Appels publics des dons: le monopole et l’opacité du gouvernement
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La crise sanitaire de la maladie au Corona virus est en ce moment amplifiée au Cameroun par une autre crise politique. Au sujet des appels aux dons ou à la générosité populaire, la querelle enfle sur le statut des personnes physiques et morales habiletés à le faire. Tout est partie de l’opération baptisée Survie Cameroon, lancée par le président du Mouvement pour la renaissance du Cameroun, Maurice Kamto le 31 mars 2020, aux fins de collecter des dons en espèce et en matériel pour venir au secours des Camerounais selon lui abandonnés à eux-mêmes par un « président déserteur et introuvable » alors qu’ils sont frappés de plein fouet par la pandémie.

Le 7 avril 2020, le ministre de l’Administration territoriale Paul Atanga Nji, par un communiqué radio presse, rappelait que dans le cadre de la riposte de la même pandémie, le chef de l’Etat avait décidé de la création d’un fonds de solidarité que les Camerounais « de bonne foi » avaient commencé à alimenter. Il déplorait alors le fait qu’ « entre temps, certains leaders des partis politiques et d’associations ont lancé des appels à la générosité publique prétendument aux mêmes fins en vue de collecter des fonds, au mépris de la législation en vigueur.»

Légalité dans l’appel

Paul Atanga Nji évoquait à cet effet la loi 83/002 du 21 juillet 1983 régissant les appels à la générosité publique et le décret 85/1131 du 14 août 1985 fixant les conditions d’octroi de l’autorisation d’appel à la générosité publique, dont les dispositions interdisent formellement à tout individu et à toute organisation de quelque nature que ce soit, de faire appel à la générosité publique sans au préalable avoir obtenu l’autorisation du ministère de l’Administration territoriale. Le communiqué de presse était assorti des menaces de sanctions prévues par les textes en vigueur à l’encontre des contrevenants.

En clair, le ministre de l’Administration territoriale rappelait que seul l’initiative du chef de l’Etat doit prospérer, et s’il y avait une volonté quelconque de créer aussi un fonds de solidarité quelque part, celui ou celle-là devrait passer par lui. Ce qui ne parait d’ailleurs pas une surprise pour le Mouvement pour la renaissance du Cameroun. Dans sa déclaration du 31 mars dans laquelle il annonçait la mise sur pieds de Survie Cameroun, Maurice Kamto avait prédit que cette initiative pouvait être combattue par le gouvernement « Je voudrais d’ores et déjà prendre à témoins le peuple camerounais et l’opinion internationale de ce risque qui ne serait rien moins qu’un comportement criminel », appelant alors une réaction conséquente de la part des Camerounais

Opacité dans la gestion

Mais au-delà de la légalité ou pas d’une opération de collecte des fonds, la question essentielle est celle de savoir ce que ces fonds deviennent. Par le passé, le pouvoir, ou l’administration avec son propre accord ou pas, a souvent procédé à des collectes des fonds pour la gestion des situations heureuses ou malheureuses.

1994. A la veille de la coupe du monde prévue aux Etats Unis, le gouvernement camerounais avait lancé l’opération coup de cœur. Jouant sur l’amour des Camerounais pour le football et leur enthousiasme de voir leur équipe nationale participer honorablement à la fête, le gouvernement leur avait demandé de faire un geste de cœur pour accompagner les Lions indomptables. Jusque dans les villages les plus reculés, les Camerounais s’étaient mobilisés.

D’aucuns se rappellent aujourd’hui avoir sacrifié, alors qu’ils étaient encore très jeunes, leur argent de beignet pour donner 50 Fcfa, tant tout le monde voulait participer, pensant aider l’équipe nationale à faire mieux qu’en 1990 en Italie. Quel fut le bilan de cette opération coup de cœur, ces Camerounais qui se sont sacrifié n’ont jamais su. Ce qu’ils ont retenu de l’opération, c’est que le ministre de la Communication et de la Culture de l’époque Augustin Kontchou Kouomegni, interrogé à la télévision nationale sur la destination de cet argent, avait simplement répondu que la mallette d’argent était dans l’avion entre Paris et New York

2015. Au plus fort des exactions de la secte Boko Haram dans la région de l’Extrême Nord, le gouvernement lance l’opération « fonds de solidarité aux soldats », question d’inciter les Camerounais à participer à l’effort de guerre. L’engouement n’était plus le même qu’en 1994 certes, l’objectif de cet autre appel de fonds ne drainant pas autant de passion que le football. Mais les dons n’ont pas moins afflués, en espèce et en nature. Mais à quelle hauteur, et où en est-on aujourd’hui ? Mystère et boule de cristal. Au cours de la session de l’Assemblée nationale de mars 2015, les députés avaient interrogé le ministre délégué à la présidence de la république chargé de la défense, à l’époque Edgard Alain Mebe’e Ngoh, sur le montant déjà collecté et l’utilisation qui en était faite.

Devant les balbutiements de ce dernier, son collègue des Finances, Alamyne Ousmane Mey avait volé à son secours. Selon le journal l’Epervier repris par plusieurs site d’information en ligne, le ministre des Finances « avait expliqué aux députés que l’effort de guerre continuait dans la sérénité et la solidarité nationale des Camerounais et que le moment viendra où le ministre de la Communication va organiser un point de presse pour faire le point sur le sujet.

2018. C’est le plan d’assistance humanitaire d’urgence pour les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest qui est lancé. Par régions, départements et même arrondissements, les élites intérieures et extérieures sur l’ensemble du territoire se sont mobilisées, dans une concurrence qui ne disait pas son nom. Les montants étaient annoncés en termes de centaines de millions. Là aussi c’est le règne de l’opacité. Les Camerounais attendent toujours une conférence de presse au cours de laquelle le point complet va être fait, afin que nul n’en ignore.

2020 : Le même gouvernement parle aujourd’hui de fonds de solidarité pour la riposte au Corona virus. Sans avoir fait le bilan des trois opérations de collecte populaire précédente. En plus personne d’autre ne devrait organiser pareille opération sans son accord. Inutile de rappeler que si les fonctionnaires n’avaient pas confondus les biens publics à leurs biens personnels, si l’enrichissement illicite n’avait pas été favorisé, si la corruption ne s’était pas érigée en mode de fonctionnement, le Cameroun n’en serai pas aujourd’hui au vu de ses richesses, à tendre le panier pour quémander de l’argent afin de soigner ses populations, que l’initiative soit privée ou pas, alors que dans d’autres pays même de niveau de développement inférieur, on sort des centaines des milliards pour mettre sur la table. Dommage qu’au Cameroun on en soit à se chamailler sur qui va porter le panier pour faire la mendicité.

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