Ngarbuh : le carnage de trop
CAMEROUN :: POINT DE VUE

CAMEROUN :: Ngarbuh : le carnage de trop :: CAMEROON

La crise anglophone a connu depuis le 14 février 2020 un nouveau développement tragique, avec la mort pas balle et par incendie d’autres fils du pays. La guerre des chiffres s’en est suivie, plus violente encore. Les organisations locales comme le Réseau de défenseurs des droits de l’homme en Afrique centrale parlent de 36 morts. Le Porte-parole du Haut-Commissariat des Nations Unis aux droits de l’homme parle de 23 morts, le ministère camerounais délégué auprès de la présidence de la république, chargé de la défense parle de 12 morts, soit 7 « terroristes et bandits » neutralisés et 5 tués par un incendie accidentel.

Quel que soit le vrai chiffre, tous sont au moins d’accord sur un point, c’est qu’il y a eu des morts, et c’est là le problème. Même s’il s’agissait d’un seul mort, c’est un mort de trop, c’est un fils de plus que la nation camerounaise perd. Qu’il s’agisse d’un terroriste, d’un bandit, d’un militaire, d’un simple civil, il s’agit d’un Camerounais, il s’agit de l’enfant d’une mère et d’un père, il s’agit parfois d’un père, d’un mari, d’un frère, d’un cousin, bref, c’est une perte en vie humaine.

A l’origine, du mépris

Il n’est peut-être pas superflu de rappeler que cette crise a commencé comme un jeu. Une manifestation d’étudiants, d’enseignants et d’avocats, qui au lieu d’attirer l’attention des gouvernants, a plutôt suscité de leur part du mépris, du déni et de la condescendance. Par la suite, les leaders des mouvements qui s’étaient réunis dans un consortium afin de servir d’interface et dialoguer avec le gouvernement, ont été arrêtés, le consortium dissout. La réaction violente des forces de l’ordre a fini par radicaliser les manifestants et a réveillé en certains le sentiment de marginalisés qui couvait depuis longtemps. Ce qui était encore une manifestation pacifique en octobre 2016 est devenu un an plus tard un affrontement entre des groupes qui réclamaient désormais leur indépendance, et un gouvernement défenseur de l’Etat unitaire.

Depuis lors du sang a coulé, du feu a brulé, les régions anglophones sont devenues des champs de guerre, et se transforment progressivement en champ de ruine. Les morts ne se comptent plus. 3000, 4000, personne ne le saura. Les déplacés se comptent par centaines de milliers, disséminés sur le territoire national, les réfugiés, du moins ceux qui peuvent être répertoriés, se dénombrent aussi par milliers. Cette guerre a fait des veufs et des veuves, des orphelins, des chômeurs, des drogués, des prostitués, des sans-abris, des pauvres.

Le bal des vautours

Les morts de Ngarbuh ont une fois de plus provoqué la même réaction hypocrite d’un côté comme de l’autre. Une opinion qui fait semblant de s’émouvoir, une société civile qui prend un malin plaisir à compter les morts et les mettre au compte du gouvernement, une communauté internationale qui se fend en déclarations avec des appels sans conviction aux différentes parties à se mettre autour de la table pour dialoguer et trouver une solution définitive, un Gouvernement qui nie tout, évoque sa volonté de protéger les populations, vante le professionnalisme de ses troupes sur le terrain et clame sa bonne foi de trouver des coupables s’il en existent.

Sauf que tout cela ne ressuscite aucun mort, aucun. Mais il ne s’agit plus aujourd’hui de pointer du doigt tel ou tel comme responsable de cette sale guerre, il s’agit de constater que des camerounais meurent encore, et encore. Il s’agit aussi de s’arrêter un instant et poser les questions essentielles : pourquoi se bat-on, et à qui profite le crime ?

Guerre pour la vie ou contre les vivants ?

Le premier à se poser ces questions devrait être le Gouvernement, qui au-delà de toutes les considérations, reste le seul responsable et garant de la vie des Camerounais. Le combat qu’il mène est-il pour protéger cette vie ? Les enseignants, étudiants et avocats dans les rues de Buea et Bamenda en 2016 menaçaient-ils une vie, pour mériter d’être brutalisés ? Aujourd’hui, peut-il dire la main sur le cœur qu’il protège la vie, alors que les morts se comptent tous les jours, et de manière plus violente.

Que ce Gouvernement l’admette ou pas, les pertes en vies humaines sont aujourd’hui énormes, et cela veut dire qu’il a failli à sa mission, celle de protéger les vies humaines, qui priment au-delà de tout. Ses maître-mots sont aujourd’hui « paix et unité ». Mais les Camerounais ne peuvent continuer à mourir au nom de la paix et de l’unité. Parce qu’il n’y pas de paix pour un mort, l’unité ne veut rien dire non plus dans la tombe. Pour qui cherche-t-on la paix et l’unité, si pour les obtenir tout le monde doit mourir ? Il est donc plus que temps que cette question soit posée, celle de savoir pourquoi l’on se bat. Si c’est pour la protection de la vie des Camerounais, il serait honnête de reconnaitre que les méthodes utilisées jusqu’ici ne sont pas efficaces, et essayer autre chose

Une autre question essentielle à se poser est celle de savoir à qui profite cette guerre. Aux vendeurs d’armes ? A ceux qui bénéficient des frais de missions journalières, à ceux qui gèrent les budgets des opérations ? Une chose est sûre, ce n’est pas à l’Etat qu’elle profite, puisque ses caisses sont saignés à blancs, et ce n’est non plus à cette population désorientée qu’il faut demander les bénéfices de cette sale guerre. Et si une guerre ne profite ni à l’Etat ni au peuple, et décime plutôt des populations, civiles ou militaires, pourquoi ne pas l’arrêter. L’histoire nous renseigne qu’il y a toujours les moyens d’arrêter une guerre, à condition de le vouloir.

Le Gouvernement devrait comprendre qu’il n’y a jamais de gagnants dans une guerre, comprendre surtout qu’un pays ne gagne pas une guerre contre son peuple, et qu’il y a des situations dans la vie où comme dit le proverbe, un mauvais arrangement vaut mieux qu’un bon procès.

Lire aussi dans la rubrique POINT DE VUE

Les + récents

partenaire

Vidéo de la semaine

évènement

Vidéo


L'actualité en vidéo