Gérontocraties africaines : Faut-il fixer un âge limite à la tête des Etats ?
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AFRIQUE :: Gérontocraties africaines : Faut-il fixer un âge limite à la tête des Etats ?

Parlons, une fois n’est pas coutume, de l’âge des dirigeants africains. Lorsque j’étais à l’école primaire à Messok, petit village en pleine forêt au Sud du Cameroun, nombreux de ceux qui sont au pouvoir au Cameroun de nos jours étaient déjà en place.

Des Hommes de mon âge sont désormais au pouvoir en France et au Canada, preuve que l’Afrique tourne en rond et radote politiquement en détruisant ainsi des potentiels, des énergies et des idées nouvelles. Ces « dinosaures » africains, ne serait-ce que par le poids des années, sont donc d’un autre temps. Cela implique qu’ils sont fatigués, malades et manquent de dynamisme comme toute personne âgée aux capacités biologiques et cognitives amoindries. Le dire n’est pas une injure mais un constat de l’œuvre sans pitié du cycle naturel du temps sur tout être humain. Je suis d’autant plus à l’aise avec ce constat que je ne me place pas du tout dans la perspective de certains Camerounais qui prennent un vilain plaisir à se moquer de Paul Biya en considérant ses 87 ans comme une tare… C’est une attitude puérile et minable dans laquelle je ne me retrouve pas. Ce n’est pas mon registre car un tel penchant n’apporte politiquement rien au Cameroun et encore moins à l’Afrique sur le plan de la réflexion politique. C’est même, et je le pense fortement, une attitude qui a beaucoup à voir avec une forme d’aliénation culturelle de certains Africains, étant donné le respect que nos cultures traditionnelles accordent aux personnes âgées. La santé qu’affiche Paul Biya à 87 ans me laisse même admiratif tellement elle est aussi le signe d’une vie saine même si sa belle santé doit beaucoup au positionnement élitiste qui a été le sien dans la trajectoire politique camerounaise. Privilège que n’ont pas plusieurs Camerounais/Africains qui, vivant dans les bas-fonds de l’Afrique postcoloniale, ont une espérance de vie moyenne de 50 ans.

Je me situe, disais-je, non du côté de la moquerie, mais de celui de la problématique des gérontocraties dans une Afrique jeune et en recherche de démocratie. Je cherche moins à moquer, à me moquer qu’à donner à réfléchir et à penser. Paul Biya n’est pas le seul homme fort âgé encore au pouvoir. L’Afrique a assisté à la mort au pouvoir d’autres gérontes comme Omar Bongo ou Félix Houphouët Boigny quand, d’autres, comme Robert Mugabe ou Habib Bourguiba ont été déposés par leurs armés parce que désormais incapables de tenir sur leurs deux jambes. De nos jours, d’autres comme Paul Biya du Cameroun (87 ans) au pouvoir depuis 1982, Téodoro Obiang Nguéma Mbasogo (77 ans) au pouvoir depuis 1979 et Yowéri Musévéni (75 ans) au pouvoir depuis 1986 sont toujours en place. Il faut signaler que ce sont là des âges officiels car je parle ici d’Africains nés à des temps où l’état civil était encore balbutiant et fixait des dates de naissance soit au pif, soit à la tête du client. En langage administratif de cette époque, ce sont « des Africains nés vers… ». Dans cette grisaille, Nelson Mandela qui pouvait s’éterniser au pouvoir sans que personne ne bronche a juste fait un mandat et a installé son pays sur les rails de la consolidation démocratique… En Ouganda où la Constitution fixe à 75 ans l’âge limite d’un candidat à la présidence de la république, Yowéri Musévéni, 75 ans révolus, est déjà en campagne musclée pour une réforme constitutionnelle visant à supprimer cette limite d’âge sans oublier qu’il a déjà, comme au Cameroun et ailleurs, modifié la Constitution deux fois pour faire sauter la limitation du nombre de mandats à la tête de l’Etat. L’Afrique a donc un problème et c’est sur lui que je souhaite réfléchir.

Nature des États et dictatures

Il me souvient, il y a de cela quelques années, des images du Pape Jean-Paul II malade, exténué, exsangue mais toujours Pape. Je ne comprenais plus rien et je pense d’autres personnes aussi, de ce qu’il disait lors de ses homélies, un vrai baragouin ! J’avais mal à sa place car je le sentais souffrir. J’avais aussi honte pour l’institution catholique puisque je suis

un catholique. Il ne pouvait cependant démissionner, du moins d’après lui. Il devait assurer et assumer son ministère et sa mission jusqu’à la fin de ses jours. Il l’a fait et est mort sur son trône d’Evêque de Rome chef de l’Etat du Vatican. Benoit XVI a depuis montré qu’on peut prendre sa liberté de démissionner du fauteuil de Pape. Cet exemple me semble intéressant pour l’Afrique parce que le Vatican est une théocratie et donc une dictature comme de nombreux régimes africains où ceux qui sont au pouvoir se pensent irremplaçables comme certains Papes. Conséquence, les dictatures théocratiques et laïques sont à la fois les résultats de certaines formes d’Etats et le renforcement de ces formes d’Etats par des Hommes installés à leur tête par des réseaux conservateurs d’une nature despotique du pouvoir d’Etat. Un Président africain n’est-il pas très souvent le continuateur d’un réseau hégémonique en place depuis la période coloniale et dont la fonction est moins de développer politiquement et économiquement le pays que de servir de maillon performant dans la continuité d’un pouvoir qui se sert plus de l‘Afrique qu’il ne la sert ? On accède au pouvoir, on vieillit au pouvoir et on y reste ad vitam aeternam grâce au réseau performant avec pour fonction de conserver les acquis dudit réseau dont on est partie prenante. Les Etats africains et le pouvoir qu’ils mettent en scène continuent donc de subir la forte inertie des systèmes et des structures préparées par les colons dont ils sont des produits de telle façon que celui qui se trouve à leur tête est très souvent lui-même conservé par un Etat bâti pour se perpétuer comme continuité postcoloniale du pouvoir colonial. Cette situation favorise la vieillesse et la mort au pouvoir, notamment dans l’ancien empire colonial français où ce sont les poulains des colons ayant eu accès au pouvoir en 1960 qui sont toujours en place et lèguent parfois ledit pouvoir à leur fils. Je pense que les Etats africains colonisés par les Britanniques subissent moins cette inertie des structures et des systèmes coloniaux parce qu’ils ont bénéficié d’une culture libérale, d’une décentralisation et d’un « indirect rule » anglo-saxons plus compatibles avec la démocratie libérale. Je remarque que les Etats francophones qui s’en sortent moins mal que les autres sont, soit ceux où il y a eu des révolutions pour sortir des Etats sous tutelle et de la colonialité (Burkina Faso, Bénin…), soit ceux où, très tôt, des leaders ont, tout en restant dans ces réseaux dominants, opté pour le pluralisme politique (Sénégal). Je pense donc que combattre les gérontocraties en Afrique revient moins à combattre les hommes qui les incarnent à la tête des Etats africains qu’à déconstruire la nature des Etats africains. C’est cette nature despotique et conservatrice du pouvoir d’Etat colonial qui favorise la longévité au pouvoir de certains régimes et de leurs leaders. L’instrument le plus efficace pour briser cette dynamique me semble la jeunesse de la démographie africaine. Les révolutions burkinabé, tunisienne, égyptienne, algérienne et soudanaises montrent, malgré des destins différenciés, l’extrême jeunesse des manifestants. Cela est un espoir solide car c’est la preuve que les jeunes Africains croient de plus en plus en la démocratie. Et même si les révolutions n’ont toujours pas les résultats escomptés, je pense que la jeunesse de la vague démographique africaine va agir comme un tsunami sur les gérontocraties à condition que cette jeunesse prenne conscience de son rôle politique et qu’elle soit encadrée.

Backups…

Maintenant que j’ai parlé du fait que les Etats africains et ceux qui les dirigent restent contraints par les systèmes et les structures coloniales ayant organisé leur naissance, je reviens sur la responsabilité des Camerounais/Africains eux-mêmes. Je pense que les gérontocraties font aussi florès en Afrique parce que l’Afrique à une certaine représentation des personnes âgées et des jeunes. Un petit tour vers la littérature africaine ne peut omettre cette phrase d’Amadou Hampâté Bâ : « En Afrique, quand un vieillard meurt, c'est une bibliothèque qui brûle ». Même si les archives de Zanzibar et celles de Tombouctou montrent qu’ils y’avaient des écritures dans l’Afrique précoloniale, cette phrase d’Hampâté Bâ évoque, non seulement la tradition orale, mais aussi le fait que nos ancêtres et nos vieux en Afrique sont des sortes de bibliothèques ambulantes. Or, qui dit bibliothèque, dit lieu du savoir, de la sagesse, de la culture, de leur conservation et de leur transmission. Les ancêtres et les vieillards en Afrique sont donc, si je fais un emprunt au langage numérique, de sortes de Backup. C’est-à-dire des instances de sauvegarde de la mémoire des sociétés africaines, de leur sagesse et de leurs savoirs. Je pense, malgré plusieurs aspects positifs comme le respect dû aux aînés et les précieux conseils dont ils peuvent être les auteurs, que l’image que la culture africaine à des vieux construit un esprit antidémocratique en pensant que comme les vieux sont des backups, ce sont eux qui doivent être au pouvoir car ce sont eux qui savent, ont la sagesse et peuvent sauvegarder la continuité de l’Afrique. Cette représentation des vieux et des ancêtres installe une très grande verticalité des rapports entre jeunes et aînés en Afrique. Verticalité qui parfois interdit toute critique aussitôt assimilé à un crime de lèse-majesté dont la contrepartie est la malédiction du jeune. Je pense que la culture africaine doit éviter de demeurer dans un état de conscience où les vieux sont automatiquement synonymes de temples du savoir et de sagesse, étant donné que la vieillesse n’est pas toujours synonyme de sagesse, et qu’un Homme peut être biologiquement jeune mais socialement et politiquement adulte. Des vieux qui ont roulé leur bosse au point d’être des backups de la société africaine, peuvent constituer des sortes de conseils de sages dans les processus démocratiques africains où ils peuvent jouer un rôle politique de conciliateurs et de stabilisateurs semblable à celui que joue par exemple le roi de Belge en cas de conflit majeur au sein de la société. Je pense que si Biya n’avait plus été président, il aurait été la meilleure ressource du Cameroun parce que capable de parler avec autorité à toutes les parties respectueuses de son âge et de sa trajectoire politique. Autrement dit, les gérontocraties empêchent à nos hommes politiques âgés et ayant une très grande expérience de devenir de véritables backups pour la société.

Dans l’Afrique ancienne, nos très lointains aînés ont résolu le problème des gérontocraties de façon draconienne. Les sociétés en guerre éliminaient physiquement les vieillards devenus un poids et un handicap en situation de guerre. Cette dernière, continuation de la politique par d’autres moyens nous l’apprend Michel Foucault, est un moment où une société montre ses « muscles », sa vaillance et son caractère intrépide dans un combat pour son indépendance. De nombreux peuples africains anciens choisirent donc les géronticides, c’est-à-dire les assassinant de vieillards en temps de guerre parce que synonymes de faiblesses et de fardeaux. D’autres sociétés africaines anciennes, notamment les royaumes, recoururent, une fois le roi devenu grabataire, au régicide (euthanasie du roi) afin de préserver le faste du roi, de son pouvoir, de sa fonction et du royaume. Loin de moi l’idée de préconiser de telles mesures radiales de nos jours. Elles seraient « barbares » au XXI ème siècle et punissables par la loi. Ce rappel a pour but de montrer que la gérontocratie a déjà été un problème dans l’Afrique ancienne, tant pour le respect de la fonction de pouvoir, de l’image du pays que pour la vigueur du pouvoir en place. A titre d’exemple, Paul Biya, bel homme dans sa jeunesse, intelligent, ayant fait de hautes études et dirigé son pays pendant plus de trois décennies, a montré des signes de fatigue lors de son dernier voyage à Paris pour le sommet de la paix. Cela déteint négativement sur sa personne, sur le pays, le pouvoir et la fonction présidentielle au Cameroun. Les attaques contre son pouvoir ces dernier temps ne sont pas étrangères à cette situation car même dans la forêt, un gorille vieillissant perd de son pouvoir de domination et se fait contester la place de chef de la meute par de jeunes mâles en pleine croissance physique n’ayant plus peur de lui.

« J’ai donc je suis », performances phalliques et gérontocraties

Dans mon dernier ouvrage, « L’esprit du capitalisme ultime », publié en janvier 2018 aux Presses Universitaires de Louvain (PUL), je propose une lecture freudienne de la dictature subsaharienne en mettant en lien l’avoir et les performances phalliques des hommes au pouvoir et de pouvoir. Je pense que ce qu’on possède comme richesses dans les sociétés africaines et ce qu’on y peut avec son sexe (masculin) sont les deux principaux arguments dont la dialectique dans le temps du pouvoir subsaharien postcolonial explique sa dérive dictatoriale et gérontocratique.

Dans cet ouvrage, j’entends par commandement, l’ordre des hommes (pas des femmes) et des choses arrêtés par un acteur dominant au sein d’un territoire donné. Il peut s’observer au sein de la société africaine précoloniale par le biais de chefs traditionnels et des big men, au sein de l’État-colonial par la machinerie coloniale, et au sein de l’État africain moderne par l’autocrate, le « Bao » ou certains chefs traditionnels comme le lamido de Rey-Bouba au Cameroun. Dans ce dernier cas, un proto État fait alliance avec l’État camerounais moderne sur un contrat de réciprocité négative pour les populations : l’État moderne permet au proto État et surtout à son chef (le lamido) de garder tous ses privilèges y compris celui d’avoir des esclaves, et l’État camerounais moderne reçoit du lamido son soutien sans faille. Il y a donc au Cameroun, et certainement partout en Afrique subsaharienne, une collaboration parfois étroite entre les acteurs dominants de la société traditionnelle et les acteurs dominants de la société moderne. Or, une des caractéristiques de la société traditionnelle camerounaise est son caractère patriarcal définissant la stylistique du pouvoir et sa répartition dans les sphères domestique, reproductive, productive, communautaire et étatique. Cette stylistique machiste du pouvoir accorde une place centrale au « bâton de commandement », nom donné au pénis viril par plusieurs langues africaines dont celles du centre et du sud du Cameroun, localité d’origine de Paul Biya. En dehors de quelques exceptions, la femme camerounaise ne se réduit dans cette esthétique machiste et sexuée du pouvoir qu’à une preuve sociétale de la virilité de son mari suite au fait que le pouvoir sensuel de son corps permet son érection. D’où un virilisme tellement synonyme de pouvoir qu’il soumet les primo-arrivants au sein des hautes sphères de l’État camerounais à un bizutage spécial : se faire sodomiser par les plus anciens. Le fait que ce bizutage particulier relève du domaine de la rumeur depuis trente-sept ans qui n’ont pas réussi à ébranler les faits qu’il relate, montre combien l’imaginaire du peuple camerounais est marqué par le pénis viril comme argument organique assurant le commandement des hommes et des choses par certains hommes. C’est lui la source naturelle du pouvoir machiste qui les met dans un certain ordre.

La société camerounaise connaît cependant deux évolutions sous contrainte des kystes de modernité et de l’instauration du « j’ai donc je suis » par le « Biyaïsme effectif » comme valeur sociétale suprême. Traditionnellement, la renommée, l’honnêteté, le respect de la parole donnée et l’intégrité s’ajoutent à la virilité du pénis pour déterminer le commandement des hommes et des choses. Cela n’est plus le cas, ni dans la société camerounaise contemporaine, ni au sein du « Biyaïsme effectif » où ces valeurs ont été évincées par la richesse matérielle. Dès lors, si sans pénis viril, et sans richesses matérielles, on ne dispose d’aucun argument de commandement, on peut en avoir, soit en présence de l’un de ces deux attributs, soit en présence simultanée des deux. Par ailleurs, les mêmes bantous assimilent aussi l’homme fort âgé (Paul Biya a 87 ans) à un bébé pour signaler le fait que le vieux et le bébé ont la même forme de dépendance par rapport aux objets et aux autres. Autant votre bébé ne peut avoir son bain que par l’aide de quelqu’un, et ne peut s’endormir que si son jouet le plus aimé est à ses côtés, autant le vieux président ne se sent en sécurité qu’avec le pouvoir qu’il garde, parce que devenu son fétiche. Cela implique que lorsque le pénis perd de sa virilité avec l’âge, on ne tient plus, malgré le viagra, le commandement que par ses biens matériels, seuls capables de permettre au vieux de sortir de la dépendance et de continuer à recevoir de l’obéissance de son entourage. Avoir ces biens matériels n’est possible que si on garde le pouvoir, source en Afrique de leur accumulation. Aussi, l’hypothèse que nous émettons dans le cas du Cameroun et de bien d’autres autocraties subsahariennes, se décline en une lecture freudienne de la dictature subsaharienne sur base à la fois d’une culture bantoue considérant le pénis viril comme source du pouvoir, et d’un État néo-patrimonial où l’accumulation matérielle, grâce à la détention du pouvoir politique, est l’autre argument du commandement ainsi que l’indique le tableau 2 ci-après :
 

La distribution (A) est celle qui entraîne l’intensité du commandement la plus forte. Elle est suivie des distributions (B) et (C) qui, quoiqu’égales parce qu’assurant chacune un seul argument de commandement à l’acteur (accumulation matérielle ou pénis viril) sont aussi différentes (≠) car le pénis viril n’est pas équivalent à l’accumulation matérielle sur le plan du commandement. Enfin, la distribution (D) est celle qui donne l’intensité de commandement la plus faible. En conséquence, notre hypothèse se décline comme suit :

La démocratie en mode kit ne peut construire une démocratie réelle en Afrique subsaharienne, étant donné qu’en général, l’ivresse du pouvoir à vie peut augmenter avec l’âge car le pouvoir politique reste le seul moyen de garder le commandement par accumulation matérielle lorsque les performances phalliques déclinent. Les cas Biya, Omar Bongo, Mobutu, Eyadema, Robert Mugabe, Abdoulaye Wade peuvent, entre autres facteurs, expliquer cette ivresse du pouvoir politique à vie en corrélation positive avec l’âge. Cela ne veut pas dire, étant donné que le pénis viril sans biens matériels donne moins de pouvoir que le pénis viril avec biens matériels, que des Présidents moins âgés comme Joseph Kabila (RDC) ou Faure Eyadema (Togo), ne manipulent pas aussi la Constitution afin de garder ces deux arguments au lieu d’un seul. C’est même ce qu’on observe car lorsqu’un jeune Africain accède au pouvoir (cas de la RDC et du Togo), il est dans la distribution des arguments de commandement correspondant à la situation (B). Or, dans la mesure où l’objectif du pouvoir politique en Afrique subsaharienne

est de satisfaire sa libido accumulatrice, le jeune Président africain veut passer à la distribution (A). D’où sa forte propension à conserver ce pouvoir politique et à y passer beaucoup de temps en se dirigeant ainsi inéluctablement vers la distribution (C). C’est le point de non-retour possible vers A car le temps qui a annulé un argument de commandement (le pénis viril) ne peut plus autoriser son commandement que par la perpétuité du pouvoir politique qui assure le dernier argument de commandement (l’accumulation matérielle) : l’autocratie gérontocratique s’installe ainsi même si le kit démocratie est complètement monté.

Donc, de nombreux Présidents africains très âgés semblent tomber dans une addiction au pouvoir à vie d’autant plus forte qu’ils sont plus vieux. Cette addiction au pouvoir augmente avec l’âge parce que, d’après mon analyse, le pouvoir devient le substitut aux fonctions phalliques déclinantes. L’accumulation libidinale comme moteur du « Biyaïsme » et du capitalisme ultime érige donc le « j’ai donc je suis » en seule subjectivité capable de préserver le pouvoir même après la perte de la puissance du corps de maître. Comme, sans « bâton de commandement », seul le pouvoir politique permet au vieux président de se faire obéir, d’accumuler matériellement et de garder ses femmes, alors il le garde comme un enfant serre son jouet contre lui quand il dort. Puisque le vieillissement est inévitable et qu’il advient inéluctablement avec la baisse de nos performances phalliques, la jouissance d’avoir le pouvoir et de bénéficier des avantages inhérents, remplace la jouissance sexuelle d’une érection déclinante avec l’âge. La libido accumulatrice et la libido sexuelle se rejoignent ainsi pour faire du médiocre un éjaculateur précoce dans l’application des principes démocratiques. Cette éjaculation précoce se traduit par des constitutions liquides, c'est-à-dire qui prennent le sens que le Président en place veut donner au reste de ses jours sur terre. La libido accumulatrice installée par le « Biyaïsme effectif » comme objectif de l’élite dirigeante, est donc une culture politique d’autant plus développée que ceux qui nous gouvernent sont fort âgés et comptent sur leur accumulation matérielle comme assurance vie de leur commandement. « Le Bâton de commandement », fondement naturel du pouvoir machiste et sexué en Afrique noire, semble donc aussi une pièce centrale du fonctionnement des autocraties subsahariennes où, jusqu’à preuve du contraire, des filles n’ont pas encore succédé à leurs pères dans les transmissions dynastiques du pouvoir politique observées au Togo, au Gabon et en RDC.

Que dit la démocratie des jeunes et des vieux par rapport au pouvoir ?

A mon humble avis, la culture de plusieurs Africains en général et Camerounais en particulier est assez basique pour ne pas dire médiocre à la fois sur la démocratie comme norme et comme mode de gouvernance, et sur les démocraties comme expériences politiques historiques diversifiées dans leur contenu et leur mise en place. Je n’ai pas l’intention de solder ces difficultés car cela demanderait un cours d’histoire des démocraties de plusieurs heures. Je ne peux que rappeler ce qui suit : la démocratie comme norme, une fois que vous avez l’âge de la majorité politique, ne discrimine ni les vieux au sens biologique, ni les jeune au sens biologique d’accéder au pouvoir. Une démocratie peut dont bien installer un géronte au pouvoir si celui-ci a été plébiscité par son peuple. La promesse démocratique est subversive en ceci qu’elle dit que le pouvoir ne sera plus exercé uniquement par les bénis des dieux (les charismatiques), les éduqués (capital humain) et ceux qui sont bien nés (familles riches et prestigieuses) mais aussi par le citoyen lambda même ignorant, non expert, jeunes ou vieux à condition que le peuple lui donne le pouvoir de le représenter. Par conséquent, fixer un âge maximum limite pour être candidat à une présidentielle est antidémocratique si on tient compte du caractère subversif de la promesse démocratique ci-dessus signalée. Cependant, comme les démocraties au sens de pratiques politiques historiques sont aussi des construits culturels incarnés, une société peut, démocratiquement, fixer un âge limite pour être candidat à une élection présidentielle. Cela serait démocratique si une telle loi est adoptée de façon démocratique. Musévéni le président ougandais tente en ce moment de faire une révision constitutionnelle car la Constitution Ougandaise fixe cet âge limite à 75 ans. Il va donc sans dire que l’important est moins de fixer un âge limite d’une candidature à la présidentielle que de respecter les constitutions africaines. J’analyse dans mon livre ce que j’appelle l’IRC (l’Inflation de la révision Constitutionnelle) comme une des causes des gérontocraties africaines étant donné qu’aucun président africain n’aurait atteint un tel âge au pouvoir si les Constitutions avaient été respectées, notamment la limitation du nombre de mandats à la tête des Etats. Ceux qui remplaceront les gérontes actuels, le pouvoir étant quelque chose qui corrompt, vont-ils réviser à nouveau les constitutions africaines pour réintroduire cette limitation du nombre de mandats à la tête des Etats africains ? Les comportements des nouveaux venus comme ADO en Côte d’ivoire ne sont pas rassurants. Construire une démocratie dépend donc aussi beaucoup de la croyance des dirigeants en la démocratie. Limiter à deux aux maximum le nombre de mandats à la tête des Etats africains et respecter cette limitation peut réduire drastiquement les gérontocraties en Afrique.

Thierry Amougou, Economiste, Pr. Université Catholique de Louvain (UCL), Fondateur et Animateur du CRESPOL, Cercle de Réflexions Economiques Sociales et Politiques. Dernier ouvrage oublié, suivre le lien https://pul.uclouvain.be/book/?GCOI=29303100452120 

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