Patrice Mboma Ebemby : « C’est une partie de moi qui s’écroule »
CAMEROUN :: SOCIETE

CAMEROUN :: Patrice Mboma Ebemby : « C’est une partie de moi qui s’écroule » :: CAMEROON

Le père de Lydienne Solange Taba parle de sa dernière conversation avec sa fille la veille de son décès, de leurs rapports, des projets qu'il nourrissait pour elle et la douleur de sa disparition ...

Comment avez-vous appris le décès de votre fille ?
Je l’ai appris dans des conditions assez difficiles. J’ai échangé avec ma fille sur WhatsApp la veille vendredi 24 juillet, jusqu’à 21 h30. On s’est souhaité bonne nuit. J’ai été surpris par le coup de fil samedi aux environs de 16 h m’annonçant son décès. On n’a pas pu me l’annoncer directement. Mon épouse étant confinée au Cameroun depuis mars et moi vivant avec ma belle-sœur au Congo, c’est cette dernière qu’on a saisie afin qu’elle essaie un peu de me contenir. J’étais assis au salon. Je visionnais quand elle s’est approchée de moi. Elle me demande d’appeler le Cameroun. Moi, surpris par sa requête, je me demande ce qui se passe. J’ai directement pensé à ma maman et à ma belle-mère parce que les deux sont malades depuis quelques temps. C’est à ce moment que ma belle-sœur crie le nom de Lydienne. J’étais déjà en ligne sur WhatsApp avec sa cousine Mado chez qui elle vivait à Kribi. Celle-ci m’indique par message ‘’Tonton c’est très grave ici. Je suis avec Nick-Nick (mon épouse)’’. J’ai donc préféré l’appeler. Il était difficile d’avoir quelques mots. Tout le monde était en pleurs. Eux de leur côté et nous du nôtre. J’ai seulement suivi dans les bribes : « le sous-préfet ». Qu’elle est sortie, elle n’est pas revenue le matin. On l’a appelée, le téléphone ne passait pas. Mon épouse me dit qu’elle a été approchée vers 13h par les gendarmes qui l’ont conduite à la morgue pour lui présenter le corps. La suite, je ne peux pas vous le dire parce que c’était pour moi une folie. J’ai piqué une crise à l’immédiat et je suis tombé. Je me suis réveillé quelques temps après entouré de voisins qui ont accouru suite aux pleurs.

Ce dernier contact avec votre fille la veille de son décès, comment s’est -t-il passé ?
Je vous ai dit tantôt que j’ai échangé avec elle sur WhatsApp la veille, donc le vendredi 24 juillet, jusqu’autour de 21h30. Notre conversation portait sur la date de l’ouverture des frontières. Je lui disais d’informer aussi par téléphone sa maman que je n’arrivais pas à avoir. Elle était en attente de l’ouverture des frontières pour regagner le Congo. Parallèlement, Lydienne devait aussi venir avec elle pour passer des congés et avoir la possibilité de trouver un stage, puisque c’est là-bas que j’ai un peu plus de relations. La conversation de vendredi portait donc sur ce sujet et un bref aperçu sur le niveau général des trois ou quatre épreuves de BTS (Brevet de technicien supérieur) qu’elle venait de composer.

Quel type d’enfant était Lydienne ? Comment menait-t-elle sa vie au Cameroun comme au Congo ?
Lydienne est partie du Cameroun alors qu’elle était élève en classe de Seconde au lycée de la Cité des Palmiers à Douala. Elle a fait les classes de Première et Terminale au Congo. Elle a repris la classe de Terminale et a finalement obtenu son baccalauréat. Que ce soit là-bas au Congo ou ici au Cameroun avant que je ne parte en expatriation et jusqu’à sa mort, j’ai connu un enfant soumis. Une fille obéissante, disciplinée. Si l’école se terminait à 17h, elle était à la maison à 17h30. Elle a fait un stage académique il y a deux ans au Congo. Même en qualité de stagiaire, si le travail finissait à 18h, avec les embouteillages elle pouvait être à la maison au plus tard à 19h. Elle n’était pas en prison. Elle sortait sous permission. Elle aimait parfois se recroqueviller dans son coin du genre où elle est dans la chambre, alors que les autres sont tous au salon. Je lui ai dit que ce n’était pas une bonne habitude. Le salon est un endroit où tout le monde se retrouve pour s’exprimer. Il y a la télévision. Chacun peut avoir son émission préférée. Elle m’écoutait beaucoup. Pour certains sujets, elle se confiait plus à moi qu’à sa maman. Lydienne était enfant unique. Je prends encore son décès comme un rêve. C’est une partie de moi qui s’écroule. C’est ma petite famille qui est brisée par cette disparition.

Comme tout papa, j’imagine que vous aviez des projets pour votre fille…
… Bien évidemment. Parlant de projets, elle et moi on en parlait ça fait moins d’un mois je crois quand elle se trouvait à Yaoundé. Elle y était allée récupérer auprès du ministère l’équivalence de son baccalauréat, puisque le sien est congolais. Elle en avait fait la demande. Elle n’a pas pu avoir ce papier. Parallèlement, je lui avais demandé d’aller récupérer son passeport, dont le récépissé se trouvait entre les mains d’une connaissance. C’était un renouvellement de passeport. Elle avait déposé son dossier il y a un an. Lorsque Dieu a aidé et qu’elle a retrouvé le passeport, elle l’a scanné et me l’a envoyé. Elle m’a parlé des concours, du recrutement de l’administration. Elle a essayé de scanner quelques publications de concours qu’elle m’a envoyées. Je lui ai dit que l’orientation académique qu’elle a embrasée (Gestion des ressources humaines) ne nécessite pas de très longues études, mais mon souhait est qu’elle puisse obtenir au minimum un Master 2 dans ce domaine pour pouvoir être crédible au niveau du marché de l’emploi qui est de plus en plus compétitif et serré. C’est à ce moment que je lui ai fait comprendre que mes projets avec elle, malgré les dégâts causés avec la pandémie du Covid-19, c’est qu’elle aille continuer à l’étranger pour obtenir son Master en question. On a parlé des pays : le Maroc, la France et le Canada. Je lui ai dit d’avance que je n’aime pas la France en termes d’études. Elle a donc porté son dévolu sur le Canada. Elle m’a demandé depuis quand j’avais ce projet pour elle. Je lui ai retorqué que je l’ai depuis qu’elle a raté le Bts l’année dernière, avant qu’elle ne le compose. C’est le projet immédiat qu’on avait.

Cette relation avec le sous-préfet de la Lokoundje étiez-vous au courant ? Connaissiez-vous son compagnon ?
Je n’étais même pas au courant que ma fille sortait déjà les hommes. Pas que je présumais qu’elle était encore vierge. Non. Je savais que comme tout jeune, peut-être c’est déjà arrivé qu’elle flirte avec des ‘’gars’’. Mais on ne parlait pas encore de sexe ou de petit copain. Nous n’étions pas encore à ce niveau. Quand on parlait de son projet du Canada lorsqu’elle était en séjour à Yaoundé pour récupérer son passeport, elle m’a dit sur WhatsApp que ‘’mon copain m’a parlé du recrutement de la fonction publique’’. C’est la première fois qu’elle me parlait de copain. J’ai directement rétorqué avec dix points d’interrogations et lui ai demandé ce que cela voulait dire. Elle a dit qu’elle allait m’en parler. J’ai continué en lui rappelant que je lui ai toujours dit que les études et le sexe ne se mélangent pas. D’accord ? Elle a répondu : Oui papa. Donc en un mot, on ne parlait pas sexe encore moins de fiançailles. Pas que je n’étais pas prêt si elle m’annonçait une relation comme celle-ci que je découvre comme tout le monde, que peut-être c’était une relation qui devait aboutir, je ne sais pas, au mariage. On peut trouver un fiancé à tout bout de chemin. La vie n’est pas une équation mathématique. Je ne suis pas un extra-terrestre. Je vis comme tout le monde. Ça veut dire que si ça arrivait, on m’aurait saisi en tant que papa. Je devais savoir comment gérer. On peut bien faire l’école et être marié. Quand j’étais élève en Seconde au lycée classique d’Edéa, la femme du préfet de la Sanaga Maritime était en Première. On peut bien faire l’école et être fiancé ou marié. Donc pour moi c’était une relation clandestine. Malheureusement peut-être certaines personnes étaient au courant. Ce que le papa ignore, ce n’est pas automatique que la maman l’ignore aussi, encore que mon épouse soit confinée au Cameroun depuis le mois de mars. Mais je n’avais connaissance de rien d’une façon officielle.

Avez-vous eu accès au corps de votre fille depuis que vous êtes arrivé au Cameroun ?
Je suis arrivé au Cameroun dimanche le 02 août. Je suis allé à Kribi le lendemain lundi 03 août. J’ai rencontré le préfet du département de l’Océan à qui j’ai demandé le droit d’aller regarder le corps. Il a appelé le directeur de l’hôpital devant moi. Je me suis rendu là-bas à la morgue. J’ai vu le corps. Vous ne pouvez peut-être pas l’imaginer. De retrouver votre fille toute fraiche, toute belle couchée dans une civière à la morgue. L’émotion était à son comble.

Avez-vous rencontré d’autres autorités ?
Non. Depuis que je suis là, j’ai rencontré le préfet une fois. Je l’ai déjà eu au téléphone une ou deux fois également.

La famille du sous-préfet vous a -t-elle approché ?
Depuis le Congo, j’avais carrément interdit aux miens ce genre de chose. Je leur ai dit que je ne voudrais aucune assise, aucun contact. Peut-être ils ont eu l’intention, mais ayant pris connaissance de ma position, ils ont dû se raviser. Sauf si ça s’est passé en cachette, on a eu aucun contact et je ne veux aucun contact avec eux.

Les obsèques de Lydienne sont-t-elles déjà envisagées ?
J’avais communiqué au préfet un premier programme de concert avec la famille, du 14 au 15 août. Donc normalement la levée de corps devait avoir lieu aujourd’hui (vendredi 14, ndlr). Le 05 août, on a été informé de l’autopsie qui devait être réalisée. Le 06, j’ai eu le préfet au téléphone. Il m’a dit que bien évidemment on va attendre le rapport d’autopsie et qu’il n’est pas sûr que la date du 15 va tenir, mais qu’on me répondra. Quand je l’ai eu au téléphone en début de semaine, c’était pour lui faire comprendre que vu d’abord le poids insupportable qui repose sur nous par rapport à cette disparition brutale, tragique et brusque, que le corps soit entre parenthèse scellé ou n’est pas libre d’être enterré selon les besoins de la famille, c’est difficile à supporter. Sans oublier que je suis salarié d’une entreprise qui est hors du Cameroun. Le préfet m’a dit : « « petit frère on va tout faire, le gouverneur et moi pour que vous puissiez vous rattraper au moins le week-end qui suit ». Actuellement, le programme prévisionnel c’est du 21 au 22 août. J’espère bien qu’on va le respecter. Je suis africain et bantou. Il est de coutume de porter le deuil pendant neuf jours, surtout que c’est un enfant direct. C’est après cela que je vais envisager regagner le Congo.

Comment la famille porte le deuil. Votre épouse en particulier ?
Mon épouse est effondrée. Je suis venu trouver qu’elle ne mangeait pas. On est presque tous deux inconsolables. Je fais un effort, moi l’homme, d’être un peu plus fort parce que si je faiblis aussi, on risque enterrer l’un de nous avant d’inhumer notre fille. Je lui donne beaucoup de forces. Nous sommes des chrétiens. On prie beaucoup. Dieu reste le seul décideur par rapport à la destinée de chaque personne. Celle de ma fille est plutôt tragique. Mais c’est son destin je crois. La famille en général est déchirée par la douleur. Pour la première fois, j’ai vu mon beau-père âgé de 72 ou 75 ans pleurer. C’est insupportable, mais on ne peut rien. On est obligé de nous soumettre à la volonté de Dieu.

Des avocats vous accompagnent dans le cadre de cette affaire ?
D’une façon officielle, je n’ai pas encore de Conseil. J’ai des avocats dans la famille et des amis avocats. On parle de ça. Je sais qu’au stade actuel, d’après ce qu’un des avocats m’a dit, ce qui est en train de se dérouler suppose que le ministère public a déjà engagé sa procédure. Ils (mes amis avocats) m’ont dit qu’il faut que les avocats encadrent le processus. Il faudrait peut-être que j’aie un Conseil qui va se présenter. De concert avec la famille, nous allons arriver à cela. Je ne suis imprégné d’aucun élément du dossier pour le moment. Je crois qu’avec le concours des hommes de droit, on saura.

Avez-vous confiance en la justice de votre pays ?
Je peux vous renvoyer la question. La situation vous la connaissez mieux que moi. Encore que je vis au Congo depuis dix ans. J’ai quand même des échos de ce qui se passe souvent. Je n’ai jamais été enrôlé dans une procédure judiciaire que ce soit comme accusé ou comme plaignant. Confiance ou pas, je souhaiterai que par rapport au décès de ma fille qualifié presque d’assassinat, que le droit soit dit et appliqué. Mon juge suprême, c’est le Dieu tout puissant. À lui la vengeance, à lui la rétribution. Je lui fais confiance et je sais qu’il agira.

Lire aussi dans la rubrique SOCIETE

Les + récents

partenaire

Vidéo de la semaine

évènement

Vidéo


L'actualité en vidéo