Crise anglophone : La nuit de captivité du cardinal Tumi
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Retour sur les circonstances de l'enlèvement et la séquestration de l'archevêque émérite de Douala, âgé de 90 ans, dans la matinée du jeudi 05 novembre 2020.

Le cardinal Christian Whygan Tumi a été remis en liberté dans la matinée du jeudi 05 novembre 2020, après une nuit en captivité dans sa région natale du Nord-Ouest, où il avait été kidnappé la veille par des individus que l'on présente comme des sécessionnistes. Des images ayant fait le tour de la toile montrent un vieillard physiquement affaibli et presque voûté, coiffé de sa calotte, qui peine à se tenir debout du fait de la fatigue. Des adjuvants sont par conséquent obligés de le tenir pour lui éviter une chute fatale. Un acteur majeur du règlement de la crise anglophone, par ailleurs très proche du prélat, déclare avoir contacté l'homme de Dieu au téléphone pour le convaincre de regagner au plus vite la ville de Douala, où il réside en permanence, sans doute pour un suivi sanitaire d'urgence et indispensable au regard du poids de l'âge que porte sur son dos ce cardinal aujourd'hui âgé de 90 ans. Mais, selon Élie Smith, porteparole de la « All Anglophone General Conference » (AGGC), le cardinal, téméraire comme à son habitude, lui a rétorqué qu'il devait poursuivre son séjour à Kumbo, son village d’origine, dans le respect de son programme initial.

Une attitude qui n'est guère surprenante pour qui connait la détermination de cet homme attaché à ses principes, entêté jusqu'au bout, en l'occurrence lorsqu'il est convaincu de défendre la bonne cause. Selon le porte-parole de la « All Anglophone General Conference », le cardinal se rendait à Kumbo pour un séjour privé, lorsque la délégation dont il faisait partie a été stoppée net par des individus armés, puis conduite dans un lieu tenu secret. Au rang des personnalités de la délégation que le prélat accompagnait, figurait le Fon de Kumbo, Sehm Mbinglo II, qui était toujours en détention avec une dizaine d'autres captifs au moment où nous allions sous presse tard dans la nuit de dimanche.

Lors de son précédent séjour à Kumbo, où il avait passé cinq semaines, le cardinal, en sa qualité de membre de l'élite de la localité, mais aussi d'autorité morale et spirituelle influente et respectée, a constaté, non sans s'en indigner, la longue vacance dans le trône royal à Kumbo. Le Fon a été contraint d'abandonner son fauteuil il y a un peu plus deux ans, suite aux menaces récurrentes proférées par des groupes armés de la mouvance indépendantiste, qui accusaient leur souverain de livrer aux autorités des villageois enrôlés dans la lutte armée, et donc de trahison de la cause commune des séparatistes de l'Etat fictif de « l’Ambazonie ».

Ce dernier était occupé depuis lors par ses affaires personnelles dans les deux principales du pays (Douala et Yaoundé), loin du siège de son pouvoir traditionnel. De retour à Douala, Christian Tumi a engagé une médiation, apprend-on, pour mettre un terme à cette vacance qui n'avait que trop duré. C'est ainsi que, dans cette perspective, des réunions vont se tenir tour à tour à Douala et à Yaoundé, qui regroupent les anciens de cette localité et l'élite. A l'issue de ces concertations, le roi a été convaincu de tourner la page de son exil et de retourner à son trône à Kumbo. « Mais les natifs de Nso ou de Kumbo ont dit que, pour que leur roi revienne, étant donné qu'il a passé beaucoup de temps à l'extérieur, il faut qu'il soit accompagné par une personnalité comme Tumi. Donc Tumi allait seulement accompagner le roi, parce qu'il en est un sujet, et c'est chemin faisant qu'on l'a kidnappé », raconte Élie Smith.

Anti-sécessionniste

Le kidnapping a eu lieu au niveau de la localité de Baba, dans l’arrondissement de Babessi, département du Ngo-Ketunjia, où des individus ont sommé tous les membres de la délégation du Fon de Kumbo de les suivre vers un lieu inconnu. Les captifs venaient alors de Foumban, où ils étaient en visite chez le sultan de cette communauté, Ibrahim Mbombouo Njoya. Certaines sources indiquent que les ravisseurs ont formulé quelques exigences au prélat, au rang desquelles son retrait du « dialogue national » initié il y a un an par le gouvernement, et dont les interlocuteurs de la mouvance séparatiste, ainsi que certains acteurs de la société civile, remettent en cause la sincérité.

Ou encore la révision de son entêtement à demander un retour rapide de l’école perturbée dans les zones anglophones. Si l’enlèvement n’a pas été revendiqué sur le champ, un doigt accusateur a été aussitôt pointé sur la bande à un « général » de guerre surnommé Chao Mao, un ancien pasteur qui a déposé la soutane pour des armes brandies contre le pouvoir à Yaoundé. Le cardinal Tumi n'est pas à sa première épreuve face aux sécessionnistes. Par le passé, il a été interpellé dans la même zone de conflit et retenu pendant près d'une heure d'horloge par ses propres « frères », qui reprochent à l'homme de Dieu son opposition au recours aux armes et au boycott de l’école, mais surtout l’hostilité de ce dignitaire de l’Eglise catholique romaine à l'égard de leur revendication centrale : la séparation de la « République du Cameroun » et la création d'un État indépendant baptisé « Ambazonia ». Sur le sujet, l'archevêque émérite de Douala leur n'a eu de cesse de leur indiquer que la solution en vue de la sortie de la crise et de ce qui s'apparente aujourd'hui à un enlisement, demeurait le dialogue.

C'est d'ailleurs dans cette perspective que le cardinal Tumi a initié la « All Anglophone General Conference », dont le but était de rassembler tous les différents courants de revendication dans les deux régions en crise, en vue de trouver un terrain d'entente ainsi qu'une résolution définitive du conflit. Car, en dehors du son de cloche le plus retentissant, qui réclame la rupture d'avec l'ancien Cameroun oriental francophone, une bonne frange de la population de ces régions se montre favorable au fédéralisme, à côté d'un autre courant, plus modéré, qui croit encore à l'efficacité de la solution de décentralisation, même si dans la pratique Yaoundé a toujours fait montre de lourdeurs quant à l'implémentation de cette recette.

Les marches de protestation initiées par des chrétiens catholiques le vendredi 06 novembre en vue d’exiger la libération des captifs, n’ont pas dissuadé les ravisseurs. Tout juste ont-ils consenti à libérer l’archevêque retraité.

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