de l’orthodoxie requise dans leur discipline académique d’appartenance et décident véritablement de

penser par soi, sous le prétexte d’un patriotime de pacotille, mi-philosophique, mi-politique. Est-ce le signe d’une mise en conformité tardive ou l’annonce d’une repentance non assumée ? Nul ne peut y répondre de manière convaincante. Mais une constance s’impose aux observateurs. Ces universitaires ne réussissent qu’une chose : ils se discréditent de manière retentissante et apparaissent ainsi tout nus et, comme des vers de terre, ils rampent pour quémander la reconnaissance, non pas des pairs ou des citoyens ordinaires pour au moins contenter la vacuité et la gracilité de leur discours, mais plutôt l’attention des hommes respectables qui ont réussi dans leur domaine. C’est ce qui arrive au non moins distingué philosophe camerounais, l’élégant Nkolo Foé.

Ce professeur s’est recyclé et a fondé la géostratégie tropicale ; il est devenu le spécialiste des guerres hybrides, dont il pourfend les théoriciens, les initiateurs et les désastreuses conséquences dans la périphérie du monde industrialisé. Le poids des crimes économiques et des assassinats des Africains lui semble insupportable. Mais, au-dessus de tous ces petites morts des économies et des pans entiers des peuples, c’est l’insécurité que ces conflits armés entretenus depuis l’Occident font peser sur l’intégrité des dirigeants africains qui, pour lui, représente l’impardonnable crime. Comme si ce n’était pas ce même système qui, depuis un demi-siècle, protège ces souverains. Notre nouveau stratège s’indigne par conséquent que ses efforts ne soient pas récompensés à leur juste valeur. Il exige une reconnaissance. Le mendiant, de surcroît, devient exigeant. Et c’est où le bât blesse.

En effet, mendier la reconnaissance de la patrie représente, pour le philosophe, le péché capital. Lorsqu’on prétend critiquer, instruire ou donner des leçons de morale, il faut préalablement s’efforcer d’être irréprochable et apparaître, sinon intègre, du moins peu souillé. L’exigence comportementale est comme l’interrogation espagnole : elle se met au début et à la fin, au carré donc, afin que le locuteur fasse lui-même l’expérience contraignante et déstabilisante que le récepteur aura à endurer. Ce n’est vraisemblablement pas le cas. Ce que nous remarquons avec les sorties inopinées de Nkolo Foé participe de la mise en scène d’un narcissisme et d’un égoïsme indécrottable à peine dissimulé. Cette ferveur politique sevrée d’attaches historiques et de la passion éthique est philosophiquement contreproductive. C’est douloureux d’assister ainsi à l’humiliation publique d’un philosophe. La seule consolation qu’on en tire, c’est que l’on se satisfait d’avoir évité de consacrer une imposture.

Dans nos villages, le patriarche qui reçoit constamment des plaintes au sujet de ses turbulents garnements commence à être malheureux parce que l’héritage est en danger. Ce qui se passe sous nos yeux dans la descendance philosophique de Marcien Towa a de quoi le retourner dans sa tombe. J’ai encore en mémoire l’ambiance surréaliste de nos conférences hebdomadaires avec le Grand Maître, au Club Kwame Nkrumah. Je revois Mbelé, et surtout Nkolo Foé, fournissant un effort laborieux et déployant un trésor d’énergie ratiocinante pour démontrer que Mbembe et Bidima sont des parias à bannir de la cité philosophique locale ; que tout ce qui « sent » le postmodernisme est à proscrire et à maudire.

Ce criticisme sélectif, avec son corollaire, le sensualisme de connivence (ils ne veulent sentir du monde des idées que ce qui conforte leurs convictions partisanes), avait pour but avoué de promouvoir du bout des lèvres l’approche marxiste dans les questionnements philosophiques. Mais derrière cette intention, fort estimable en apparence, se dissimulait le vœu maladif de tuer la contradiction chère au Maître. On aurait dit que nos aînés le jalousaient sournoisement. Les disciples infidèles avaient déjà commencé à discuter et à brader l’héritage philosophique sous les yeux du maître dont la figure proéminente dominait toute la scène. Pour eux, il fallait que la philosophie fût moins rigide et plus avantageuse.

Les grands marabouts de cet utilitarisme tropicalisé sont, sans conteste, Lucien Ayissi et Nkolo Foé. Ces fils cadets sortis des écuries philosophiques de Towa enseignent la philosophie, certes. Mais ils travaillent non au rayonnement de la flamme critique, mais plutôt à la préservation des privilèges et avantages de toutes natures qu’offre le travail mal fait de la pensée. Pis, ils se gavent, toute honte bue, des directions de thèses et de mémoires, de la présidence des jurys soutenances, en fonction des affinités et de la docilité la plus manifeste, tout en prenant soin

d’écarter les collègues indociles. Comment, dès lors, espérez-vous qu’ils puissent critiquer Biya ? À sa place, ils seraient pires. C’est que les fourbes rusent avec les principes pour paraître inattaquables. Aussi exigent-ils le commerce avec les âmes sans teinte et les sujets transparents comme la sincérité. Ils répugnent aux esprits francs, éclairés et rebelles qui font les philosophes aguerris dans le combat contre la bêtise humaine.

Mais l’attrait que les positions de pouvoir exercent sur Nkolo Foé n’est pas un cas isolé parmi les Seigneurs de l’académie. Au Cameroun, la plupart de nos hommes de lettres et nos têtes pensantes les plus gradés sont affalés devant les murailles d’Étoudi. Ils se débarrassent de leur esprit critique comme une villageoise essoufflée libère sa tête en congédiant le fagot de bois pesant au retour du champ. Pendant l’attente du Décret, une brave bave souverainiste et patriotique a fini par blanchi sous le menton. Ils neutralisent leur jugement personnel sous les assauts de délirantes espérances et, plongés dans ce fétichisme obscurantiste, ils guettent la moindre grimace des spectres qui défilent au loin entre les parois de l’enfer. Comme les esclavages dont parle Platon dans La République, ils s’écrient : « Voilà les formes les plus attestées de l’humanité ! » Hypnotisés par ce spectacle imaginaire produit par leurs folles lubies, ils se surprennent à fantasmer : « Voilà l’horizon fatidique de la satiété, le règne des bienheureux » ! Towa ne nous a pourtant pas appris un tel saccage de la dignité, un tel débordement de petitesse, ce larbinisme puéril.

Les tribunes de Nkolo Foé ne participent donc pas d’une stratégie de défense de la patrie. Ce sont plutôt des lapsus qui trahissent le goût prononcé pour les faveurs, les débordements d’une âme insatiable qui s’accommode, sans sourciller, de passe-droits et du favoritisme. Cet irrédentiste philosophique est un faux patriotisme. Le fait que Nkolo Foé tienne tant à ce que « le satrape » le sache (« savent-ils que » ; « Dites-lui que », « est-ce que vous savez que », etc.), montre qu’en réalité, il prie la Providence que le Président daigne enfin lui parler, comme il le fait avec l’autre Ndongo. À titre personnel, je lui souhaite qu’il poursuive ses paisibles nuits humides, avec ses grands rêves écornés. Continuez, cher professeur, de singer l’autre. Qui sait, à force d’espérer l’audition de sa voix magnétique et crépusculaire, vous finirez peut-être Chef d’État nommé ! Les destins singuliers sont intraçables...

III/ Contre le larbinisme des Seigneurs des amphithéâtres

Les universitaires qui courent derrière les nominations et les positionnements dans l’administration publique sont davantage des larbins galonnés que des intellectuels authentiques. Ils ne songent pas que nous ne sommes ni dans l’armée ni à l’ENAM. Qu’il n’y a pas de diktat qui tienne contre le bon sens. L’universitaire ne peut pas s’accommoder du faux sérieux qui prévaut dans les ailleurs professionnels dont je parlais plus haut. La particularité du génie des amphithéâtres, des laboratoires et des centres de recherche, c’est de fuir ce sérieux de façade pour creuser sérieusement le soi et le monde, avec toute la dérision et la passion de la vérité qui tuent très souvent les convenances sociales et les orthodoxies consacrées. Nous sommes fondamentalement destinés à déshabiller le monde, à mettre les intrigants à poils, tout en encensant les âmes nobles et généreuses.

Pourquoi certains parmi nous rechignent-ils à contempler la belle nudité de la vie ? Certes, elle peut être traumatisante par certains aspects, une injustice ou un crime par-ci, un discours enflammé et heurtant qui en dénonce les auteurs par-là, un exemplaire dévouement ou une sublime création ailleurs, bref c’est cette disharmonie qui structure nos histoires, nos intentions, notre praxis et le telos de chaque peuple. Or, lorsque la vie intellectuelle et l’espace publique sont envahis par la systématisation du crétinisme, il y a péril en la demeure universitaire.

Les universitaires ne peuvent pas se comporter comme le font de vulgaires suivistes, avec le griotisme abêtissant qui les caractérise ; ils doivent toujours recentrer, donner le tempo, susciter un espoir sain. C’est ce qui les élève et qui leur garantit la respectabilité du pouvoir en place. Voilà pourquoi certains ont souvent l’impression que le régime Biya nous méprise (puisque Biya, à ma petite connaissance, n’a jamais donné un discours dans un amphithéâtre au Cameroun). C’est que certains se sont si bassement humiliés que certains administrateurs nous assimilent désormais à des étudiants d’un nouveau genre.

Un ministre m’avait dit un jour (bêtement) que les Professeurs d’universités sont comme leurs élèves (il n’a pas dit étudiants!) : ils se comportent comme des enfants. Voilà ce que ces gens pensent de nous, à cause des espiègleries de quelques brebis galeuses dans nos rangs. Nous cassons nous-mêmes notre colonne vertébrale (le savoir, la dignité et le pouvoir vrai, nos expertises) et nous exigeons que l’on nous respecte, qu’on nous trimballe dans des brancards ! En vertu de quoi ? Qui doit construire ce pays ? C’est nous ! Qui le tue par un griotisme crétinisant ? C’est encore nous ! Par les attitudes stupides de certains, on devient la risée de tous et on n’aide même pas le pouvoir, encore moins l’opposition, à voir clair sur leur chemin respectif.

Nous devons changer cet état de choses ; nous devons nous comporter convenablement. On peut aimer l’argent, les honneurs, la célébrité des autres et toutes les proximités alléchantes, quoique tout le monde ne s’accommode pas d’altitude… Mais nous devons honorer notre corps, c’est le plus distingué de toutes les corporations de la terre. Car, nous sommes le phare de notre pays, la lanterne des générations à venir; l’humanité même est préservée sous nos toges! Le dire, c’est faire mon devoir d’expert du discernement.

IV/ Nkolo Foé, un penseur dogmatique ?

Revenons à la controverse qui justifie notre texte. Pour qualifier l’attitude de Nkolo Foé, Basseck ba Kobhio a parlé d’intolérance : c’est plus exactement du dogmatisme ! Un esprit dogmatique entretient une croyance têtue à l’égard de ses propres préférences idéologiques, socio-politiques, économiques, culturelles, doctrinales et de goût. Et celui qui est dogmatique aime la compagnie des dogmatiques. Ensemble, ils jouent aux terroristes des idées. C’est pourquoi Ayissi Lucien et Nkolo Foé sont inséparables. Mais, doit-on le rappeler à leur intention, ce n’est ni en étant l’ami des Grands (Samir Amin notamment, ainsi que l’a revendiqué Nkolo Foé) ni en se mettant à plusieurs qu’on devient un philosophe éminent.

Marcien Towa, Bernard Nanga, Joseph Ngoué et Eboussi Boulaga ont eu une grande progéniture philosophique. Leurs premiers enfants les plus illustrés, Hubert Mono Ndjana, Rachel Bidja Ava, Manga Bihina, se distinguent par leur culture relevée, leur exemplaire sacerdoce et leur empathie caractéristique. Ils furent tous, ou presque, des fossoyeurs de l’immoralité et des défenseurs acharnés de l’esprit critique et de la liberté de penser. Leurs cadets les plus gradés (Ayissi Lucien et Nkolo Foé), comme des rejetons adultérins, ont continué à porter malgré tout le flambeau sacrilège tout en pervertissant certains principes et en bradant certaines richesses méthodologiques et théorétiques qu’ils avaient reçues en héritage des grands maîtres à penser. Il y a certes des exceptions à ce gâchis moral, on peut citer Achille Mbembe, Jean-Godfroy Bidima, Joseph Ndzodo-Molé et Charles Romain Mbélé. Ce dernier est un exemple de bonté.

Lucien Ayissi et Nkolo Foé sont les cardinaux du dogmatisme dans la philosophie universitaire camerounaise. En tant que Chefs de département, ils n’ont toujours pas autorisé qu’on y philosophe à sa guise, c’est-à-dire qu’ils n’ont pas promu et encouragé la contradiction et l’émulation intellectuelle, sinon par une mise en scène tragique. C’est qu’au quotidien, ils ne philosophent pas eux-mêmes ; ils font semblant de penser, mais l’esprit est ailleurs : ils marquent leur territoire respectifs, comme les mâles dans le règne des fauves… Aux règnes de Nkolo Foé et de Lucien Ayissi, les départements de philosophies de l’université de Yaoundé I (faculté et école normale) n’ont jamais été de hauts lieux où l’on cultive le bon sens et le bon goût, et où l’on promeut l’exercice critique du jugement. Ce furent plutôt le lieu où la cléricature philosophique assouvissait ses vengeances et réglait ses comptes d’irrévérence et de haine.

Et au-dessus de tout, il y avait l’appât du gain. Il y est dit, sans justificatifs, qu’il y a des penseurs recommandables et des écrits intouchables ; que la philosophie reproduit la théorie d’abord et ensuite la théorie, pour finalement se reposer éventuellement sur l’action, au terme de l’aventure spéculative ; que les philosophes se reproduisent et donnent encore naissance aux rejetons-philosophes, par la magie des positions sociales des géniteurs ; que celui qui sort de l’école normale ou qui est recruté en philosophie mange aussi avec la philosophie, comme le lauréat de l’école d’administration et de magistrature mange avec les impôts, les douanes et les administrations générales de son pays.

Il ne s’agit plus de douter : désormais on croit ! Nkolo Foé écrit : « Je crois aux vertus de l’État-nation, du patriotisme, de la souveraineté nationale » ! Pendant ce temps Mbembe, lui, fait de la théorie politique ; l’autre l’a catalogué comme un antipatriote et l’accuse d’être en intelligence avec les impérialistes. C’est pourquoi lorsqu’il se hasarde d’expliquer le concept de brutalisme, Nkolo saute directement sur une interview où Achille Mbembe (lui aussi dérange parfois avec ses appels à l’intervention militaire occidentale) parle de la malgouvernance du président Paul Biya. Quelle méthode d’analyse de texte et d’interprétation d’une pensée ! Faute de talent pour dramatiser, il intoxique. Nkolo avoue ne pas comprendre les succès de Mbembe, alors dans l’ignorance il le diffame : « Je voudrais comprends ce qui vaut à Achille Mbembe l’immunité dont il bénéficie malgré la multiplication de ses sottises. » À défaut de comprendre, il récrimine ; il incrimine.

Dans cette philosophie de dupes, la hantise du postmodernisme tient lieu de poutre incontournable de cet édifice dogmatique. On n’exerce pas les étudiants au discernement ; on les prépare à la suspicion et à se combler d’insinuations perverses et cyniques ; ils ne doivent pas se disposer à creuser et à comprendre, mais à sécuriser les assurances niaises, à préserver les convictions le plus têtues d’une lucidité de forcené : il faut louer ou diminuer ; il faut élever ou ridiculiser, vaincre ou faire périr académiquement et professionnellement. En somme, on instaure le règne de la pensée unique ou la fin de la philosophie, qui est essentiellement discussion, exercice dialectique.

V/ Vers un renouvellement critique de la pratique philosophique

Les saintetés philosophiques canonisées par l’autorité politique, la conjoncture ingrate ou la forfaiture seront désormais notre hantise. Nous leur opposerons sinon de la méfiance, du moins de religieuses irrévérences. Car ils ont failli à leur mission, à savoir semer le doute dans notre esprit. Au contraire, ils nous ont gavés de certitudes niaises, de vérités biaisées. Il faut leur dire que lire, écouter, c’est d’abord trahir notre confort, se vider de l’intérieur pour s’incorporer la matière du texte, de la voix ou les actifs du message qui vient à notre rencontre. Ce n’est pas vrai que lire c’est choisir un camp ! Il faut apprendre à nos étudiants qu’ils doivent apprécier le beau, même s’il est porté par des mains cataloguées et diffamées.

Un journaliste, un cinéaste et un théoricien politique ont contribué, à leur insu, à dévoiler la décadence de ce qui tenait jusque-là lieu de philosophie camerounaise. Car, par la réaction de Basseck ba Kobhio et l’humiliation publique de Nkolo Foé, une nouvelle page de l’histoire de cette discipline s’ouvre. Telle est la vertu des controverses comme celle-ci. Ces réparties apparemment anodines, comme de petites compositions chimiques, sont souvent à l’origine de grandes déflagrations intellectuelles. Dans le cas d’espèce, la situation est inédite : le philosophe est nu !

Pendant des décennies, ils ont conditionné les esprits juvéniles avec des pensées cyniques et partisanes qui avaient pour unique but d’éviter l’éveil des consciences et le décollage économique, car sans une pensée qui comprenne, presse et révolutionne le monde dans toutes dimensions, qui amplifie les prouesses et les pleurs des hommes, il n’y a point d’épanouissement possible, ni d’émancipation d’ailleurs. À cet égard, la pauvreté d’esprit et la résignation entretenue dans les masses estudiantines sont des armes imparables auxquelles recourent les gourous pour soumettre et contrôler les intelligences et pour durer au pouvoir (philosophique), à défaut d’exercer un mandat politique.

Quant à nous, la jeune génération, nous étions perdus devant la Chappe de plomb qui s’abat sur les territoires officiels de la philosophie. Il fallait un miracle philosophique pour exister philosophiquement. Trop dispersés entre l’attrait des postes, des grades et des fées, la tentation de la célébrité dans le vide et le « gros cœur » de la méchanceté et du cynisme qui nous commandent de vénérer l’imposture, nous chavirions comme des navires arraisonnées et sabotées par les rigueurs mortelles qui interdisent de penser autrement que les canons que fixent les maîtres auto-proclamés. Heureusement, pour nous, l’héritage philosophique ne se transmet pas de père en fils et par l’entremise du dogmatique.

Nous, les orphelins de la pensée critique, traversions un désert doctrinal depuis la mort de nos deux plus grands esprits, Towa et Eboussi, nos pères tutélaires. Nos aînés nous ont certes secourus, mais ils nous ont conditionnés tout à la fois. Nous avions été formés dans une ambiance faite de méfiance, de caporalisme, d’intimidations et de dénigrement (« par vos lacunes, votre génération est à plaindre », voilà la formule-choc au moyen de quoi, ceux qui avaient réussi en philosophie nous rabattait les oreilles au quotidien). Nous étions sommés, en douce, de ne jamais prétendre parvenir au niveau des adjoints du Maître. Il fallait vivre toujours tendu sur les orteils, guettant le couronnement imaginaire de ces fils adultérins, encensés pour leur célébrité décrétée.

Maintenant, avec le triomphe international des bannis, les Mbembe, les Bidima, nous entrevoyons, furtivement mais sereinement, une nouvelle ère poindre progressivement à l’horizon. Nous revendiquons, nous les rescapés des massacres philosophico-administratifs ainsi que les jeunes générations qui sont en couveuse, le droit de tout voir, de tout toucher, de tout goûter, d’interpeller, de fréquenter et de citer qui nous voulons dans nos dissertations, de décider de participer au culte de la personnalité ou de maudire les demi-dieux, en somme nous décidons d’être au cœur du théâtre philosophique, avec ses actes politiques, historiques, sociologiques, économiques, et ses scènes médicales, culturelles, littéraires. Les intouchables d’hier, les Diogène, les Lucien, les Sade, les Nietzsche et autres Mbembe, Bidima, etc. seront nos ressources philosophiques les plus précieuses. C’est auprès d’eux que nous apprendrons désormais à limer le bon sens. Car, pour comprendre le mal et expliquer le monde, il nous faut goûter à tous ces délectables péchés produits par ces intelligences raffinées.

Cette déculottée doctrinale, cette déroute politique d’un des leurs ne peut que conduire à un sursaut critique parmi les membres de la communauté des philosophes camerounais. La philosophie se renouvellera inévitablement suite à l’égarement des figures tutélaires qui ont marqué ce temps-mort. Ils seront vaincus par leur vanité et l’imposture qu’ils ont entretenue ; ils seront happés consécutivement par la folie des grandeurs politiques qu’ils ont sublimées pendant toute leur carrière et tourmentés par la carence affective due à la reconnaissance nulle de leur contribution à la science universelle.

Le temps est donc très favorable à la floraison philosophique. Une constante demeure toutefois : on ne s’impose pas sur la scène intellectuelle nationale et internationale au moyen de l’imposture. Originellement, le philosophe est un solitaire qui parcourt les clairières de la vie pour prendre la température du temps historique et la mesure des défis socio-politiques, économiques, culturelles et éthiques que les peuples affrontent en commun. Il séjourne dans les contrées peuplées d’hommes et de femmes qui, toujours, s’éloignent des valeurs qu’il porte, de ses choix ascétiques de vie et de goût, et de ses nobles aspirations ; il travaille pourtant, inlassablement, à les ramener dans les normes, en prêchant par l’exemple.

Malheureusement l’on ne peut plus philosopher aujourd’hui comme à l’époque de nos respectables maîtres. Lorsque l’on est diplômé de philosophie et que l’on prétend philosopher au milieu des intrigants, avec un gouvernement absent, des idéaux perdus, entouré de prétentieux au cortex cérébral lisse comme la peau d’une mangue délicieuse, il faut interroger le goût de la vie qui vient à soi. Oui, il faut revenir à la distinction originelle qui constitue le discernement, à savoir, distinguer la chose pensante de Descartes et la chose instinctive dominée par le ça, le mammifère inapte à l’auto-régularisation rationnelle de Freud. Il faut que l’on sache reconnaître l’être humain et les automates qui agissent simplement par les seuls ressorts de la discrimination, de la méchanceté et de l’ensauvagement qui les constituent.

Philosopher, c’est douter et se palper en permanence, ainsi que l’avait établi Nietzsche. Lorsque l’on entreprend de philosopher, l’on veut s’assurer en tout temps que l’être humain, le prochain, le gouvernant, ne sombre pas dans des choses insensées, la malchance, le ridicule et la bêtise. Si quelqu’un ne maintient pas cette pression sur soi, cette discipline de l’égo et du sentir, cette rectitude exercée de la vue et du goût, cette structuration contextuelle du jugement et de l’affectivité, cette singulière prestance dans le vouloir, l’agir et l’espérer, comme les grands Maîtres que j’ai cités plus haut savaient s’y astreindre, alors ce n’est pas un philosophe. Quels que soient ses grades académiques, la durée de son règne au trône philosophie profane des Amphis, et ses postes de pouvoir, il demeure RIEN. Ou, plus exactement, il s’impose comme un imposteur malfaisant ! Son temps ne dure pas ; l’histoire philosophique l’oublie. S’il a de la chance, une seule génération (je dis une seule, pas plus) retiendra vaguement sa figure pathétique comme un trébuchement de la Raison dans sa glorieuse randonnée à travers les siècles.

Conclusion

Les philosophes ne s’aiment pas ; ils dialoguent et discutent avec vigueur et sans protocole. Pendant des décennies, les philosophes universitaires camerounais ont entretenu des invectives et l’imposture, ainsi que l’illusion farfelue qu’ils pensent juste, que leur voix sonne fort et qu’ils seront reconnus tôt ou tard malgré leurs tares. Au final, font-ils le poids avec Mbembe ? Ce grand esprit nargue ces âmes avides de célébrité, qui, s’ensorcelant par de répressives inepties administratives, espèrent être comparés aux rayons de soleil qui fécondent la terre ! Qu’ils viennent ici admirer et apprécier la pointe acérée d’une rationalité théorétique toute philosophique. Un critique de génie, Mbembe, nous a ravi la vedette à cause de nos turpitudes villageoises. Ce théoricien pénétrant nous débarrasse de l’ultime privilège qui constituait notre identité apocryphe, à savoir la ratiocination quasi ésotérique. Que reste-t-il de nos prétentions asséchées ? Rien ! Si, quelque chose quand même : un humus lacrymogène qui devient la risée de tous. La philosophie camerounaise resplendira de nouveau lorsque les philosophes-fonctionnaires se résoudront à se mettre à l’école des lettres, de l’histoire et de la sociologie, bref lorsqu’ils s’inscriront à nouveau dans l’académie de la vie.

En définitive, de tout l’imbroglio indigeste orchestré par un universitaire inquiet du destin que lui réserve la postérité, l’on tire au final une belle leçon de vie : si tu parles fort et que tu as le sentiment qu’on ne t’écoute pas, si les gens à qui tu parles ne cessent de regarder ailleurs, convaincs-toi que ta voix est pathologiquement inaudible ou que ta crédible est problématique. Il t’est même loisible de subodorer un défaut de constitution dans l’appareil auditif du voisin et de croiser les doigts. Grâce à cette renonciation, tout pourrait rentrer dans l’ordre, au point qu’on finisse par t’entendre. Dans tous les cas, en attendant, parle désormais moins fort !

Fridolin NKE

Expert du discernement

nkefridolin2000@yahoo.fr 

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