Thierry Etoundi  : Comment j’ai été enlevé par la police
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Les hommes de Martin Mbarga Nguele ont séquestré 200 jeunes jeudi dernier. J’ai eu le malheur d’en faire partie.

Province ! Nom attribué à l’immeuble de trois niveaux abritant les services du gouverneur de la région du Centre et de la préfecture du Mfoundi. Le rond-point en face de cet édifice porte également ce nom. La Communauté urbaine de la ville de Yaoundé a aménagé à ce niveau des bancs publics. Le jeudi 28 juillet 2016, alors que le soleil est au zénith, ces bancs ne sont pas occupés. Chose banale, pourtant un signe important. 12h 20, sortant des services du ministère de la Jeunesse et de l’éducation civique (minjec), animé par une seule intention : faire mon travail en ces lieux, un reportage lié à l’affluence due aux nombreux concours en cours. En longeant la clôture de la préfecture, un individu en civil me passe la main à la taille et me dit posément, «pour votre bien, suivez-moi sans résistance».

Comme tout le monde, je souhaitais connaitre les raisons de cette injonction inopinée. À quelques pas de nous, un jeune homme se fait pratiquement étrangler par un policier en tenue camouflé. Sans doute l’infortuné a refusé d’obtempérer. Sans connaitre les raisons de cette séquestration à ciel ouvert, je n’oppose aucune résistance. Les policiers sont une dizaine en tenues et une vingtaine en civil. Toutes les personnes interpellées sont conduites vers des policiers bien armés formant un petit cercle. Certaines personnes n’ont plus leurs cartes d’identité nationale (Cni) car un policier les a soigneusement rangées dans l’une de ses poches.

Les raisons de la présence des personnes appréhendées ces lieux sont multiples. Kevin T, comme environ pour une cinquantaine de jeunes sont là pour la certification de documents relatifs à un concours d’entrée à la Fonction publique. Deux jeunes hommes sont venus prendre les photos 4x4 pour des passeports. Un entrepreneur venant à pied du rond-point Nlongkak, se rendait au niveau de la sous-préfecture de Yaoundé 1er afin de trouver un taxi pour le quartier Efoulan  où il suit un chantier. Sortant des services de la Délégation générale à la sûreté nationale (Dgsn), une quinquagénaire se fait aussi épingler. Apollinaire m. attend sa mère, assis sur un banc public, qui doit lui remettre les frais de dossier, se fait harponner. Voilà un échantillon de raisons qu’avaient les individus appréhendés par les éléments du groupement spécial des opérations (gso) à la Province jeudi dernier à Yaoundé.

Séquestration

Après 24 minutes d’attente, titanesque de par sa morphologie, un policier en civil sur un ton autoritaire lance : «tout le monde dans le camion, montez dans le camion! Les réponses à vos préoccupations c’est devant ». Une fois dans le camion moins aéré qu’une boite de sardines, les policiers ferment hermétiquement la bâche et commencent à tourner en rond avant de nous conduire pour ce qui représente pour nous une destination inconnue. Arrivés à destination, nous faisons tous le constat que nous sommes à l’entrée du commissariat central n°1 de Yaoundé. Juste à l’entrée, il a été établi une haie de sécurité dans laquelle nous devions prendre place à même le sol. Nous étions observés par le public comme des bêtes de foire. Un interpellé refuse de s’assoir car dit-il, «j’ai des problèmes avec mon dos, dans ces conditions ce n’est pas possible ». Malheureusement, ses propos semblent tomber dans des oreilles sourdes des deux gardiens de la paix en cagoule devant lui.

Ils sont venus l’obliger à s’assoir malgré les douleurs qui l’étouffent. Lorsque revient le camion avec d’autres individus interpellés, ainsi qu’un car, tous pleins à craquer. Une femme officier de police vient ordonner, «faites-les entrer par groupes de dix pour qu’on commence le travail». Jusque-là, nous ne savons toujours pas pourquoi nous avons été appréhendés. Dans mon groupe de 10, une fois à l’intérieur, il est demandé à chacun de présenter sa Cni pour se faire enregistrer. Aussitôt dit, aussitôt fait. Un autre policier nous conduit dans un couloir. En marchant dans ce couloir, je me rends compte que, comme moi, environ 200 personnes avaient perdu deux choses apparemment banales mais primordiales dans la vie d’un homme à savoir l’envie de… qui ne dépendait plus de nous et le présent éternel que représente le temps.

Ce couloir mène vers les cellules. Plus on avance, moins il y a de la lumière. En traversant la première cellule, on constate qu’il y a quatre femmes à l’intérieur que les deux de notre groupe vont rejoindre. À l’intérieur une forte odeur nauséeuse se dégage de la troisième et dernière cellule. La nôtre! Pour un peu d’aisance, nous nous couvrons le nez.  

Au commissariat

Dans notre cellule, les coups de fil devenaient drôles. À toute réception d’appel téléphonique, il nous fallait activer la main libre pour converser avec son interlocuteur. Au détour de la conversation, un jeune annonce son arrestation dans une cohue bien rythmée, la personne au bout du fil répond avec une voix enjouée : «c’est faux, on ne peut pas t’arrêter alors que tu n’as rien fait» ou encore «tes blagues sont de mauvais goût, viens me donner mon argent». Outre le relent nauséabond qui donne constamment l’impression de se faire étrangler, l’espace commence à nous manquer puisque même le coin des toilettes est occupé. Faute d’espace, certaines personnes doivent prendre place dans le couloir.

Audition

Il est 14h12, lorsqu’un officier de police nous annonce brutalement: «Vous ferez mieux de vous adapter parce que la sortie n’est pas imminente. Vous avez été interpellé dans le cadre d’une opération instruite par la hiérarchie. La puissance publique peut s’introduire dans vos vies pour la bonne marche de son travail. Nous savons ce que nous cherchons et nous l’avons déjà obtenu en partie donc laissez-nous faire notre travail».

Alors que les enquêteurs s’apprêtent à nous auditionner, dans la cellule, les interrogations sur notre arrestation vont dans tous les sens. 30 minutes plus tard, les policiers vont nous appeler à tour de rôle. Lorsque vient mon tour, je suis conduit dans un labyrinthe qui tient lieu de bureau principal du commissariat. Dès lors, je fais le constat que cette «opération instruite par la hiérarchie » relève d’une impréparation totale. La photocopieuse tire ses derniers exemplaires de «procès-verbaux de notification de garde à vue» lorsque j’entre dans la salle d’audition. À l’instant, un enquêteur s’introduit dans la salle s’adressant à son collègue : «Est-ce qu’on va saisir toutes les auditions ou elles seront écrites à la main ?». En guise de réponse, on lui remettra une pile de documents à distribuer à tous les enquêteurs soumis à cet exercice.

Avant même mon audition, je suis surpris de constater en lisant sur une fiche que tient mon enquêteur que je suis poursuivi pour : «Trouble à l’ordre public, faux et usage de faux, rébellion et vagabondage». L’enquêteur, commence à écrire «dans le cadre d’une opération contre les arnaqueurs et receleurs concernant les concours en cours…». Je l’interromps pour manifester ma protestation. Il me fait un signe de la main pour me dire d’attendre.

Dès qu’il a terminé d’écrire, il me fait savoir que, «dans ce genre d’opération, généralement, on attrape même les innocents mais comme on ne peut pas vous laisser partir comme ça, le grand-patron lui-même a trouvé les motifs qu’il fallait coller à chacun d’entre vous. Même si nous savons que ce n’est pas le cas». Ce dernier poursuit en me disant que ce n’est pas bien mais cette opération occupe plus d’un, à contrario, il aurait le front collé sur sa table pour dormir. Mon audition terminée, je suis reconduit dans notre cellule commune. Par la suite, je constate qu’un policier est en train de libérer un interpellé. La cellule n’est plus pleine, outre les personnes entendues à l’instant, certaines ont recouvré la liberté alors qu’il est 16h30.

Le scenario s’est poursuivi jusqu’à ce que nous nous rendions compte que la cellule qui nous séparait de celles des femmes, environ une trentaine de tout âge, ne se fermait pas bien. Toutes les 30 minutes, l’un de ces prisonniers donnait des coups sur la porte et un policier venait pour le calmer. La serrure a cédé après ces multiples coups de pied. C’est la débandade, personne ne veut affronter les assaillants. Deux ou trois courageux viennent maintenir la cellule fermée sous la menace des occupants. «Chair fraiche laisse ça ! Si j’arrive là-bas, tu vas payer», tonitrue un des jeunes détenus. Les nombreux appels et cris de détresse, surtout des femmes, laisseront les policiers indifférents.

Libération

21h48. Un officier de police annonce qu’il va commencer les libérations. Mais prévient-il que «certains iront quelque part». Tenant en mains les «procès-verbaux de notification de garde à vue», il va commencer à appeler ceux qu’ils semblaient chercher. Ils sont environ treize. Tenues en respect par des policiers armés jusqu’aux dents. Pour le reste, Il demande de sortir pour suivre la lecture des «résultats du baccalauréat». À chaque lecture d’un nom, les prévenus, avant recouvrer la liberté, traversent une dernière étape : la vérification de la Cni. Ceux qui ne disposaient pas de ce document ou ceux qui présentaient des certificats de perte étaient contraints de passer la nuit au commissariat.

Un quinquagénaire, une fois appelé et la vérification terminée, retourne vers l’officier qui lisait les «procès-verbaux de notification de garde à vue» pour lui demander une note qui justifie sa libération. Le policier entre dans une colère verte. Pour lui témoigner son mécontentement il lui précise que, «si vous vous amusez, je vous embarque avec ceux que nous cherchions. Dans la moindre des mesures, je vous garderai ici pendant au moins 24h pour vous montrer de quoi je suis capable».

À l’extérieur, de nombreuses familles attendaient avec des sachets de nourriture et d’eau pour leurs proches qui n’ont plus, heureusement, passé la nuit dans les geôles du commissariat central n°1 de Yaoundé. Une fois libéré, j’appelle mon rédacteur-en-chef, Georges Alain Boyomo, avec qui j’ai été en contact toute la journée. Mi confiant-mi agacé, le Rec n’a pas cessé de me consoler : « c’est une rafle, si tu as ta carte d’identité, la police va te libérer. Et puis, cela peut être un mal pour un bien. Tu tiens certainement le scoop du siècle ! Dès que tu sors de ce trou-là, il faut partager ton expérience avec les lecteurs de Mutations ». Éprouvé, je rejoins mon domicile, sans avoir livré la première commande de la rédaction. Un jeudi noir. Mais pour la seconde commande, le récit de sa mésaventure, j’ai du baume au cœur après avoir tombé cette copie.

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