Samuel Safo Tchofo : L’homme qui décortiquait la pistache
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Cet ingénieur est l’inventeur d’une machine à décortiquer les graines de pistache à coque dure, incorporée à une trieuse automatique.

La culture de la démission ou du départ volontaire à la retraite demeure un mythe sous les tropiques. Pourtant, Samuel Safo Tchofo a délibérément choisi de quitter les choses avant qu’elles ne le quittent, comme conseille un adage bien connu. Un jour de l’an 2013, il a abandonné son prestigieux poste de directeur général Guinée Equatoriale et Cameroun chez Schlumberger, où il a effectué l’essentiel de sa carrière professionnelle. Depuis lors, cet ingénieur jouit d’une retraite bien méritée à son domicile sis à Bonamoussadi, lieu-dit Denver, à Douala. C’est de là qu’il se prépare pour faire le grand bon, cette fois à son compte personnel. Ses faits et gestes au quotidien concourent vers cet objectif devenu une passion tyrannique. Pas un seul jour ne passe sans qu’il ne mette les pieds dans ce labyrinthique laboratoire qu’il a aménagé dans un coin de son appartement. Pas une demi journée entière sans qu’il ne touche à l’un des multiples outils, ou à l’une des machines qui encombrent son nouveau poste de travail. La meule portative, la perceuse, la scie sauteuse ou encore l’appareil multifonctionnel portatif, n’en sont que quelques-uns parmi tant d’autres.

27 années de recherche

Ce sont du reste ces outils qui ont permis à Samuel Safo Tchofo de construire sa décortiqueuse industrielle incorporée à une trieuse automatique, qui sépare la coque amande par reconnaissance de forme bi-dimensionnelle. La machine n’est pas encore commercialisée, sa production ne se fait pas encore à une échelle industrielle. Mais au moins, elle est déjà une marque déposée, reconnue à l’Organisation africaine de la propriété intellectuelle (Oapi) depuis 2015. L’inventeur n’est pas allé bien loin chercher le nom de son  mécanismeinnovant. Elle porte  la première de ses propres initiales, SEM. Avec S pour Safo, E pour Egusi (variété de pistache décortiqué par la machine) et M pour Machines. La société, elle, est dénommée SEM Production. Les graines de pistache (ou la courge, son équivalent français) à coque dure sont versées dans la trémie (décortiqueuse) à triple action mécanique dotée d’un entonnoir avec sept axes de rotation et cinq modules fonctionnels.

Après le décorticage et le tri automatique, l’usager se sert de son index pour isoler les quelques déchets dont la marge d’erreur est extrêmement réduite (4% pour la trieuse automatique et 6% pour la décortiqueuse). Ce, avec une efficacité impressionnante. L’opération de contrôle qualité au moyen de l’index s’appelle l’iTrieuse (I pour Index). L’ingénieur d’opération explique que son invention est le résultat de plus de 27 années de recherche scientifique et technologique. Mais comment un haut cadre d’entreprise de son acabit, qui a passé une majeure partie de sa vie entre deux avions, parfois en haute mer à explorer les plateformes pétrolières et les champs pétrolifères, est-il parvenu à réconcilier sa tâche si ardue et un domaine aussi exaltant et absorbant que les recherches en laboratoire ? « Quand j’étais ingénieur à l’époque camer.be, tous les trois ou parfois deux mois, j’avais un congé de deux semaines. Je profitais de tous ces congés, en plus des grandes vacances qui duraient un mois et demi, parce que notre travail est exaltant », confie l’ancien chef de projets recherches et ingénierie à Schlumberger France (1992-1994), aujourd’hui consultant en transfert technologique et développement du contenu local auprès des Nations Unies.

Sous cette dernière étiquette, l’ex-directeur commercial Afrique subsaharienne de la division eau, électricité et gaz chez Schlumberger s’intéresse notamment aux questions de développement et à la gestion de sociétés, la formation du personnel et le développement des capacités (Capacity building). Après l’obtention de son baccalauréat au lycée technique de Douala, ce diplômé de Polytechnique, ingénieur de conception en électromécanique (1977-1982), fourbit ses armes au Centre national d’étude et d’expérimentation du machinisme agricole (Ceneema) en France en 1983, avant d’occuper son premier poste chez Schlumberger un an plus tard. Il est ingénieur d’opération en Angola, au Gabon, en Algérie et en Libye. Il est ensuite chef de base au Kenya et en Tanzanie, puis enseignant au Centre de formation des ingénieurs de cette multinationale en Italie, chargé du recrutement des cadres pour l’Afrique dès 1995. De 2001 à 2006, Samuel Safo Tchofo officie comme directeur des grands comptes (Business Development and Consuting). Pendant les deux années qui suivent, il est directeur du personnel à la division Information Technology (IT), poste basé aux Etats-Unis d’Amérique. Les quelque huit mois  d’« année sabbatique » qu’ils’est offerts en 1994 l’ont aidé à avancer dans ses recherches.

Résultat : la machine au point depuis 1994 est aujourd’hui à sa 3è génération (SEM DS3 et SEM TA3). La deuxième génération date de 1994. « J’ai passé la moitié de ma carrière dans les opérations, la technologie et la science, et l’autre moitié dans le management. Ce que j’ai constaté dans la partie scientifique et technologique est qu’à un certain niveau, et quand vous avez accumulé un certain bagage, vous vous rendez compte que beaucoup de choses en matière de science et de technologie sont communes », poursuit-il. L’ingénieur cite en exemple les statistiques qu’on applique aussi bien dans le domaine des industries, les études démographiques, la finance, la médecine, etc. Il en est aussi de la modernisation mathématique. Ou encore de la mécanique que l’on retrouve dans tout ce qui relève de la construction des appareils et des machines. Retraité depuis fin 2012, Samuel Safo Tchofo a saisi sur le tard l’occasion de la toute 1ère édition du Salon international du machinisme agricole (Simac), organisé par la Chambre de l’Agriculture du 15 au 20 décembre 2015 à Yaoundé, pour se faire connaitre. Il s’est ainsi rattrapé camer.be, après avoir manqué de justesse la Journée de la recherche scientifique qui s’est tenue quelques semaines plus tôt, sous l’égide du ministère de la Recherche scientifique et de l’Innovation. « Notre présence au Simac se justifiait par notre besoin de comprendre les attentes des populations. Actuellement, nous travaillons sur deux choses : d’un, comment répondre à ces attentes ? Et de deux, comment développer les produits dérivés du pistache ? », dit-il. A propos de ces produits dérivés justement, les recherches sont tout aussi avancées que celles ayant abouti à la mise en oeuvre de la décortiqueuse. A l’heure qu’il est, Samuel Safo Tchofo est en mesure de produire du beurre à base de graines de pistache. « C’est bon pour garnir le pain. C’est comme du beurre classique consommé aujourd’hui au Cameroun. C’est même un peu mieux, puisque le beurre du pistache ne contient pas de cholestérol comme l’autre », s’enorgueillit-il.  

« La machine du salon »

Les recherches se poursuivent en vue du perfectionnement du beurre et du lait fait toujours à base de cet aliment dont les grands bassins de production se trouvent dans le Centre-Sud et à l’Est du Cameroun, mais aussi, dans la zone de Penda Mboko, non loin de Mbanga dans le département du Moungo. L’inventeur camerounais jure qu’il est possible de faire du Baileys (whisky crémeux prisé par les femmes) avec le beurre du pistache. Ces prouesses et bien d’autres ont été au centre de la curiosité de nombre de visiteurs lors du Sima. Pendant qu’il y était, le chercheur camerounais a fait la connaissance d’un ressortissant français. Lors des échanges entre les deux hommes, l’expatrié a reconnu les lacunes qu’il i a eues, par le passé, à mettre en oeuvre un mécanisme similaire. « Je suis retourné en France, à Saint-Eloi, muni d’un échantillon de 20 kilogrammes de pistache que j’ai essayé de décortiquer à l’aide d’une machine que nous avions mis au point, mais les résultats, sur le plan scientifique, n’étaient pas à la hauteur des attentes », confesse le Français dans un enregistrement vidéo contenant ses échanges avec l’ingénieur-machiniste camerounais.

La décortiqueuse et le tri automatique sont constitués de plus de 750 pièces mécaniques assemblées. Cela dit, faut-il réorienter la recherche dans leur production à grande échelle à des fins commerciales, ou bien faut-il s’appesantir sur la production dans la société SEM Production des graines de pistache décortiquées et des produits dérivés ? « Nous avons pris  une pause pour développer cette étude. Nous sommes en train de faire des recherches actuellement sur l’huile de pistache et tous les autres produits dérivés, dont la poudre de pistache », répond le chercheur-innovateur. Pour le moment le projet est développé sur fonds propres de son promoteur, dans toutes ses dimensions : équipement du laboratoire et payement des employés ».

Cet ingénieur qui a consacré 28 années de sa vie dans la recherche pétrolière et l’énergie, encourage les jeunes du continent à croire au bon exemple, ainsi qu’à leur potentiel en matière d’innovation technologique. Ce, pour le bonheur et la prospérité d’une Afrique capable de sortir de la tutelle technologique et managériale des autres continents.

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