LE JOUR OÙ LA POLITIQUE DE LA « RIGUEUR ET MORALISATION » DE PAUL BIYA A ÉTÉ ABANDONNÉE…
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CAMEROUN :: LE JOUR OÙ LA POLITIQUE DE LA « RIGUEUR ET MORALISATION » DE PAUL BIYA A ÉTÉ ABANDONNÉE… :: CAMEROON

En Avril 1990, François SENGAT KUO a écrit : « C’est depuis 1988 que j’ai élaboré les propositions pour rendre applicables les idéaux du renouveau national contenus dans l’ouvrage Pour le libéralisme communautaire. Jusqu’à ce jour, le Président national n’y a donné aucune suite. Et le comble, c’est que je n’arrive même pas à le rencontrer ! Et pendant ce temps, le RDPC est réduit à subir les événements » (Entretiens avec l’auteur, avril 1990). Dans la présente tribune, j’avance une hypothèse assez hardie pour expliquer cet autre silence présidentiel. Je vais tâcher de retracer la trajectoire de cet « abandon » de l’idéologie de « la rigueur et de la moralisation » du Président Paul Biya, au profit de l’endoctrinement doctrinale manifeste dans De la médiocrité à l’excellence. Notons, d’entrée de jeu, que ce livre est inscrit au programme des classes Terminales en 1989. Nommé Conseiller spécial du Président Biya le 22 novembre 1986, Ébénézer Njoh-Mouellé exerce à la présidence jusqu’en 1999. Entre juin 1990 et mars 1992, il est Secrétaire Général du RDPC. D’où l’interrogation suivante : la doctrine contenue dans De la médiocrité à l’excellence, très répandue dans la conscience des Camerounais depuis des décennies, est-elle l’antidote ou le substitut idéologique de la « Rigueur et Moralisation » ? Auquel cas, le philosophe Ébénézer Njoh-Mouellé est-il responsable de la fin de l’idéologie du Renouveau ? J’indiquerai d’abord les ressorts de la désespérance inutile de François SENGAT KUO (I), ensuite je développerai mon hypothèse sur l’endoctrinement de Biya par le philosophe Ébénézer Njoh-Mouellé (II).  

I/ FRANÇOIS SENGAT KUO OU LA DÉSESPÉRANCE INUTILE

Revenons d’abord au grand François SENGAT KUO. Sa désespérance s’explique par le fait qu’il croyait que le président Biya était devenu apathique, voire velléitaire. Ce ministre-idéologue du Renouveau de Biya s’étrangle devant la décrépitude des mœurs et la déroute des projets politiques et économiques initiés à l’ère du Renouveau. Il lui semblait que le Prince avait troqué son slogan « Rigueur et moralisation » pour le silence… À bien y regarder, il n’en est rien. Mon hypothèse est que Biya a opté, très lucidement, stratégiquement pour un slogan plus adapté : « De la Médiocrité à l’excellence », la doctrine théorisée par un bourgeois indigène ! Les bourgeois indigènes de nos contrées ont ceci de particulier que, de leur somptueuse villa, ils ne peuvent éprouver la misère, la dureté de la marche à pied, les insomnies que cause une faim tenace, les étourdissements homicides du paludisme, les maux de ventre dus aux parasites intestinaux, et tous les malheurs qui sont le lot de soixante-dix pourcent de Camerounais. Njoh-Mouellé, par exemple, ne sait pas l’Être de l’Avoir-faim. Il ne sait pas qu’avoir faim peut être fatidique... Le bourgeois ne connaît la souffrance que de nom. Pour lui l’homme est une idée. Et lorsque, de surcroît, il est philosophe spiritualiste, disciple de Bergson, il doute jusqu’à l’évidence que l’idée traduise un phénomène, une réalité, un contenu. Les mets délicats et son aise, qui sont son lot de satiété quotidienne et de jouissances silencieuses, lui représentent pourtant une contrainte insoutenable à vivre. C’est pourquoi, il n’aspire à rien de moins qu’à la félicité éternelle. Comme tout croyant dévot, il est l’intégriste de l’opulence ! L’affaire de sa vie, c’est de singer les divinités en cultivant une spiritualité et une mystique outrancières. Ne voit-on point que cette idéologie faisait l’affaire du Prince ? Je vous résume comment ce conseiller du Prince a réussi à le convaincre.

L’EXPERTISE DE NJOH-MOUELLE AU SERVICE DE PAUL BIYA

J’imagine le discours qu’il lui a certainement tenu lors d’une séance de travail, au Palais d’Étoudi :

« Excellence, Monsieur le Président, votre idéologie Rigueur et moralisation-là est compliquée pour le peuple des ignorants que sont l’écrasante majorité des Camerounais. Il faut plutôt envisager une rigueur dans l’endoctrinement, dans l’aliénation même. En politique, on ne fait pas le candide qui vous tente-là. N’êtes-vous point un grand admirateur de Machiavel ? Dans notre situation, qu’enseigne ce dernier : vous risquez gros si vous aspirez à être aimé des Camerounais, en prétendant améliorer les conditions matérielles et l’intelligence de vos sujets. La rigueur dans la gestion de la chose publique, la moralisation des mœurs, utilisez-les sans conviction : c’est le privilège de l’Occident ! Dans notre Tiers-Monde médiocre, il faut cultiver le mystère et abuser de la crédulité des masses. Ce qui profiterait, c’est la démoralisation. Moi, je vous propose un programme qui dit ce que je ne pense pas et qui est politiquement très rentable. Comme la grande majorité des Camerounais connaissent les auxiliaires Être et Avoir, nous allons les dribbler avec mon ballon, De la médiocrité à l’excellence. C’est tout un programme. Or ignorez-vous qu’un programme ne finit jamais ; qu’il peut être renouvelé tant qu’on est au pouvoir et décliné par séquences : Grandes ambitions, Grandes Réalisations, Grandes opportunités ? Mon livre dit : entre Être et Avoir, un seul terme existe vraiment, c’est Être (mais dans l’espoir). Or pour être, il n’est pas nécessaire d’avoir, ni d’être même en ce monde de vanités. La vérité est que depuis la nuit des temps, le non-avoir c’est vraiment notre identité nègre générique, comme la carte d’identité que tous sommes tenus d’avoir, paysans, ambassadeurs, ministres, pasteurs... Je veux dire par-là que les avoirs à l’étranger ne sont pas l’être, donc ils ne sont pas ; ils sont rien.

Excellence, il faut faire croire à ces « crédules » que leur bois, leur pétrole, la bauxite et tous les minerais, les matières premières voire le territoire du Cameroun en entier, ne sont pas l’identité du Camerounais authentique, parce que, fondamentalement, ce n’est pas l’être de l’homme,. Si cela leur semble compliqué, j’écrirai d’autres livres qui démontreront que les richesses matérielles ne sont VRAIMENT rien et que le véritable développement est lorsqu’on aspire à l’être, lorsqu’on cultive, dans l’intimité de notre taudis, intérieurement, en soi, l’espoir de la liberté : c’est la richesse humaine.

Excellence, il faut embrouiller ces gens avec la métaphysique. N’êtes-vous pas un grand métaphysicien, un initié comme moi ? Croyez-vous que ma petite philosophie dépasse la vraie métaphysique, notre initiation commune ? Apprenons-leur le désespoir à cause l’impossibilité du développement ! Inculquons à leurs rejetons la foi, comme les colons avant nous ! Donnons-leur le goût du mystère ! Surtout, cultivons en eux les germes de la culpabilité : ils sont responsables de leur sort, ils sont médiocres ! Ainsi, nous ferons d’une pierre trois coups : on va distraire ces pauvres bougres, on va ménager nos complices ici et à l’étranger, et enfin votre pouvoir sera sauf ! »

Tel est, à mon humble avis, le message que l’on enseigne à notre jeunesse depuis trente ans, par les bons soins de De la médiocrité à l’excellence. Telle est la duperie de votre philosophie officielle. À la fin, on a la réponse à notre question initiale : Ébénézer Njoh-Mouellé, ce grand penseur, n’est pas la doctrinaire responsable de la fin de l’idéologie salutaire de « la rigueur et moralisation » ; il en est le carburant ! S’il faut se défaire du Renouveau, il faut par conséquent s’immuniser contre la mystique de l’excellence/

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