Chantiers routiers : les financements au feu rouge
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Dans son adresse à la nation le 31 décembre 2019, le président de la République a relevé que la croissance économique du pays évoluait de manière plutôt satisfaisante, conséquence des efforts incessants du gouvernement dans le cadre de l’amélioration du cadre de vie des citoyens. « Notre croissance a repris, l’inflation est maîtrisée, les déficits budgétaires et extérieurs sont contenus, notre dette publique reste soutenable », disait-il. Un jour plutôt, le 30 décembre 2019, le ministre des Travaux publics, Emmanuel Nganou Djoumessi avait achevé deux jours de travaux au cours desquels il faisait la revue générale des chantiers routiers pour l’exercice 2019. Ses conclusions étaient plutôt à l’opposé de ce que le président affirmait dans son discours.

Lourde dette envers les entreprises

On apprenait à l’issue de ces travaux que le Cameroun achève l’année 2019 avec une dette de 204 milliards de Fcfa due aux entreprises engagées dans les grands projets de construction routière. Le document appelé Projet de performance des administrations (PPA) du Mintp pour l’exercice 2020, indique en effet que « Malgré les efforts d’apurement des instances perceptibles, leur encours demeure préoccupant : 104 milliards au niveau des ressources extérieures et près de 100 milliards en ressources internes.» Après examen de 54 projets, le ministre des travaux publics, que l’on appelle dans le milieu l’ingénieur d’Etat, a admis une fois de plus ce que l’on connaissait déjà, à savoir que les délais d’exécution de plusieurs projets sont dépassés et ont dû être prorogés souvent plus d’une fois, sans que les marchés ne soient toujours livrés. Et pour cause !

D’après le constat, l’une des causes du non avancement des travaux, c’est que sur les emprises de plusieurs projets, les populations sont encore confortablement installées, d’autre ayant même limé leurs machettes pour attendre celui qui viendrait les bouger de là. C’est que dans la réalité, la construction d’une route nécessite toujours le déguerpissement de ceux qui sont installés là où elle doit passer, soit en y ayant construit des maisons ou développé des plantations. Dans les négociations de financement, les partenaires demandent toujours au Cameroun de s’arranger à indemniser ces populations avant de les déplacer, les frais d’indemnisation correspondant parfois à tout ou une partie de l’apport de l’Etat. Sauf que l’Etat, gangrené par la corruption et les malversations, n’a jamais menée cette opération à bout avec élégance et propreté. On ne compte pas le nombre de fois où les populations riveraines ont bloqué le chantier de l’autoroute Yaoundé-Douala par exemple, pour réclamer leurs indemnisations.

Retard de paiement

L’autre cause de l’abandon des grands chantiers routiers est, de l’aveu même du ministre des Travaux publics, le temps mis à honorer ses factures par l’Etat. Dans le document indiqué plus haut on lit : « les longs délais de paiement des décomptes apparaissent aujourd’hui comme le principal facteur de la contre-performance de nos efforts de construction, de réhabilitation et d’entretien routiers. Ils impactent directement la durée de réalisation des projets, y compris le démarrage effectif des prestations, avec pour corollaire l’augmentation du coût des projets et des suspensions récurrentes des travaux ». On revient là sur le fameux délai de paiement, qui a coulé bien d’entreprises locales. Le portail des camerounais de Belgique (@camer.be) . Des travaux effectués, réceptionnés et même déjà opérationnels, pour ne pas dire rentables, doivent attendre parfois des années pour être payés. Le fléau est décrié depuis des années par les regroupements patronaux, mais il revient chaque année comme un marronnier, on l’évoque chaque jour pour justifier la piètre performance dans l’exécution des travaux, mais aucune solution efficace n’y est trouvée, un peu comme si c’était une malédiction. Toujours est-il que d’après le bilan du ministre des travaux publics, le Cameroun traine les pattes dans la voie de la modernisation et du développement, à cause des raisons bien connues.

Menace sur deux autoroutes

Pour ces raisons justement, deux projets essentiels parmi tant d’autres sont fortement menacés, avec une perspective d’achèvement plus qu’hypothétique. Il s’agit des autoroutes Yaoundé-Douala dans sa première phase et Kribi-Lolabé. La première phase de l’autoroute Yaoundé-Douala longue de 60 km, débutée il y a 5 ans le 13 octobre 2014 plus précisément, est désormais programmée pour s’achever le 31 décembre 2020, après deux prolongations du délai de 12 et 14,5 mois. Si cette première phase est livrée à cette nouvelle date que donne le ministre, cela fera 6 ans pour construire 60 km d’autoroute. Sachant que la longueur totale de l’autoroute qui va relier les deux capitales est de 240 km, il faudra à ce rythme 24 ans pour la livrer.

Quant à l’autoroute Kribi-Lolabé longue de 38,5 km, elle a été lancée le 1erjanvier 2015 et sa date de livraison est désormais projetée pour le 31 octobre 2020, soit un dépassement de 28 mois sur les délais. Encore faudra-t-il que d’ici là l’Etat, dont la dette est soutenable d’après le président Paul Biya, ait trouvé de l’argent pour les entreprises engagées sur ces eux chantiers pris en exemple. Car d’après les chiffres du ministère, elles réclament à ce jour plus de 80 milliards de FCFA d’impayés, soit 4,47 milliards pour China First Higway Engineering, le groupement Scet-Tunisie/Louis-Berger et Labogenie engagées sur l’autoroute Yaoundé-Douala, et 76,38 milliards pour l’entreprise China Harbour Engineering Compagny (Chec) et le groupement Studi International/Integc), chargées des travaux de l’autoroute Kribi-Lolabé. Et il faut préciser que ces dettes se sont accumulées depuis que le principal financier de ces projets, Eximbank China a suspendu le paiement des décomptes courant 2018, pour non-respect des clauses contractuelles de la partie camerounaise.

Face à ces difficultés de financement qui vont sans doute continuer à plomber la progression des travaux, le ministre Nganou Djoumessi a déjà une idée de la solution alternative. « Nous allons continuer avec les travaux en régie parce que de plus en plus, il faut pouvoir amener les ingénieurs du Ministère des Travaux Publics à construire des routes et ponts eux même. En 2020, nous allons acquérir une mini-centrale de concassage, parce que de proche en proche, nous voulons aller des routes en terre vers des routes bitumées ».

Peut-être est-ce la fin de la bureaucratie qui de tout temps confine les compétences techniques dans les bureaux, alors qu’ils sont attendus sur les chantiers. L’idée est bonne de les mettre désormais au travail, mais il n’y a toujours aucune garantie que les financements seront disponibles pour qu’ils conduisent les travaux à terme, du moment où le mode de passation des marchés reste le même, miné par la corruption, les dessous de table et les retro commissions.

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