Pr Joseph Keutcheu "Plus le conflit grandira en intensité,plus les risques d'attaques seront élevés"
CAMEROUN :: SOCIETE

CAMEROUN :: Pr Joseph Keutcheu "Plus le conflit grandira en intensité,plus les risques d'attaques seront élevés" :: CAMEROON

Enseignant de science politique et major des majors du concours Cames, membre de plusieurs groupes de recherches internationaux et coordonnateur du Laboratoire d’analyse politique, stratégique et social de la Faculté de sciences juridiques et politique de l’Université de Dschang donne la perception et les perspectives qu’il a de la crise sociale, politique et sécuritaire que connait les régions du Nord-Ouest et du Sud-ouest. Outre le rôle des médians sociaux dans la résolution de cette crise, le Professeur Joseph Keutcheu évoque les risques et les causes d’interférences étrangères dans cette crise qui s’étend progressivement à l’ensemble du territoire.

Les attaques armées dans la localité de Galim peuvent-elles être attribuées à l’excroissance de la crise sécuritaire et politique qui sévit dans la région du Nord-Ouest ?

Il existe un faisceau d’indices qui poussent à pencher pour cette conclusion. Toute la zone charnière entre les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest d’une part et la région de l’Ouest d’autre part a été, assez fréquemment ces derniers temps, marquée par des attaques attribuées aux groupes sécessionnistes anglophones. Le mode opératoire basée sur une stratégie irrégulière caractérise pratiquement toutes ces attaques. Cette stratégie irrégulière est faite d’embuscades, de raids, de harcèlement, de mobilité et de furtivité, bref, de techniques qui leur permettent d’échapper à un adversaire supérieur en hommes et en armes. Ces attaques me semblent jouer un rôle important dans les activités de cette multitude de groupes sécessionnistes ; il s’agit de harceler l’arrière-garde et les flancs des forces armées nationales engagées dans le NOSO.

Comment comprendre la multiplication des attaques-incursions que connaissent certaines localités de la région de l’Ouest depuis deux ans ?

Les récentes données font état de l’intensification des opérations de l’armée dans le NOSO. Elles reflètent le volontarisme de Yaoundé qui a à cœur d’écourter un conflit devenu un boulet économique et politique. Des fouilles opérationnelles ont ainsi été engagées par l’armée nationale ; il s’agissait d’activités menées pour trouver des ressources, des informations, du matériel ou des personnes dissimulés par les groupes sécessionnistes armés. En cela rien de véritablement nouveau sous le soleil ; l’histoire de la contre-insurrection fourmille de ce type d’opérations. Dans le cas d’espèce, entre autres, l’objectif assumé est d’asphyxier les groupes sécessionnistes en empêchant leur ravitaillement en vivres et en armes. Ces opérations semblent en tout cas avoir porté un grand coup à ces groupes.Les attaques-incursions sont dans l’ordre des choses car les groupes insurgés ont à cœur de se dépêtrer de la contrainte que leur impose les nouvelles opérations de l’armée nationale. Il n’est donc pas exclu, comme cela s’est passé récemment dans d’autres localités de l’Ouest, notamment à Fongo-Tongo dans la Menoua et à Bangourain dans le Noun, que ces groupes sécessionnistes aient attaqués Galim dans les Bamboutos pour essayer de rompre les digues établies contre leur ravitaillement. Plus le conflit grandira en intensité, plus les risques de telles attaques seront élevés.

Peut-on déduire que la crise qui sévit dans les régions dites anglophones s’installe progressivement dans la sphère dites francophone ?

Comme l’histoire l’a souvent montré, les conflits sont la cause de souffrances humaines incommensurables et engendrent des coûts élevés sur les plans économique et social. Ils ne sont pas seulement dommageables aux zones qui en sont frappées, mais aussi aux espaces riverains.Ce constat est valable ailleurs tout autant qu’au Cameroun. Dans le cas d’espèce, l’évolution des choses conduit progressivement au syndrome du sablier : déconstruire l’assise territoriale de la foule de groupes sécessionnistes sévissant dans le NOSO revient à construire les transgressions spatiales de groupes désormais engagés dans une stratégie de survie. Les limites du NOSO ne sont pas étanches, il existe des continuités culturelles, sociales et géographiques entre ces deux régions anglophones et les régions relevant de ce que vous appelez la sphère francophone, notamment les régions du Littoral, de l’Ouest et de l’Adamaoua. Il est donc logique que ces régions limitrophes du NOSO subissent les contrecoups de la crise. Ces régions voisines du NOSO voient donc déferler des vagues de populations fuyant le conflit. Celles-ci représentent une charge considérable sur le plan économique, sociale et sécuritaire.

Mais cet afflux de déplacés internes n’est sans doute pas la conséquence la plus importante. D’autres effets se font sentir. L’alourdissement du budget de sécurité a des effets incommensurables sur les autres dépenses projetées de l’État. Ainsi sur l’ensemble du pays on commence à ressentir avec force les effets d’éviction dans la relation entre la hausse des dépenses de sécurité et la baisse subséquente de l'investissement et de la consommation publique dans d’autres secteurs. Ces dépenses de sécurité sont au cœur des difficultés budgétaires persistantes qui sont signalées dans l’intendance du pays.

La détérioration de l’image du pays aux yeux des partenaires étrangers du Cameroun est aussi l’un des effets funestes de cette crise qui perdure dans le NOSO. Au-delà de quelques crâneries inutiles et de bravades sporadiques de quelques observateurs nationaux qui s’autoproclament patriotes et qui jettent l’anathème sur tous ceux qui tirent la sonnette d’alarme, il y a lieu de prendre au sérieux cette dégringolade à l’international du capital réputationnel du pays. Bien plus, les analyses risque pays concernant le Cameroun indiquent une dégradation progressive de l’attractivité de l'investissement direct étranger au Cameroun.

Dans ce cas de figure, peut-on imaginer que des acteurs gouvernementaux s’investissent à propager la psychose pour des raisons stratégiques ?

Dans des contextes similaires à celui que connaît notre pays, il est souvent remarqué que le levier de la psychose est actionné par les différents protagonistes du conflit. C’est dire que les acteurs mobilisent dans leurs pratiques rhétoriques nombre de registres émotionnels en fonction de leur positionnement dans le champ politique. Ces pratiques rhétoriques constituent dès lors des marqueurs identitaires de ces acteurs. Dans le cas actuel au Cameroun, on voit bien que les discours d’acteurs gouvernementaux et de leurs associés recèlent une rhétorique nationaliste qui met en exergue les activités sécessionnistes supportées par un crypto-impérialisme occidental. Comme preuve, les discours gouvernementaux récents amplifient les arguments sur la présence tolérée de bailleurs de fonds du sécessionnisme anglophone dans les nations occidentales. Ce faisant, ils minorent stratégiquement les ressorts nationaux du conflits liés à la gouvernance du pays. Le but de l’activation tous azimuts de cette rhétorique nationaliste est de provoquer l’enthousiasme d’une bonne partie de l’opinion publique censée se mobiliser derrière le gouvernement pour la défense de la nation attaquée.

Il est tout aussi indéniable que les groupes sécessionnistes ont recouru à des stratégies de dramatisation excessive pour mettre la cause anglophone dans l’agenda politique international. La monstration d’images de civils tués dans le NOSO et la démonstration, parfois peu élaborée mais efficace sur le plan émotionnel, de la responsabilité de Yaoundé dans ces décès a joué un rôle incommensurable dans la dégradation de l’image du gouvernement dans la gestion des événements en cours. Or, plus l’image du gouvernement se dégrade, mieux les positions de ces groupes se portent à l’échelle international. Il ne faut pas oublier que la crise se joue à trois échelles : locale, nationale et internationale.

Le débat piétine sur l’option à prendre en compte pour la résolution de la crise politique et sécuritaire que connait le Cameroun. Y-a-t’il une option qui vous parait concluante ?

Le tout militaire est voué à l’échec dans la gestion de cette crise. Il faut se le dire, les armées ne peuvent pas tout. En dépit de l’intensification récente des opérations militaires, on constate le maintien, voire l’aggravation de l’insécurité au NOSO et des contagions insécuritaires au-delà du NOSO. Les morts, les récits d’atrocités sur le terrain, les images de cases brulées, peu importe les auteurs, constituent l’oxygène de l’insécurité. Cela pousse tout observateur à s’interroger sur la meilleure option pour venir à bout de cette crise. L’approche globale, ce que les Anglo-Saxons appellent comprehensive approach, apparaît, de mon point de vue,comme l’option incontournable pour venir à bout de la crise actuelle.L’approche globale que nous préconisons ici met l’accent sur la coordination entre les outils civils, militaires et politiques. Il s’agit donc de développer entre les parties prenantes de cette crise différents degrés d’interaction dans les domaines de la gouvernance, de la sécurité et du développement économique. Les interactions ont certes été engagés, mais elles laissent songeurs quand ont voit les interlocuteurs exclusifs qui ont été alors retenus. L’équation qui est posée dans le contexte de la crise anglophone est donc en définitive celle de la reprogrammation du logiciel de la gouvernance au Cameroun. Défi classique s’il en est, celui de penser la dualité de deux pouvoirs sur le même territoire camerounais : le pouvoir de l’État et celui des collectivités.

Des médians sociaux ont récemment été présentés par un mandant du gouvernement comme des commerçants de la déstabilisation des institutions républicaines. Comment appréciez-vous cette posture ?

Dans l’espace public de discussion de la crise en cours, le subjectif, les perceptions de protagonistes prennent le pas sur ce qui relève de l’objectif. Dès lors nommer la situation, la narrer peut sembler dangereux quand cela n’entre pas dans les cadres de perceptions d’un protagoniste. En fait on a désormais une arène publique dans laquelle les faits ne sont jamais accessibles que dans l'horizon des perceptions que les acteurs s'en font. Dans le cas évoqué,il s’agissait pour le mandant du gouvernement de préserver le cadre de perception de la crise par le gouvernement. Pour ce faire, c’est la rhétorique nationaliste qui a été mobilisée, certes de manière très prosaïque. Cette rhétorique est bien entendu peuplée d’ennemis de l’extérieur et de l’intérieur. Le manichéisme au cœur de ce discours est d’une redoutable efficacité ; ne pas épouser cette rhétorique fait courir le risque de passer pour un ennemi de la nation. Le ministre de l’administration territoriale avait donc beau jeu d’accuser les observateurs non alignés sur les cadres de perception du gouvernement de travailler à déstabiliser le Cameroun à travers des rapports tronqués qui ont pour objectif de ternir l’image de l’armée camerounaise. Si un tel discours peut servir à rassurer le camp d’appartenance, il contribue à dégrader davantage l’image du gouvernement. Ce qui compte plus que tout pour celui-ci c’est la proposition de solutions de sortie de crise.

Existe-t-il un risque que des interférences exogènes viennent transformer cette crise en conflit d’amplitude plus élargie ?

Toute crise est concomitamment un facteur de régression multiforme pour certains et une opportunité pour d’autres qui tirent profit des rentes de situation. La crise du NOSO n’échappe pas à ce constat. Elle sécrète des rentes de situation dans le cadre de l’économie de guerre, l’économie de l’humanitaire et d’autres opportunités géostratégiques et géopolitiques qui y voient le jour. Les interférences exogènes ne peuvent prospérer dans ce cas que parce qu’un terreau a été préparé de l’intérieur soit par des acteurs ayant formulé des projet sex ante, soit par une mauvaise gestion de la crise, soit par les deux à la fois.

Lire aussi dans la rubrique SOCIETE

Les + récents

partenaire

Vidéo de la semaine

évènement

Vidéo


L'actualité en vidéo