Paradoxe : L’opposition et la question des manifestations
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Chronique des relations tendues avec les forces de l’ordre dans un pays de « démocratie avancée ».

Le Cameroun est-il un pays démocratique ? La réponse n’est guère évidente. Pour nombre de spécialistes du droit, il l’est : les lois, à commencer par la Constitution, garantissent aux citoyens la plupart des droits fondamentaux. Dans la réalité cependant, la chronique politique fourmille de récriminations constantes contre la violation des droits de l’homme et l’obstruction des libertés publiques. Sinon comment comprendre la spirale répressive qui s’est emparée des forces de l’ordre et des autorités administratives ce week-end, à l’occasion des « marches blanches », du Mouvement pour la Renaissance du Cameroun (Mrc) ? Pour les théoriciens de la « malédiction francophone », il s’agit d’un avatar de la mauvaise décolonisation, qui a installé à la tête du pays un système jacobin et paternaliste. Un pouvoir qui sait ce qui est bon pour tout le monde et par conséquent, refuse la contradiction.

Tout se passe en effet comme si on avait accepté le multipartisme pour par la suite empêcher aux partis politiques de fonctionner, à défaut d’accompagner le parti gouvernant dans son show électoral. Au lendemain des indépendances, le système Ahidjo a diabolisé et persécuté les Upécistes. Depuis 1990, il ne fait pas non plus bon être un opposant au régime. C’est même un péché. Les substantifs utilisés pour les désigner traduisent à suffisance le mépris et la défiance développés à leur égard. Lorsqu’ils ne sont pas assimilés aux « forces du mal », ce sont des « ennemis du progrès» ou des « jaloux ». En tout cas, ils sont perçus comme des fauteurs de troubles, des égarés qu’il faut ramener sur le droit chemin. Pour ne s’en tenir qu’aux trois dernières décennies, le retour au multipartisme fut forcé. Des marches furent organisées pour « dire non au multipartisme précipité ».

Par contre, les marches pour l’ouverture démocratique furent réprimées, parfois dans le sang. Ainsi le lancement du Social Democratic Front (Sdf), parti politique qui a animé la vie politique des deux dernières décennies, avait fait six morts, « piétinés par balles » à Bamenda. Partisans d’une « conférence nationale souveraine », la bande à Samuel Eboua et autres Jean Jacques Ekindi reçut dans les geôles de la gendarmerie ce que l’histoire retient comme une « fessée nationale souveraine ».

Administration partisane

Ayant pris fait et cause pour le parti au pouvoir, les autorités administratives se hâtent d’autoriser les meetings et marches du parti au pouvoir et de ses alliés. Elles ne perdent pas une seconde pour interdire celle des opposants, par crainte de « trouble à l’ordre public ». Tout groupuscule qui veut adresser des motions de soutien est accompagné. Et pendant que le citoyen ordinaire s’étonne de l’impossibilité d’exprimer son opinion ou de revendiquer un droit dans un Etat qui aspire à la modernité politique, les espaces de dialogue se raréfient. Les avocats d’extraction anglophone en ont fait l’amère expérience lorsque l’idée leur est venue de marcher pour faire des revendications au tout début de la crise anglophone.

Assimilés aux opposants, ils ont été passés à tabac et les robes de certains confisquées par des policiers outrageusement condescendants. Même la qualité d’ancien ministre, gage d’une respectabilité antérieure, ne confère plus aux autres le droit de penser différemment. Au lendemain de leurs démissions respectives, aussi bien le puissant Titus Edzoa, exsecrétaire général de la présidence que Maurice Kamto, ex-ministre délégué à la justice, n’ont eu les faveurs d’un souspréfet, lorsqu’ils ont voulu organiser des manifestations politiques. Les « marches blanches » de ce dernier sont perçues par le Minat, qui revendique bruyamment ses prérogatives de contrôleur des libertés publiques, comme un moyen de préparer l’insurrection populaire. Au prétexte que ces marches représentent un moyen de saper la paix sociale « si chèrement acquise », les forces de l’ordre sont lâchées dans la rue.

Reçoivent-elles des ordres ou montrent-elles simplement plus de zèle que leurs patrons ? Des moyens lourds sont mobilisés pour casser de l’opposant. Les victimes se comptent même parmi les leaders. Me Ndocki, Célestin Djamen aujourd’hui, comme Fru Ndi, Mboua Massock et d’autres hier, en font les frais.

Politique civilisée

Cesse-t-on d’être un bon citoyen dès lors qu’on crée un parti politique ou qu’on exprime des idées contraires à celles des apparatchiks du pouvoir ? Sous d’autres cieux, les manifestations d’opposants constituent des moments de remise en question pour le pouvoir, qui profite des critiques faites pour réorienter sa politique, dans l’intérêt du grand nombre. Depuis que les « gilets jaunes » marchent en France, l’idée est venue à leur président de convoquer des états généraux pour repenser la marche du pays. Dans les pays du Nord en effet, les manifestations populaires sont perçues comme un défouloir-sociogramme et sont simplement encadrés par les forces de l’ordre qui n’affichent pas d’embrigadement au service d’un appareil politique.

Mais dans les anciennes colonies françaises d’Afrique, où le culte de la personnalité côtoie la déification du président, ces attitudes sont mal venues. La bonne politique consiste semble-t-il à accompagner la politique du président, à défaut de rejoindre son parti. C’est « la pensée unique », l’imposition dans laquelle brillent d’anciens opposants reconvertis ou assagis. Or il faut que ceux qui sont au pouvoir aujourd’hui acceptent qu’ils ne sont pas éternels et passeront un jour la main. Donc laissent la possibilité aux autres de dire ce qu’ils pensent. L’usage de la violence pour empêcher des manifestations publiques choque. « Sauvagerie inouïe », « barbarie inacceptable », … les condamnations sont nombreuses et véhémentes.

Mais ne changent pas la donne, celle des conditions d’accès à l’expression libre de leurs opinions par les adversaires du pouvoir. Le Président Biya avait parlé de « démocratie avancée », puis « apaisée ». Même si au sujet justement des avancées démocratiques du Cameroun, le philosophe Fabien Eboussi Boulaga, de regrettée mémoire, ironisait : « c’est une démocratie qui avance en laissant le peuple derrière ».

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