La jeune fille en détresse à Mayo-Darlé
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Exclue du système éducatif, soumise au mariage précoce et utilisée pour des rites de magie noire, cette catégorie sociale inquiète énormément les associations qui appellent à une mobilisation pour changer la donne.

« Une fille seulement sur dix va à l’école ici. Elles sont contraintes d’aller en mariage à l’âge de 12 ans. Ces dernières années, les divorces dus aux mariages précoces ont presque doublé. Nos jeunes filles vivent un calvaire ». Confession de Mohamadou Chouahibou, chef traditionnel installé dans le quartier Gabadi, dans l’arrondissement de Mayo-Darlé à la frontière du Nigeria. Ici, on traverse la frontière à pieds pour rejoindre le géant voisin. Et beaucoup pensent que tous les rites traditionnels auxquels sont soumises les jeunes filles vierges ont été importés du Nigeria.

Santé

Mayo-Darlé le 5 juillet 2019. Quatre jeunes filles avec des bébés attachés au dos sortent d’une salle de consultation au centre médical d’arrondissement de la localité, le nom donné au seul centre de santé public qu’on retrouve ici. Âgées entre 13 et 16 ans, elles sont en fait des femmes divorcées. A leurs jeunes âges, elles ont été chassées de leurs ménages pour différentes raisons par leurs époux. Abandonnées à elles-mêmes, elles se baladent à longueur de journée demandant de quoi manger pour leurs enfants, issus des mariages ratés. L’une d’elles du nom de Aminata a du mal à contenir ses larmes. « Je n’ai jamais été à l’école. Nous sommes obligées de faire les champs mais les récoltes sont mauvaises cette année ». Ici, les jeunes filles ne vont pas à l’école. Le portail des camerounais de Belgique. Elles doivent accompagner leurs mères dans les champs et s’occuper des tâches familiales. Un peu plus loin, nous avons rencontré Alima. Âgée seulement de 15 ans, elle est divorcée et enceinte. Assise au seuil de la porte d’une vielle maison vétuste, la jeune fille a été chassée par son mari de 75 ans. Elle était la quatrième épouse. «Je suis partie du mariage avec deux enfants et je suis enceinte. Ici il n’y a pas d’hôpitaux spécialisés dans la prise en charge des femmes enceintes. Sans argent je suis abattue. Je me débrouille chez les marabouts », se confie-t-elle attristée. Ici, la femme divorcée est considérée comme une « mauvaise femme, une femme maudite », elle est rejetée et non respectée par la société.

Mayo-Darlé est un arrondissement du département du Mayo-Banyo, [région de l’Adamaoua], limitrophe au Nigeria. Les populations vivent dans une pauvreté extrême. Le sol n’étant pas très fertile, beaucoup sont obligées de faire de l’élevage. Les boeufs transitent entre les deux pays, les hommes, pour la plupart des nomades, sont obligés de quitter leurs maisons et parcourir d’énormes distances à la recherche des espaces verts pour leurs bêtes. L’importance est accordée uniquement aux enfants de sexe masculin, les jeunes filles sont « sacrifiées ». « Pour la dot, on demande beaucoup de boeufs. Donc quand ta fille va en mariage, tu as les boeufs pour agrandir ton élevage », se confie un riverain. Des indiscrétions ici affirment que des personnes âgées viennent même épouser des filles lorsqu’elles ont encore deux ans. Ils donnent des boeufs et attendent que la fille atteigne l’âge de 13 ans pour venir la chercher. La jeune fille est donc un « objet » d’enrichissement.

Deux filles sur dix à l’école

La petite Jasmine âgée de neuf ans que nous avons rencontrée au marché central de Mayo-Darlé, se promène avec un plateau de beignets sur la tête à longueur de journée. Elle affirme qu’elle ne va pas à l’école parce que ses parents n’arrivent pas à payer les 2000Fcfa, frais de l’Ape, exigés dans son école. « Mes parents disent qu’ils n’ont pas cet argent. Le commerce ne marche pas. Ma maman m’envoie vendre pour acheter les vêtements aux enfants », indique-t-elle. A Mayo-Darlé, la tradition oblige la jeune fille à aller en mariage à partir de l’âge de 10 ans. L’avenir de la femme ici se trouve dans le mariage. L’école n’est pas une priorité pour elle puisque ce sont les enfants garçons qu’on envoie à l’école.

Madame Françoise Y. est la directrice de l’école maternelle de Mayo Darlé. Elle coordonne depuis plus de 10 ans un projet sur l’éducation de la jeune fille. Pour elle, la situation devient alarmante, parce que dans le Grand-nord c’est, devenu une tradition. La jeune fille est reléguée au second plan. Les parents les envoient en mariage très tôt pour s’enrichir et selon eux, améliorer les conditions de vie de ces dernières. L'info claire et nette. « Je crie au désert depuis de nombreuses années. Personne ne m’écoute. Ici je suis l’ennemi des chefs traditionnels et marabouts qui entretiennent cette situation de précarité de la jeune fille », affirme la directrice. Toutefois, depuis trois ans, l’appel au changement est devenu plus sérieux avec l’arrivée de Dadda Fadimatou comme premier adjoint au maire de Mayo-Darlé, également inspecteur des régies financières des impôts à Yaoundé. Cette intellectuelle a décidé de changer la donne.

Changement

Le Réseau des associations féminines de l’arrondissement de Mayo-Darlé (Rafamad) a été créé par Dadda Fadimatou. Les actions ont pour but d’alerter les parents sur les conséquences de ces phénomènes. « Elle a décidé de mener des actions concrètes pour venir en aide à cette couche défavorisée. Tout d’abord les aider à aller à l’école. Depuis trois ans, le réseau a ciblé plus de 100 élèves dans les 36 écoles que compte l’arrondissement. Dadda Fadimatou paye les frais de scolarité de ces enfants. En fait, elle a choisi les cinq premiers de chaque classe. Elle paye les frais de scolarité de la Sil au Cm2 aux jeunes filles », affirme les membres de l’association. En plus de cela, le réseau paye les frais d’examen et d’entrée en 6e de toutes les jeunes filles candidates au certificat d’étude primaire (Cep) et celles de class 6 pour les élèves de la section anglophone. Les frais qui s’élèvent à 10 000Fcfa par élève sont payés par Dadda Fadimatou. « La première année en 2016, nous avons payé les frais d’examens de 50 jeunes filles, en 2017 le nombre est passé à 102 jeunes filles et l’année dernière nous avons payé les frais d’examens de 183 jeunes filles. Nous offrons aussi les kits scolaires. Nous comptons aller plus loin pour vraiment aider les jeunes filles à aller à l’école et d’avoir un avenir après l’école. Cette année 98% de jeunes filles ont réussi le Bepc. Je suis très satisfaite », affirme-t-elle.

Autonomisation de la jeune fille

L’adjoint au maire ne compte pas s’arrêter là. Pour rendre la jeune fille autonome et les préparer aux petits métiers, les jeunes filles de Mayo-Darlé suivent des formations en couture et secrétariat. Le réseau les encourage de plus en plus à se constituer en Gic ou association pour faire de l’agriculture sur des grandes surfaces et aller elles-mêmes les revendre sans attendre toujours que ce soient leurs époux qui le fassent. Les élites qui se trouvent dans les grandes villes cherchent des projets dans les ministères qui peuvent améliorer la situation de la jeune fille. « Ce calvaire a trop duré. La jeune fille de Mayo-Darlé doit se libérer de ces chaines. Les projets avancent plutôt bien », se rassure l’inspecteur des impôts, devenue sauveur de toute une génération.

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