Manifestation publique : une liberté désormais supprimée au Cameroun
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Manifestation publique : une liberté désormais supprimée au Cameroun :: CAMEROON

Le monde entier célèbre ce 15 septembre 2020 la journée mondiale de la démocratie, à cette occasion, le Secrétaire général de l’ONU, M. António Guterres a adressé à tous les pays membres un message dont un extrait dit :

« Bien avant la pandémie déjà, le mécontentement grandissait et la confiance dans les autorités publiques déclinait. Le manque de perspectives entraînait malaise économique et troubles sociaux. Aujourd’hui, il est clair que les gouvernements doivent en faire davantage pour écouter les personnes qui demandent des changements, ouvrir de nouveaux espaces de dialogue et respecter la liberté de réunion pacifique. En cette Journée internationale de la démocratie, saisissons l’occasion unique qui nous est offerte pour construire un monde plus égalitaire, plus inclusif et plus durable, dans le plein respect des droits humains. » On dirait que le Secrétaire de l’Onu s’adresse spécifique au Cameroun ce message, au moment où la liberté de réunion pacifique est fortement mise à rude épreuve.

Restriction totale

Presqu’au même moment où Antonio Guterres délivrait ce message en effet, au Cameroun, le ministre de l’Administration territoriale Paul Atanga Nji signait lui aussi un message fax adressé aux gouverneurs des régions du Littoral, du centre et de l’Ouest, avec cette teneur : « Honneur vous faire connaitre, des informations concordantes font état de ce que les responsables du parti politique Mrc projettent des manifestations illégales à partir du 22 septembre 2020. En conséquence, je réitère que ma mise en garde rappelée lors de mon point de presse du 7 septembre 2020 reste d’actualité. A cet égard, je vous demande de bien vouloir mettre en place un système de surveillance de tous les militants et sympathisants du dit parti politique…

Si malgré tout ce projet de manifestation illégale était mis en œuvre, vous procéderez sans faiblesse à l’interpellation et à la garde à vue administrative des personnes concernées, à savoir toute personne qui se trouveront sur la voie publique malgré les interdictions des autorités administratives, et des personnes qui ont lancé ces mots d’ordre de manifestation par écrit sur antennes ou plateaux de télévision ou à travers les réseaux sociaux. Par ailleurs, je vous réitère mes instructions antérieures, à savoir que le maintien de l’ordre doit se faire sans la moindre complaisance avant, pendant et après les élections des conseillers régionaux du 6 décembre 2020. » Bien avant lui, les gouverneurs de ces trois régions avaient signé le 11 septembre, chacun de dans son territoire un arrêté interdisant jusqu’à nouvel ordre toute réunion et manifestation publiques non déclaré, en promettant à tout contrevenant des sanctions prévues par la réglementation en vigueur.

Matraquage

A en croire le ministre Paul Atanga Nji et les gouverneurs, les manifestations publiques sont illégales au Cameroun. Pourtant ce n’est pas ce que dit la Constitution du Cameroun, qui indique dans son préambule que « La liberté de communication, la liberté d’expression, la liberté de presse, la liberté de réunion, la liberté d’association, la liberté syndicale et le droit de grève sont garantis dans les conditions fixées par la loi. » Cette loi, notamment celle n°90 /055 du 19 décembre 1990 fixant le régime des réunions et des manifestations publiques, dit à l’article 6alinéa1 que « sont soumis à l’obligation de déclaration préalable, tous les cortèges, défilés, marches et rassemblements de personnes et, d’une manière générale, toutes les manifestations sur la voie publique. »

Et à l’article 8 elle prévoit « le chef de district ou le sous-préfet qui reçoit la déclaration en délivre immédiatement récépissé. Toutefois, s’il estime que la manifestation projetée est de nature à troubler gravement l’ordre public, il peut, le cas échéant: lui assigner un autre lieu ou un autre itinéraire ou interdire par arrêté qu’il notifie immédiatement au signataire de la déclaration au domicile élu. » Si les manifestations publiques sont libres d’après la Constitution et soumises à déclaration selon la loi, il y a de quoi se poser des questions : pourquoi le gouvernement a- t-il autant peur des manifestations publiques ? Pourquoi l’accent est mis sur les trois régions ? Le ministre prétend que le parti politique Mrc projette des manifestations illégales dans ces régions le 22 septembre 2020.

L’article 7 de la loi indiquée précise que « la déclaration prévue à l’article 6 ci-dessus est faite au district ou à la sous-préfecture où la manifestation doit avoir lieu, sept jours francs au moins avant la date de ladite manifestation » Comment le ministre et les gouverneurs pouvaient-il présumer de l’illégalité d’une manifestation le 22 septembre, alors que le parti politique en question, s’il projette effectivement une manifestation publique ce jour, était encore dans les délais légaux pour la déclarer le jour où ces arrêtés étaient signés? A moins de vouloir dire que même si ce parti déclarait sa manifestation, elle sera automatiquement interdite ? Et si elle était interdite même avant d’avoir été déclarée, cela voudra-t-il dire que la liberté de manifestation n’est plus garantie par la Constitution, ou que le gouvernement avoue son incapacité à encadrer une manifestation publique, ou enfin que toute intention de manifestation publique sous-tend du désordre ?

En tout état de cause, le gouvernement devra se rendre compte qu’avec ses multiples mises en garde et les rappels d’une loi déjà connue, il ne contribue qu’à semer la psychose au sein de la population, déjà stressée par les difficultés quotidiennes. L’Etat protecteur est devenu menaçant, alors qu’il devrait rassurer les populations, au lieu de brandir en permanence le spectre de la terreur, utiliser un langage guerrier et violent tant dans les discours que dans les communiqués.

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