Kerawa : après les attentats, les questions
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La vie reprend timidement à Kerawa après le double-attentat.

Deux jours après le double attentat survenu à Kerawa, le 03 septembre 2015, la petite bourgade frontalière située dans l’arrondissement de Kolofata continue de se vider de ses habitants. «Ce jour était jour de marché, c’est pourquoi il y avait beaucoup de monde ici, car dans les environs, l’activité économique a cessé. Pour être honnête, même Boko Haram vient faire ses emplettes ici. Mais, les gens ont pris peur, et ils s’en vont», explique Alhadji, assis devant la cour de sa maison, sise non loin du marché. Sur le nombre de morts causé par ce double attentat-suicide, les chiffres continuent de faire débats. Les autorités avancent le chiffre de 34 morts dont de nombreux enfants, et 170 blessés.

«20 personnes ont péri sur place à Kerawa, et 14 autres ont succombé à leurs blessures soit au cours de leurs évacuations, ou dans les hôpitaux de Kolofata et Mora», explique une source militaire sur zone. Cependant, des sources, locales, contestent ces chiffres. Alhadji en fait partie. «Il y a beaucoup de personnes étrangères à la ville qui sont mortes ce jour-là et qui n’ont sans doute pas été prises en compte. Comme Kerawa-Cameroun et Kerawa-Nigeria ne sont séparées que par un cours d’eau, il y a certainement des blessés qui sont retournés de l’autre côté, sont morts et ont été enterrés. Beaucoup de gens ont perdu la vie, c’est Dieu qui en a voulu ainsi. Les gens disent ici qu’il doit avoir au moins 50 morts», informe le vieil homme.

STRATÉGIE

Après Kolofata et Maroua, la secte Boko Haram a choisi une bourgade frontalière dont elle contrôle plus ou moins l’activité, pour perpétrer un nouveau attentat. Autant dire une cible facile et à portée de main. A quel objectif répondait donc cet attentat dont le seul bénéfice aujourd’hui est le renforcement du dispositif camerounais dans un secteur où, de l’autre côté de la frontière, Boko Haram essaye pourtant de rassembler ses forces qui décrochent devant l’avancée de l’armée nigériane ? A frapper durement le camp du Bataillon d’intervention rapide (BIR), pensent de nombreux observateurs  militaires. La stratégie utilisée par la secte peut donner du crédit à cette analyse. De fait, il se dégage aujourd’hui que le premier attentat perpétré vraisemblablement par une fillette d’environ 14 ans, au marché et à un moment de forte affluence aux alentours de 10h45 devait en réalité servir de leurre pour déjouer la vigilance des éléments du BIR en charge de la protection de leur camp, dans la mesure où l’unique centre de santé encore opérationnel ici reste celui du BIR. Boko Haram espérait ainsi profiter du déferlement des blessés du premier attentat à l’intérieur du périmètre de sécurité du BIR pour y infiltrer également son kamikaze et atteindre son objectif stratégique. «Nous étions en train de conduire les blessés vers le camp des BIR, quand ce garçon de Boko Haram s’est mêlé à la foule. Il tenait lui aussi un blessé par la main, faisant semblant de l’aider.

C’est à ce moment que je l’ai aperçu. Comme je le connais comme un Boko Haram, je lui ai demandé de laisser le blessé pour que je le transporte sur ma bicyclette. Quand celui-ci est monté, il a voulu lui aussi s’accrocher à mon vélo. C’est alors que j’ai crié pour alerter les BIR de ce qu’un Boko Haram était parmi nous. Immédiatement, un élément du BIR lui a demandé de se mettre à l’écart et de se déshabiller. Hélas, c’est en faisant semblant de s’exécuter qu’il s’est fait exploser. Heureusement, à ce moment-là, il n’y avait plus beaucoup de personnes autour de lui», raconte un témoin. Et un autre de préciser que : «Ce garçon qui s’est fait exploser portait le djelabiya (boubou, une tenue locale, Ndlr). Il était bien propre et bien coiffé et devait avoir environ 17 ans. Il s’activait à porter assistance aux blessés. On ne pouvait pas imaginer qu’il s’apprêtait à poser un tel acte. Malheureusement, il était une bombe humaine».

L’explosion, enregistrée autour de 11h10, a fait 8 morts et une quarantaine de blessés. A en croire le capitaine Kwene Beltius, commandant de la zone Sud dont dépend la localité de Kerawa, le second Kamikaze comme d’ailleurs le premier - a actionné luimême la bombe qu’il transportait. Si le dispositif du BIR était le coeur de l’opération de Boko Haram à Kerawa, le choix du marché comme déclencheur de sa stratégie n’est peut-être pas fortuit. Outre que l’attentat allait créer un chaos certain, suffisant pour permettre au second kamikaze d’atteindre sans encombre son objectif, beaucoup pensent que Boko Haram entendait également envoyer un message à ses créanciers. «Dans la nuit du 02 au 03 septembre, des membres de Boko Haram se sont infiltrés à Kerawa, sans faire de dégâts. Ils sont venus délivrer un message, à savoir que les bouchers qui avaient pris leurs boeufs pour vendre, leur restituent le fruit de la vente, sans quoi ils allaient attaquer le village. Puis, il y a eu ce double attentat-suicide», explique une source policière locale. Le double-attentat a eu le don de réveiller la population de Kerawa qui a lancé une chasse aux sorcières. Le 4 septembre, un présumé membre de Boko Haram a été arrêté, dénoncé par les populations. Son complice a échappé de peu en s’enfuyant au Nigeria…  

RÉACTIONS

Quelques heures après le double attentat, les généraux Jacob Kodji et Bouba Dobekréo, respectivement commandant de la 4e région militaire interarmées et commandant du 1er secteur de la Force Mixte Multinationale, ainsi que le colonel Joseph Nouma, commandant de l’Opération Alpha, sont arrivés sur les lieux. Une prompte réaction qui n’a pas été pour déplaire à la population. «Ce déploiement nous rassure», se félicite Issiakou, un riverain. Néanmoins, la prise en charge des blessés s’est révélée difficile, en raison de l’inexistence à Kerawa, des structures sanitaires appropriées. «Il fallait transporter les blessés vers Kolofata et Mora, alors même qu’il y a avait des cas très graves qui nécessitaient des interventions urgentes», se plaint le père d’une victime. Malgré ces difficultés, des équipes médicales se sont organisées pour soulager les victimes. A Mora, en plus du personnel de l’hôpital,  le médecin-colonel Jean-Paul Affana, chef de santé militaire du 4e secteur, a déployé son équipe.

Les Organisations non gouvernementales n’ont pas été en reste. Médecins Sans Frontières (MSF) a installé une tente à l’hôpital de Mora où sont encore soignés de nombreux blessés. D’autres, en raison de la gravité de leurs blessures, ont été transférés à l’hôpital régional de Maroua.

© L’Oeil du Sahel : JEAN AREGUEMA

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