SOUVENIR DES ANNÉES 1970 : FÊTE DU 20 MAI TUMULTUEUSE A BERTOUA EN 1974 ….
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CAMEROUN :: SOUVENIR DES ANNÉES 1970 : FÊTE DU 20 MAI TUMULTUEUSE A BERTOUA EN 1974 …. :: CAMEROON

En classe de seconde, je m’étais inscrit en série « c », car je rêvais d’être ingénieur, pilote d’avion, ou pharmacien. Malheureusement, dans notre classe, nous n’avions eu de professeur de mathématiques … qu’au troisième trimestre. J’avais été malgré tout été admis en classe de première « c » avec un tableau d’honneur pour mes bons résultats. Erreur monumentale de ma part, il ne m’était guère possible de combler le retard accumulé en mathématique l’année d’avant. C’est ainsi que tout naturellement, je m’étais étalé au probatoire « c ». Du coup, j’ai été dégoûté des sciences. En plus, j’ai été renvoyé du Lycée Leclerc pour faible moyenne. Les Blancs ne rigolaient pas. J’avais en effet obtenu un hasardeux 9 de moyenne, c’était insuffisant pour eux.

Mes parents se sont proposé de m’inscrire au Collège Vogt. Refus catégorique de ma part, car à l’époque, cet établissement scolaire se trouvait en plein village, les élèves internes y étaient réveillés par le chant du coq. Voilà comment mon père décide par conséquent de m’envoyer à Bertoua, où son ami, Essono Edou Daniel, est proviseur. A la fin du mois de septembre 1973, il était parti m’y déposer avec sa voiture, car les classes commençaient en ce temps-là en octobre.

Me voilà à Bertoua. Cette ville, en 1973, ne ressemblait à rien du tout. C’était simplement un vaste carrefour, où passaient les camions à destination du Tchad et de Centrafrique. Elle baignait dans une indescriptible poussière. Elle était à peine éclairée. Le lycée se trouvait au village, à la sortie de la ville en direction du Tchad et de la Centrafrique. Il n’y avait pas d’eau courante. La poste manquait régulièrement de timbres. Inutile de recevoir un mandat postal, il n’allait pas être payé, car il n’y avait pas non plus de l’argent à la poste. Bertoua à l’époque, n’était rien d’autre qu’un très grand village que les quelques échoppes construites par les commerçants grecs faisaient vaguement ressembler à une ville. Il y avait des herbes partout. Pour tout dire, Bertoua était attardé par rapport à de nombreuses autres villes du Cameroun qui elles-mêmes déjà n’étaient pas fameuses.

La plupart des Collèges d’Enseignement Général, C.E.G., venaient d’être transformés en lycées. C’est ainsi que le C.E.G. de Bertoua était devenu le Lycée de Bertoua. (…)

De même, j’ai connu la foudre que l’on envoie. Une nuit, une terrible pluie s’était abattue sur la ville, cassant même des branches d’arbres du lycée. Quand le jour s’était levé, et que les externes s’étaient mis à arriver en provenance du centre-ville, ils sont venus nous rapporter que la foudre avait tué une personne dans son lit, en perçant un gros trou dans sa toiture et sans atteindre quiconque d’autre. Dès que cela avait été possible, j’ai fait partie des élèves internes qui avaient couru pour aller voir de leurs yeux cette maison à la toiture calcinée uniquement au-dessus d’un lit, dans une chambre à coucher.

Enfin, à Bertoua, il y avait énormément de serpents. Il y en avait partout, de toutes les dimensions et de toutes les couleurs. C’est un vrai miracle qu’aucun élève n’ait été mordu par l’un d’eux.

Au Lycée de Bertoua, le corps enseignant était déjà plus mixte qu’au Lycée Leclerc. Il y avait en effet, en plus des coopérants français, de jeunes professeurs camerounais sortis de l’Ecole Normale Supérieure de Yaoundé. Le gouvernement avait en effet commencé à les affecter dans les C.E.G, puis lycées des départements, laissant Leclerc et Joss aux mains des Français. Comme conséquence probablement de cette politique, au Lycée de Bertoua, je me suis retrouvé dans une salle de classe de plus de 70 élèves, ce qui était totalement impossible à Leclerc, où nous n’étions qu’à 35 au maximum par classe. De ce fait, il y avait toujours des élèves qui vadrouillaient dans la cour du lycée.

A Bertoua, je m’étais inscrit cette fois-ci en première D. Mais, cela a été pareil, j’étais dégoûté à jamais des sciences, d’autant que depuis l’école primaire, j’étais toujours bien classé en rédaction, si je n’obtenais pas le premier prix, c’était le second, ou, au trop, le premier accessit. J’ai donc passé une année entière à lire des Jeunes Afrique et des Africasia, séchant systématiquement les cours, fort de mon statut de redoublant. Je partais acheter mes journaux dans le centre-ville et les ramenais au dortoir où tous mes camarades les lisaient en se les disputant.

Le seul cours que je ne séchais pas, était celui d’histoire et de géographie. Le professeur de celui-ci, un Camerounais, Monsieur Montcheu, s’étant aperçu que j’étais passionné d’histoire était devenu mon ami. Un jour, il m’avait prêté un livre sur la mort de Lumumba Patrice. Il m’avait dit : « je ne prête jamais mes livres à mes élèves, mais, à toi, je le fais, parce que je vois que tu es très cultivé, et que ce

livre t’apportera beaucoup… » Il avait vu juste. Ce livre m’avait ouvert l’esprit. C’était le premier véritable livre politique que je lisais. Je l’avais relu plusieurs fois avant de le lui remettre. En le reprenant, il m’avait grandement félicité : « je craignais que tu ne l’abîmes, mais voici que tu me le rends en parfait état, c’est très bien, toi au moins tu sais la valeur d’un livre…» Jusqu’aujourd’hui quand nous nous rencontrons, il se souvient encore de moi.

L’orchestre les « Big soul ».

A Bertoua, des copains, au nombre desquels Angoula Angoula Joseph, m’ont sollicité pour former un orchestre, ainsi qu’il en existait dans pratiquement tous les établissements scolaires du Cameroun en ce temps-là. J’ai été d’accord. Nous nous sommes mis à répéter des morceaux de Fela Anikulapo Kuti, de Sonny Okesun, de James Brown, de Wilson Pickett Clearance Clearwater Revival, etc., pour nous constituer un répertoire. Nous avions choisi comme dénomination pour notre groupe : « Les Big Soul ». Angoula Angoula Joseph était au chant et en même temps le chef d’orchestre, Onana (j’ai oublié son prénom), était à la guitare solo, moi j’étais à la guitare d’accompagnement, Monefong (j’ai également oublié son prénom) était à la guitare basse, Eya’ane Banister était à la batterie. Nous avions un second batteur, un plus jeune élève que nous Sabal Lécco Félix, l’homonyme du grand personnage de l’Etat. Au lycée il y avait également un second orchestre dont j’ai malheureusement oublié le nom. Nos deux groupes musicaux animaient nos soirées dansantes. Je crois qu’Angoula Joseph devrait encore détenir des photos de cet orchestre. En tout cas, lui il a continué dans la musique, et sommes toujours copains.

La première : persécution suite à la publication d’un article dans le journal du lycée.

La confection du journal du lycée m’avait été confiée. Et un camarade à moi avait écrit un article sur la crise du pétrole qui faisait rage à l’époque, et que j’ai publié. Une fois que nous nous sommes mis à distribuer le journal ronéotypé à travers la ville, deux jours plus tard, un pick-up de la gendarmerie est venu procéder à l’arrestation de ce camarade. Par bonheur, n’étant pas interne, il ne se trouvait pas encore au lycée. Il n’y était pas encore arrivé. Rapidement, nous l’avions informé de la situation. Et comme nous

nous trouvions déjà à la fin du premier trimestre, il a fui de nuit Bertoua, et n’est revenu qu’en janvier, après s’être assuré qu’on ne le recherchait plus. J’avais donc découvert, par moi-même, la réalité de la dictature sous Ahidjo. Les Camerounais étaient interdits de parler de politique, sauf pour le glorifier. Qu’était-ce parler de la hausse du prix du pétrole que venait de décider l’OPEP ? Rien du tout. Et pourtant, cela était strictement interdit, et quiconque le faisait, encourait une lourde peine de prison de plusieurs années pour atteinte à l’ordre public.

La seconde : candidat à la Présidence des élèves du lycée.

A la rentrée scolaire 1974-1975, il fallait élire un président pour la coopérative du lycée. Je m’étais porté candidat. Il y avait face à moi un autre candidat. Nous nous sommes par conséquent lancés dans la campagne électorale. C’était une expérience inédite pour moi. J’avais confectionné des tracts, dans lesquels je présentais mes projets pour les élèves du lycée. Mon adversaire en avait été pris au dépourvu. Il ne savait comment riposter. J’étais devenu une vedette au lycée, tout le monde m’appelait « président ». J’avais remporté le scrutin avant même qu’il ne soit ouvert. Malheureusement, un mois après la rentrée scolaire, mon père m’avait réinscrit au Lycée Leclerc où Monsieur Essono Edou venait d’être nommé tout premier proviseur noir. J’ai donc dû abandonner la campagne électorale avant le vote. Mais, j’en avais gardé un souvenir impérissable, tellement je m’étais retrouvé adulé pratiquement par tous les élèves du lycée.

La troisième : victoire sur un Préfet « chiant ».

Pour la fête du 20 mai 1974, la seconde après le referendum de 1972, le lycée avait décidé d’organiser des manifestations culturelles, clôturées par une soirée dansante à la maison du parti (UNC) de Bertoua. Mais pour celle-ci, dès lors qu’elle se déroulait dans le centre-ville hors du lycée, il fallait recueillir l’autorisation, non pas du Sous-Préfet comme aujourd’hui, mais du Préfet lui-même. Et ce dernier rechignait à nous l’accorder. Il fallait aller le rencontrer. Le proviseur, M. Essono Edou Daniel, m’avait fait venir dans son bureau : « fiston, c’est toi qui me parais le plus dégourdi de tous les membres du comité

d’organisation de la fête ; va rencontrer le Préfet et argumente pour qu’il vous autorise à occuper la salle du parti le 20 mai au soir jusqu’au matin… ».

Le lendemain matin, je me suis rendu à la Préfecture. Je me suis présenté au secrétariat du Préfet. Il m’a été demandé la raison pour laquelle je désirais le rencontrer. J’ai répondu que j’étais l’émissaire du Proviseur du lycée. La secrétaire s’est levée. Elle s’est engouffrée dans le bureau du Préfet. Peu de temps après, elle en est ressorti et m’a demandé d’entrer. Je me suis exécuté. J’ai trouvé le Préfet avec son garde-corps. Dès que j’ai pénétré dans le bureau, ce dernier s’est mis au garde à vous à côté de lui. Jusqu’aujourd’hui, je n’en ai toujours pas compris la raison. Je continue à penser que c’était pour tenter d’intimider le pauvre petit élève de la classe de première que j’étais. Le Préfet m’a demandé de m’asseoir. C’était un monsieur que je connaissais, et chez qui j’avais déjeuné avec mon père à midi quand celui-ci était venu me déposer au lycée au début du second trimestre. Par ailleurs, il se souvenait bien de moi, car il me l’avait rappelé. « Qu’est-ce qu’il y a jeune homme ? » Je lui ai aussitôt expliqué la raison de ma visite. Nous désirions occuper la salle de la permanence du parti le soir du 20 mai jusqu’au matin. Dès que je m’étais tu, il s’était emporté. « Quel est ce lycée où les élèves passent le clair de leur temps à faire la fête ? Hein ? Quand apprenez-vous ? Vous êtes ici à Bertoua pour étudier, et non pour festoyer à la moindre occasion ». Bref, refus catégorique de sa part. Je me suis levé, lui ai dit au revoir, et m’en suis allé. A vrai dire, j’étais véritablement sonné par sa réponse. Mais, une fois dans la rue, je ne me suis pas avoué vaincu. Je me suis dit : « la maison du parti n’appartient pas à ce connard de Préfet, mais plutôt au Président de la section départementale de l’UNC. Je m’en vais le rencontrer. Ce n’est pas un local de la Préfecture ». J’ai tourné les talons, et me suis dirigé à la Mairie, où Sembé Lecco, le frère de Sabal Lecco, était à la fois Maire et Président de la Section du parti. Il m’a reçu très gentiment. Il m’a aussitôt accordé la salle, en me suggérant de lui déposer malgré tout une demande écrite et une autre au secrétariat du Préfet. Et que le 20 au soir, que les élèves se rendent à la salle du parti, il l’ouvrira, que cela plaise au Préfet ou pas. Je suis sorti ragaillardi de son bureau et suis retourné au pas de course rendre compte de mes négociations au Proviseur. Ce dernier a éclaté de rire, puis il a dit : « qu’il ne m’aime pas (le Préfet), cela peut se comprendre, mais pourquoi transposer son animosité à mon endroit sur mes élèves ? Cela n’a pas de sens. Eh bien, ainsi que l’a dit le Maire, le 20 au soir,partez-vous placer devant la salle, et on verra ce qui va se passer ». Je suis sorti ragaillardi de nouveau du bureau du Proviseur. J’en ai tout de suite rendu compte aux membres du bureau du comité d’organisation de la fête. Ils étaient aux anges. Notre programme était le suivant : 1/- rencontres sportives le 19 mai au lycée ; 2/- soirée théâtrale au lycée dans la soirée ; 3/- défilé le 20 mai en même temps que tous les élèves de la ville ; 4/- concert de musique payant au Cinéma le Djerem à 14h dans le centre-ville, avec « Les Big Soul » et l’autre groupe ; 5/-19h, bal jusqu’au matin à la salle de la permanence du parti.

Notre programme s’est déroulé normalement jusqu’au 20 mai au soir, même si le concert de musique avait été un fiasco qui nous avait même laissé des dettes : la salle à payer, les instruments de musique loués à crédit. La salle était vide … Vers 18h, après de laborieuses négociations, nous avions malgré tout repris les instruments de musique auprès de l’orchestre de la boîte de nuit de la ville, «Bouksou », et nous étions rendus devant la salle du parti. Nous y avions trouvé déjà au moins une centaine d’élèves du lycée qui attendaient fébrilement l’ouverture de ses portes. Vers 18h 30, ils étaient déjà au moins le triple. A 19h, ils barraient déjà la route.

A 18h 30, je m’en souviens très bien, le Préfet est passé lui-même au volant de sa 404 Peugeot et a ralenti. Il s’est même presqu’arrêté, puis a poursuivi sa route. Le Proviseur aussi est passé au volant de sa voiture, et nous a lancé un coup d’œil à la fois discret et taquin. Je me souviens qu’il était vêtu d’une gandoura toute blanche, mais ne portait pas de chechia à la tête. Peu de temps après, vers 18h 45, le Maire est arrivé. Nous nous sommes précipités vers lui : « mes enfants, le Préfet vous a-t-il délivré l’autorisation de manifestation ? » Réponse négative. « Qu’est-ce qu’il est chiant ce type ; en tout cas, à 19h, moi je vous ouvre les portes, qu’il vienne les fermer s’il le peut ». 19h 00. Le Maire a ouvert la salle. Nous nous y sommes rués sous des cris de joie et un tonnerre d’applaudissements. Nous avons rapidement installé nos instruments de musique sur le podium, et nous, « Les Big Soul », avons joué en premier pendant une heure de temps. Le second groupe a enchaîné. Nous avons alterné ainsi jusqu’à pratiquement 8h du matin le 21 mai. Ce fut mon tout premier combat politique victorieux…

Quelques noms de mes camarades du lycée de Bertoua.

Angoula Angoula Joseph, Eya’an Banister, Monefong, Onana, Ahanda Paul, Sam Mbendé, Bill Loko, Basseck ba Kobio, Ngouadjio, Owona Stanislas, Tsala Dominique, Kamte Michel, Bouké Hilaire, Ngo’o Mendo Jean Armand, Mfofumié Samuel, Mboudou Côme, Siadé Mbong, Kengne Albert, Bihina Pepsi, etc.

Table

  • Avant-propos
  • Ma naissance, mes parents et mon enfance
  • Souvenirs de gamin à Douala au temps du maquis
  • Premier séjour en France en 1961
  • Premier retour au Cameroun en 1964
  • Bref séjour à Dschang
  • Retour à Yaoundé
  • La Coupe des Tropiques
  • Bagarre électorale monstre à Mvog-Mbi et répression sauvage
  • La visite d’Habib Bourguiba à Yaoundé
  • La visite d’Heinrich Lübke et la pose de la 1ère pierre du Transcamerounais

Découverte du Cameroun Occidental

Le drame du stade de l’hippodrome en 1965

Les 1er jeux Africains à Brazzaville : Joseph Bessala héros national

L’élection présidentielle de 1965 : Ahidjo et Foncha candidats uniques

L’entrée au Lycée Leclerc en 1966

Maladie et dernières têtes coupées de maquisards

Ahidjo contre le mouvement « Hippie » et le salut des « Black Panther »

Transfert au Lycée Joss : élèves très politisés

Découverte de la littérature nègre

Arrestation musclée d’un voisin correspondant d’Abel Eyinga

L’arrivée d’Ekambi Brillant sur la scène musicale, puis de Francis Bebey

Les vacances au village

La vie dans les campagnes

« Cameroon Airlines »

La 8ème CAN au Cameroun

Referendum du 20 mai 1972

Elève au Lycée de Bertoua

Mes premières expériences politiques

Retour au Lycée Leclerc et Baccalauréat

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