TRIPATOUILLAGES : Comment les nouvelles constitutions s’imposent
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Pour faire avaler la pilule aux peuples, les dirigeants d’Afrique centrale, comme ceux d’ailleurs, comptent sur l’analphabétisme des populations, les traditions et le rôle de leurs affidés politiques.

Si en 1990, le vent de la démocratie avait soufflé sur tout le continent, en Afrique centrale aujourdʹhui, cʹest plutôt le vent de la modification des constitutions qui ravage la sous-région. La dernière annonce du passage de ce vent remonte au 22 septembre 2015 à Brazzaville. Alors que l’issue du putsch avorté au Burkina Faso monopolisait l’attention, Denis Sassou Nguesso, l’actuel président de la République congolaise, annonçait son intention d’organiser un referendum pour modifier la Constitution de son pays. Au moment où nous mettons sous presse, la date du 25 octobre 2015 a été arrêtée pour permettre aux Congolais de se prononcer sur un texte qui permettrait à l’actuel locataire du palais du Peuple de Brazzaville de briguer un nouveau mandat.

Selon les analystes, cette révision revêt une dimension importante dans lʹévolution du constitutionnalisme dans ce pays, non seulement par ce quʹelle en constitue un élément moteur et démontre certaines conceptions du pouvoir politique dans cette partie du continent. En effet, si sous dʹautres cieux, la constitution est considérée comme « un bréviaire » chez les chrétiens, cʹest-à-dire un instrument de référence pour lʹEtat, dans les pays d’ Afrique centrale, il en est tout autre. Cet instrument juridique qui est pourtant le fondement de toutes les normes étatiques est régulièrement violé par les dirigeants. Les constitutions sont galvaudées de tout bord comme lʹaffirme le Pr Belinga Zambo, enseignant de Sciences politiques à l’Université André Giraud de Montpellier : « Si les textes fondamentaux avaient été des personnes humaines, elles auraient avalé de lʹarsenic pour sʹépargner des souffrances interminables.

Ces constitutions présentent une face défigurée, caricaturée, dénaturée, démolie ; elles subissent une chirurgie dramatique perpétuelle, comme pour mieux les adapter aux souhaits de ceux quʹelles servent. Si les constitutions ont officiellement tué le monopartisme, elles ont en revanche institué une technique, celle de la conservation du pouvoir. Préoccupé par lʹaccroissement dʹun pouvoir personnel toujours plus fort, les dirigeants de la sous-région ont utilisé la constitution, non comme un frein aux tendances vers lʹarbitraire de leurs gouvernements, mais plutôt pour faciliter et légitimer leurs pouvoirs de domination sur les populations de leurs pays ».

« Ingénierie »

Pour y parvenir le schéma est constant. Dans bien des cas, c’est la technique dʹinterprétation des textes dans le sens de justifier les décisions que les présidents mettent en place pour inoculer aux populations leurs désirs de modifier les textes constitutionnels. «Conscients de ce que la plupart de leurs concitoyens méconnaissent ou ignorent leurs constitutions, les dirigeants, aidés par une certaine classe d’intellectuels montent allègrement les projets de modifications », soutient le Pr Bonaventure Ella de l’université de Yaoundé II. Selon le chef de département d’Anthropologie politique, cette méconnaissance des principes constitutionnels de base et des droits fondamentaux par le grand public fait le lit des tripatouillages. « Il suffit pour cela de se référer à lʹélaboration des textes constitutionnels pour se rendre compte que les principes fondamentaux, qui accompagnent lʹidée même de constitution et justifient son existence, ne sont pas toujours pris en compte par les dirigeants politiques qui sʹarrogent le droit de confectionner, nʹimporte comment et quand lʹenvie les en prend, les textes généralement destinés à légitimer leurs pouvoirs plus vis-àvis de lʹopinion internationale très regardante à la forme du pouvoir détenu par les dirigeants africains, que lʹopinion nationale privée du savoir constitutionnel », analyse-t-il.

Ces textes qui, dans leur grand ensemble, écartent le peuple du champ des tractations de leur élaboration, ne séparent pas suffisamment les pouvoirs étatiques entre divers organes et ne garantissent pas d’autres choix. La langue de lʹécriture de la constitution ici comme ailleurs semble inaccessible à la majorité de la population. Lʹenseignement du droit constitutionnel lui-même, tel quʹil est conçu et dispensé en Afrique ne permet pas à ceux qui lʹont suivi dʹexploiter les richesses enfouies dans la constitution et de les mettre en pratique.

Mandat

La révision constitutionnelle devient, en lʹoccurrence, synonyme de volonté déloyale de modifier les règles du jeu politique à des fins de conservation du pouvoir, de toujours renforcer les pouvoirs des chefs dʹEtat en place, qui sʹappuient eux-mêmes sur des majorités promptes à acquiescer leurs projets. Ce caractère de révisions porte très souvent ou dans la plupart de cas sur le mandat présidentiel et sur la restriction des libertés de lʹopposition, voire sur les modes scrutins. A titre d’exemple : le 4 avril 2008, Paul Biya, président de la République du Cameroun, a déposé sur le bureau de l’Assemblée Nationale, conformément à l’article 63 (1) de la Constitution de 1996, le projet de loi n° 819/PJL/AN visant à modifier et à compléter certaines dispositions de la constitution du 18 janvier 1996.

Après des mois de controverse, le pouvoir de révision souverain est revenu aux députés favorables à son parti politique, avec dans le fond : lʹidée que la constitution «ne sert à rien». «Et de ce fait, chaque fois quʹun des pouvoirs dans lʹEtat jouit dʹune position hégémonique, la constitution est mise en veilleuse ou en sommeil.Tout cet amalgame décrié, fait que les constitutions soient instables et parfois mises en veilleuse par les dirigeants. Ceci pousse les constitutionnalistes africains à les qualifier de constitutions de façade, de coquilles vides, de panier à crabe. Le texte constitutionnel apparait comme un instrument de stratégie politique quʹun code contraignant et formaliste», explique le Pr Bonaventure Ella. Ces comportements des dirigeants politiques africains ont une origine traditionnelle.

«On croyait en finir, mais le type de pouvoir traditionnel continue à hanter les dirigeants africains. En mémoire, le chef traditionnel devait conserver son pouvoir jusquʹà son décès, afin de le transmettre par la procédure dynastique ou héréditaire à un des membres de la famille royale. Cette pratique presque déjà bannie revient sous une autre facette. Cependant, deux aspects entrent en corrélation dans cette partie dʹune révision interminable dans lʹEtat africain, il sʹagit bel et bien du nombre et de la durée du mandat présidentiel», tranche le sociologue Missé Missé.

© Integration.org : Jean-René Meva’a Amougou

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