La politique de l’inimitié
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En 2016, le très célèbre historien et politologue camerounais, Joseph Achille Mbembe, publiait aux éditons La découverte un ouvrage très apprécié sous le titre : Politiques de l’inimitié. Comme présenté en quatrième de couverture, « Cet essai explore cette relation particulière qui s’étend sans cesse et se reconfigure à l’échelle planétaire : la relation d’inimitié. S’appuyant en partie sur l’œuvre psychiatrique et politique de Frantz Fanon, l’auteur montre comment, dans le sillage des conflits de la décolonisation du XXe siècle, la guerre (…) est devenue le sacrement de notre époque. Cette transformation a, en retour, libéré des mouvements passionnels qui, petit à petit, poussent les démocraties libérales à endosser les habits de l’exception, à entreprendre au loin des actions inconditionnées, et à vouloir exercer la dictature contre elles-mêmes et contre leurs ennemis. ».

Et comme le note François-Xavier Akono, « Il met ici au jour des processus de « sortie de la démocratie » et d’entrée dans la conflagration avec l’ennemi, que l’on se prend à haïr. Mais qui est l’ennemi ? « Figure déroutante de l’ubiquité, il est désormais d’autant plus dangereux qu’il est partout : sans visage, sans nom et sans lieu. » Le mot « inimitié », à la suite de Carl Schmitt, « renvoie à un antagonisme suprême » sur fond de loi du Talion, et l’instinct suicidaire réalisé bouscule l’éthique. »

Revenu à notre contexte plus précisément, il est loisible de constater à quel point depuis quelques mois, notamment à la faveur du processus électoral de la présidentielle de 2018, la politique camerounaise a basculé dans le registre de la haine. Consacrant ainsi un véritable recul des acquis de la démocratisation et de la libéralisation du début des années 1990.

Injures et invectives comme arguments politiques

Qu’elle est bien révolue la belle époque des échanges épistolaires de haut vol par journaux interposés entre un Mongo Beti et un Mono Djana, entre un Sindjoun Pokam et un Kegne Pokam ou encore entre Célestin Monga et Jacques Fame Ndongo. Ici la prose acérée avait autant de qualité que la finesse des arguments déployés. On allait chercher, et on retrouvait dans le même texte, des références juridiques, historiques, sociologiques, anthropologiques, politologiques voire théologiques. Toutes choses qui contribuaient à coup sûr à l’information et surtout à la formation des populations camerounais, qui pour la majorité, n’avaient pas eu la joie de fréquenter les bancs de Ngoa-Ekelle ou de la Sorbonne. Les diatribes politiques, sur fond d’adversité idéologique, avaient ainsi quelque chose de qualitatif et surtout d’instructif, comme le démontre l’immense littérature issue de cette belle époque.

Mais depuis lors, les choses ont bien changé. L’avènement des réseaux sociaux n’ayant rien arrangé. D’abord par la qualité des thèmes abordés dans le landerneau politique, et qui consiste la plupart du temps en une succession effrénée de considérations marginales, n’ayant aucune incidence sur la vie des institutions et des citoyens. Les différents acteurs s’attachant souvent aux symptômes et aux conséquences, plus qu’aux causes profondes. Et ce qu’il y a de plus marquant c’est la propension à l’injure qui prévaut dans les échanges. Désormais, dans la politique camerounaise, plus besoin de construire un argumentaire pointu sur tel ou tel sujet. Face aux assertions de quelqu’un, il suffit d’assener un cinglant : « Tu mens », et le tour est joué. Et selon le niveau d’instruction de l’auteur de la riposte, faire suivre cette formule magique, devant laquelle même Einstein n’aurait pas de répartie, avec le plus d’injures possibles faisant surtout allusion à son physique, ses parties génitales, celles de ses parents, etc. L’objectif étant de savoir qui est plus indécent que l’autre. Qui peut descendre plus bas que qui ?

Dans cette volonté de couvrir le plus possible son « ennemi » d’ignominie, pour le « neutraliser », pas besoin de dire la vérité. On lui invente toutes sortes d’histoires et surtout, on se charge de les répandre le plus possible. Les fameux réseaux sociaux offrant aujourd’hui des capacités plus qu’infinies.

Violences physiques

Mais très vite la dynamique de neutralisation traverse le seuil du symbolique, pour devenir physique. Les adversaires politiques sont ainsi pris à partie, battus et molestés. Concernant cette pratique, les gouvernants détiennent la palme d’or car usant et abusant des appareils répressifs de l’Etat. Cependant il convient de relever des cas d’affrontements entre partis de l’opposition comme cela fut le cas sur le pont d’Edéa entre les partisans de Maurice Kamto et ceux de Cabral Libii lors de la campagne électorale de 2018. Et à voir la propension à l’invective de certains « opposants » qui promettent ni plus ni moins que l’enfer de Dante à ceux qui ne partagent pas leurs points de vue, l’on en vient à redouter les lendemains de l’alternance au Cameroun.

Boycott économique

Lors des années 1990, portés par une logique anticoloniale, les leaders de l’opposition camerounaise avaient appelé au boycott des produits français. De nos jours ce qui se fait n’a aucune commune mesure avec cela. Désormais, on appelle à chasser les opérateurs économiques Bamilékés et Bamoun de Sangmélima. On invente une histoire tirée par les cheveux pour demander aux Bamiléké de ne plus aller à Buca Voyages et de ne plus faire leurs courses chez les Bulus. L’adversité politique prend ainsi le visage de la destruction économique de l’autre, sous fond de tribalisme.  

Tribalisme et suprématisme ethnique comme idéologie

L’une des marques du décrochage qualitatif de la politique camerounaise se trouve assurément dans le déplacement du clivage idéologue vers le clivage ethnique et tribal. Au lieu d’être classés en partisans et opposants du pouvoir, en libéraux ou socialistes, en néocolonialistes ou panafricanistes, les néo politiciens camerounais classent désormais en fonctions des origines ethniques, accompagnés de quelques « compliments » : les « cochons » Bamiléké, les « ivrognes » Bulu, les « Moutons » du Nord, les « sales » Bamoun, etc. Procédant à un usage très déplacé de la notion de « peuples autochtones » inscrite dans la constitution, et ce en conformité des conventions internationales, ces esprits retors ont pour principale vision du monde, l’opposition identitaire.

Mais il faut savoir que cette dynamique est largement due au très faible niveau de culture politique de ces néo politiciens. Un échange même sommaire sur l’histoire du Cameroun, le dispositif législatif ou encore même la simple culture générale renseigne à suffisance sur leur indigence intellectuelle. Le constat devenant alarmant quand on tient compte du niveau de langue et de langage usité par ceux-ci. 

Désacralisation des autorités publiques et traditionnelles

Le 6 décembre dernier, le ministre de l’administration territorial, Paul Atanga Nji, a rendu public un arrêté destituant Biloa Effa, chef du quartier de 3ème degré du quartier Messa Nkoba’a pour : « instigation et incitation à l’insurrection ; insubordination caractérisée à l’endroit des autorités administratives ; participation active à une manifestation interdite ». Cette décision a provoqué le courroux et l’indignation d’une bonne partie de l’opinion publique qui s’est indigné d’un tel traitement réservé à une autorité traditionnelle. Mais il est à relever que cette décision du Minat, qui soulève aujourd’hui des cris d’orfraies, et qui somme toute parait excessive, pourrait être considérée à juste titre comme une réponse du berger à la bergère.

En effet, les né opposants camerounais ont décidé depuis 2018 de porter atteinte à la dignité de tout chef traditionnel ayant apporté son soutien au régime de Paul Biya. Mieux encore, depuis le lendemain de la présidentielle, marqué par la fameuse annonce de la victoire du candidat du Mrc, tout chef de l’Ouest Cameroun qui ne soutient pas Maurice Kamto fait désormais l’objet d’une Fatwa. C’est ainsi que de nombreux monarques sont insultés par leurs sujets, traités de tous les noms d’oiseaux et conspués sur la place publique. Les pires dérives ayant été celles de la fameuse BAS, qui est allée jusqu’à interdire de séjour en Europe bon nombre de chefs traditionnels de l’Ouest.

Tout comme ses membres mettent désormais un point d’honneur à perturber les séjours du président Paul Biya en Occident. Allant jusqu’à porter atteinte physiquement aux partisans de celui-ci. Ce qui donne souvent lieu à des ripostes à l’instar de la gifle de « Billy de Lyon ». Une bien triste image pour le Cameroun. 

Fouilles de vies privées et chantages comme stratégie

Plus besoin d’aller lire des tonnes de livres pour démonter point par point les arguments d’un adversaire. Désormais, en politique camerounaise, face aux discours d’un adversaire, ou même d’un analyste, et qui ne nous est pas favorable, il suffit d’aller fouiller dans sa vie privée, pour trouver tout élément qui servirait à le discréditer. Quitte à ce que cela n’ait aucun rapport avec le sujet en débat. En quoi, par exemple, la réalité du doctorat d’une Modestine Carole Tchatchouang Yondzou répond -t-elle à la question de l’incohérence de la démarche politique de Maurice Kamto ? C’est ainsi que même le brillantissime Achille Mbembe n’a pas échappé à cette « nouvelle politique de l’opprobre ». Intellectuel mondialement reconnu, et brassant de dizaines de prix de haut niveau, cela n’a pas empêché un Patrice Nganang, au rayonnement intellectuel somme toute largement relatif, de le trainer dans la boue, avec des accusations fallacieuses d’abus sexuels sur ses étudiantes. La faute de l’auteur des Ecrits sous maquis étant son manque de soutien à la né opposition.

Face à la virulence des attaques de ce personnage et de ses partisans, dont bon nombre auraient toutes les peines du monde à comprendre une seule page de De la post colonie, Achille Mbembe était justement allé chercher dans le registre de la psychiatrie, en déclarant au lendemain de l’arrestation de Patrice Nganang à Yaoundé : « Il se trouve qu’au cours de la période séparant la première évaluation de la deuxième, la plupart de ce qu’il m’avait été donner de lire de Nganang Patrice - et dont il était manifestement l’auteur - consistait en diatribes dans les journaux et les médias sociaux. Le portail des camerounais de Belgique (Camer.be). Le sujet délirant dans la plupart de ces interventions sans aucun lien avec ses fonctions académiques ou d’écrivain, il s’agissait de propos de caniveaux, tout à fait incohérents, symptomatiques non pas d’une écriture fit-elle surréaliste, mais d’une vie manifestement blessée. Blessure contre névrose, diraient les neuro-psychanalystes. En effet, l’on n’avait affaire ni à un écrivain, ni a de la littérature. L’on avait affaire à un sujet délirant, voire hallucinant, ou peut-être les deux à la fois, dont chaque mot et chaque phrase témoignaient d’un profond traumatisme en même temps que d’une extraordinaire propension mimétique à faire souffrir. Dans ces propos où se mêlaient sadisme, masochisme, pulsions tribalistes et pulsions de destruction, sexualité perverse, obsession des testicules et autres combats contre toutes sortes de moulins à vent, étaient charriées toutes sortes de choses plus propres à l’observation clinique qu’a la critique proprement académique. »

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